Bernard Noël nous a quittés. 

Né en 1930 à Sainte-Geneviève-sur-Argence (Avey­ron), Bernard Noël a été  élevé par ses grands-par­ents. Après des études de jour­nal­isme à Paris il trou­ve sa vraie voca­tion, la littérature.

Après la pub­li­ca­tion de ses pre­miers poèmes, il écrit le roman Le château de Cène, sous le pseu­do­nyme d’Urbain d’Orlhac, en 1969. Ce texte, un roman éro­tique, lui vaut des pour­suites pour out­rage aux bonnes moeurs. Il explique s’être libéré du trau­ma­tisme de sa généra­tion, la guerre d’Algérie.

Ecrivain et poète engagé, romanci­er, his­to­rien, reporter, polémiste, soci­o­logue, cri­tique d’art, édi­teur, il fait de la dénon­ci­a­tion de la cen­sure et de l’oppression  des con­stantes de son œuvre.

Bernard Noël, lors du Fes­ti­val inter­na­tion­al de la poésie de Medel­lín (Colom­bie), en 2008, Wikipedia.

Son com­bat con­tre la « sen­sure », notion con­stru­ite par Bernard Noël dans son texte L’Outrage aux mots, écrit et pub­lié en 1975, ne cessera jamais. Il y explore le détourne­ment de sens de cer­tains voca­bles et les abus de lan­gage du pou­voir en place qui lui ont valu  des pour­suites pour out­rage aux bonnes mœurs.

Il conçoit cette notion à l’is­sue du procès qui lui est inten­té après la paru­tion du Château de Cène. Sa con­damna­tion découle d’une com­préhen­sion erronée du roman par ses détracteurs. Il inscrit la cen­sure dans le con­texte poli­tique cap­i­tal­iste. Elle opère une vio­lence sur la langue par dénat­u­ra­tion. Les agents à l’o­rig­ine de la sen­sure vont donc détourn­er le sens des mots par des « abus de langage ». 

Il a dirigé la col­lec­tion « Textes » chez Flam­mar­i­on dans laque­lle furent pub­liés Claude Ollier, Marc Cholo­denko, Arthur Silent, Jean-Claude Mon­tel, William Car­los Williams, ou encore E. E. Cum­mings, notamment… 

La Cen­sure ou la pri­va­tion de sens, par Bernard Noël, La Tvnet citoyenne.

Salué, entre autres, par Louis Aragon, André Pieyre de Man­di­ar­gues, Yves Bon­nefoy, Claude Este­ban, Michel Polac, Philippe Sollers, Jacques Der­ri­da et Mau­rice Blan­chot, l’Académie française a con­sacré l’ensemble de son oeu­vre poé­tique en 2016 avec son Grand Prix de poésie.

Hom­mage à Bernard Noël (1930 — 2021) par Mar­i­lyne Bertoncini.

et main­tenant que faire avec le rien où respirent les mots 
tan­dis que les choses mul­ti­plient leurs formes dans l’espace 
et que la vie remue ses rides ou les replie au fond du cœur 
une illu­sion plane partout que l’on voudrait chang­er en certitude 
buée de buée nous a‑t-on prévenus mais qui croire dans la fumée 
on essaie tout à tour la langue le rêve la plume et le couteau 
puis la tête s’en va plonger par­mi les salaisons de la littérature 
par­fois quelques petites ombres don­nent en pas­sant un peu de goût à l’air 
un péril mys­térieux par­fume leur trace une amer­tume un manque 
puis la bouche blêmit pour avoir accueil­li ces épaves de sensations 
au lieu d’en faire des images ou bien ce frêle bruisse­ment sur les lèvres 
cepen­dant un souf­fle sur la tempe sus­cite le désir de croire encore un peu 
de croire que main­tenant fera sur­gir de main­tenant le Tu 
et sa réserve de vis­ages assez pour égar­er le temps 
mais à quoi bon l’interminable si la vie n’est pas rejouée 
quand l’herbe aura poussé sur la langue on trou­vera peut-être 
l’articulation du mys­tère par­mi les restes d’une phrase. 
 
Bernard Noël, Le Jardin d’encre, L’oreille du Loup, 2008 (cette édi­tion com­prend une tra­duc­tion du texte en espag­nol, par Myr­i­am Mon­toya), p. 31 
 

Bernard Noël, entre­tien avec Lau­re Adler, France Cul­ture, 2012.