La langue maternelle de personne :
écrire en anglais en Israël
J’ai grandi dans la banlieue new-yorkaise, et l’idée qu’un jour je vivrais presque un tiers de ma vie en dehors des États-Unis ne m’avait jamais effleurée. Je n’avais pas imaginé non plus qu’un jour je serais poète, et sûrement pas dans un pays où les langues (hébreu, arabe) ne seraient pas les miennes. Pourtant, en 2001, à l’âge de vingt-deux ans, j’ai posé le pied sur la piste d’atterrissage de l’aéroport Ben-Gourion à Tel Aviv et fait la rencontre des deux éléments dans lesquels j’allais me lover comme dans une couverture durant les dix années suivantes : l’hébreu et la chaleur. Durant mes premiers mois en Israël, j’ai fait du bénévolat dans un kibboutz, où j’ai rencontré plus de locuteurs d’hébreu, de français, d’espagnol, d’italien, de portugais, d’allemand et de suédois que d’anglais, même si la langue de prédilection entre nous était l’anglais. Plus tard, quand j’ai donné des cours à l’université de Tel Aviv, la langue maternelle de mes étudiants s’avérait souvent être l’hébreu, l’arabe et le russe. Le fait d’écrire de la poésie en langue anglaise en Israël – un pays à la fois dynamique, progressif et aux prises avec des troubles socio-politiques sérieux –paraissait être une voie improbable. Cependant, alors que cette voie se dessinait, j’ai découvert ce que pouvait signifier écrire dans une langue que tant parlaient mais que peu entendaient.
Avant d’avoir été happée par la poésie d’expression anglaise, je l’ai été par l’apprentissage de l’hébreu. Au kibboutz, les bénévoles comme moi travaillaient dans les champs ou à l’usine le matin, et nous nous rendions aux cours d’hébreu l’après-midi. Nous faisions aussi beaucoup la fête, dans différentes langues. J’ai ainsi appris comment dire « bière » en hébreu, en suédois, en espagnol et en français (bira, öl, cerveza, et bière). Le mot vodka semblait universel. Après mon séjour au kibboutz, j’ai suivi des cours d’hébreu dans un oulpan (une école d’hébreu) à Tel Aviv et je me suis inscrite en maîtrise de littérature anglaise à l’université de Tel Aviv, d’une part parce que j’ai toujours aimé étudier la littérature, ayant fait une licence en littérature comparée aux États-Unis, et d’autre part parce que les cours étaient en anglais. Je devais suivre quelques unités d’un tronc commun en hébreu, mais cette langue ne constituerait pas un obstacle pour les autres cours, dispensés en anglais.
Durant la première année de maîtrise, j’ai eu la chance de pouvoir suivre les cours de poésie anglaise et américaine des poètes d’expression anglaise Karen Alakalay-Gut et Rachel Tzvia Back. J’ai trouvé particulièrement fascinant le travail des poètes américains Walt Whitman, Charles Reznikoff, Muriel Rukeyser, Lorine Niedecker, Charles Olson et Adrienne Rich, parmi tant d’autres. Dans un cours portant sur la poésie et le lieu, j’ai été transportée par un poème Lorine Niedecker, intitulé « My Life by Water » : « My life / by water – / Hear // spring’s first frog / or board… » Lorine Niedecker a écrit ses poèmes sur les berges du fleuve Rock River, dans le Wisconsin, et je les ai découverts à Tel Aviv. Les grenouilles ne vivent pas dans la Mer Méditerranée, et pourtant, il me semblait que Lorine Niedecker avait réussi à rendre la rythmique de cette Méditerranée qui me captivait tant. Ma fascination pour la poésie américaine s’est accrue à mesure que le semestre avançait. Quelques années plus tard, je me suis retrouvée en train d’écrire une thèse de doctorat au sujet de l’influence de Walt Whitman sur la poétique juive.
Alors que je faisais de la recherche sur ce travail poétique, j’ai commencé à ressentir le désir, comme un ruisseau avant de se jeter dans un fleuve, d’écrire mes propres poèmes. Ce désir était si puissant qu’il m’a poussée à m’inscrire à un atelier d’écriture proposé par le département d’anglais, animé par l’Israélienne Rebecca Rass, écrivain d’expression anglaise. C’est dans cet atelier, et grâce aux encouragements de Rebecca, que j’ai compris que je devais continuer à écrire de la poésie. La « voix » qui naissait en moi était indéniablement anglophone, même si l’hébreu faisait déjà partie de ma vie quotidienne et trouvait parfois sa place dans certains de mes textes. En écrivant les poèmes de Headwind Migration (Pudding House Publications, 2009), un recueil bref qui explorait mon expérience de migrante entre les États-Unis et Israël, je cherchais des modèles de prose et de poésie émanant d’auteurs anglophones vivant en Israël. Malgré une implantation en Israël qui remontait parfois à des décennies, un grand nombre d’entre eux ont continué à écrire en anglais.
Je me suis demandée pourquoi. Sans vouloir généraliser, pour ma part, écrire de la poésie dans ma langue maternelle constituait un défi de taille, et je ne possédais pas une maîtrise suffisante de l’hébreu pour jouer avec la langue, la déconstruire, la revoir, y inventer des métaphores. De plus, les lettres et les mots hébraïques impliquent des contextes liturgique, mythologique et mystique très riches. Par exemple, toutes les lettres de l’alphabet abondent de symbolisme dans la bible hébraïque, dans la guématrie (un système attribuant une valeur numérique aux lettres et aux mots hébraïques), et dans la kabbale. Quand on traduit de l’hébreu vers l’anglais, l’essentiel de ce contexte est perdu. Enfin, je n’écris pas de poèmes en hébreu car la langue de mon for intérieur – mémoire, histoire, amours et pertes – a toujours été l’anglais.
Le manque de lectorat est l’un des inconvénients pour celui qui écrit en anglais en Israël. L’anglais étant largement parlé dans ce pays, comme il l’est dans beaucoup de pays du monde, on pourrait penser qu’y écrire en anglais attirerait des lecteurs. La plupart des Israéliens parlent et comprennent l’anglais assez bien, et c’est aussi une langue partagée par les différents groupes ethniques de la région. Les Israéliens de langue hébraïque semblent mieux connaître l’anglais que l’arabe. Réciproquement, les citoyens arabophones d’Israël semblent être plus à l’aise linguistiquement et/ou idéologiquement avec l’anglais qu’avec l’hébreu. C’est la raison pour laquelle certains étudiants de langue maternelle arabe choisissent de faire des études de littérature anglaise. Il y a aussi des milliers de personnes de langue maternelle anglaise en Israël, d’origine américaine, canadienne, anglaise, sud-africaine, et autre. Pour cette raison, l’anglais est en principe accessible et accepté par des lecteurs d’origines diverses.
Il n’empêche que l’écriture en anglais n’est pas un phénomène courant en Israël, et cela n’est pas dû au fait que, d’un point de vue pratique, il soit difficile pour les gens de lire de la littérature et de la poésie dans une seconde ou troisième langue, mais plutôt au fait que l’écriture en anglais soit éclipsée par le statut de l’hébreu. Autant l’anglais est une langue souvent utilisée en Israël – enseignée à l’école, entendue dans les feuilletons télévisés (non doublés), parlée avec les touristes – autant l’hébreu est une langue sacrée pour les Juifs depuis des temps immémoriaux, une langue orale pratiquement ressuscitée au XIXème siècle. La langue hébraïque est au cœur de la personnalité juive et sioniste. Les immigrants (les Juifs qui font leur aliyah) sont accueillis en Israël par des cours d’hébreu pris en charge par l’état. Cette mentalité « hébreu-centrique » fait souvent écho dans les piques que je relève au sujet de mon niveau d’hébreu, provenant de chauffeurs de taxi, médecins, coiffeurs… : Votre hébreu est très bon. Vous êtes manifestement encore en train d’apprendre l’hébreu. Votre hébreu s’améliore. Vous avez un accent. D’où vient votre accent ?
En ce qui concerne la littérature contemporaine en Israël, les auteurs en vue écrivent soit en hébreu, comme Yehuda Amichaï et Amos Oz, soit en arabe, comme Mahmoud Darwish. L’on peut aussi citer le nom de Sayed Kashua, l’écrivain israélo-arabe qui écrit à la fois en arabe et en hébreu. Aucun auteur anglophone ne partage la notoriété de ces écrivains-là. Cela ne signifie pas pour autant que la littérature en anglais n’ait pas influencé la littérature arabe ou hébraïque, puisque le travail de Walt Whitman, par exemple, a eu sur ces dernières un impact important. Cependant, la littérature anglophone ne reçoit tout simplement pas beaucoup d’attention en Israël, à moins que l’œuvre n’ait été traduite vers l’hébreu ou vers l’arabe. Des auteurs israéliens anglophones dont le travail est connu en dehors du pays peuvent rester inconnus à l’intérieur de celui-ci, et cela se remarque surtout si leur travail traite explicitement du paysage culturel, social et politique du pays. La langue anglaise catégorise toujours l’écriture en tant que quelque chose qui est « autre », « étranger », peu importe combien de temps l’auteur a vécu en Israël.
Au vu de ces réalités de langue et de lectorat, un gouffre s’est formé, entre le pays dans lequel j’écris (Israël) et le pays dans lequel mon travail pourrait être reçu (les États-Unis). Une grande partie de la communauté littéraire avec laquelle je m’étais identifiée était basée aux États-Unis, le pays que j’avais physiquement, mais pas psychiquement, quitté. Ainsi, contre toute attente, le fait d’écrire a renforcé mes liens avec les États-Unis, alors que j’écrivais, faisais de la recherche et enseignais à l’université de Tel Aviv. Je vivais en Israël, mais je vivais la plupart du temps en anglais. C’était comme si mon écriture et moi avions deux maisons, une en Israël et une aux États-Unis, mais c’était aussi comme si nous n’en avions aucune. Les écrivains israéliens de langue anglaise, et par extension, ceux qui n’écrivent pas dans la langue de la région où ils vivent, font face à ce genre d’abîme de diverses façons.
Aussi déconcertant que puisse être ce gouffre, j’ai découvert avec le temps qu’il n’était pas sans avantages. Les bénéfices pratiques consistaient dans le fait que les activités de la communauté écrivante à laquelle j’appartenais pouvaient servir de passerelle entre les deux pays. De plus, les sentiments de déplacement, de bouleversement et de désorientation, bien qu’aliénants, étaient aussi libérateurs. Avec mon statut d’étrangère, je pouvais me permettre de (conce)voir ma vie d’une façon totalement différente, et réfléchir sur certains points que j’aurais choisi d’ignorer dans le passé. Par exemple, j’ai commencé à écrire sur la maladie de mon père, et sur sa mort, une expérience trouble et douloureuse que je n’ai réussi à envisager clairement que dans la distance géographique. Je pouvais m’approcher de cette expérience de façon créative seulement en m’en éloignant physiquement. On emploie souvent le mot « bulle » pour décrire Tel Aviv, une bulle dans laquelle les habitants garderaient les yeux fermés face aux réalités nationales dévastatrices. Pour moi, Tel Aviv est une bulle, mais une bulle dans laquelle je peux regarder en face mes propres réalités, privées, dévastatrices.
Et malgré cet abîme, ou peut-être grâce à lui, les écrivains israéliens d’expression anglaise restent très actifs. Il n’existe pas vraiment de groupe unifié, des clivages religieux, politiques et/ou géographiques empêchant cela, mais ce manque est pallié par l’existence d’associations, ainsi que de cursus d’études, d’ateliers d’écriture, de lectures et performances se tenant au sein de pubs, cafés, colloques universitaires ; ainsi que de revues spécifiquement dédiées à la littérature en langue anglaise. Un grand nombre de ces écrivains s’adonnent aussi à la traduction, de l’hébreu, l’arabe et d’autres langues. Il arrive que des textes en anglais soient également traduits en hébreu ou en arabe, et publiés en Israël. Par conséquent, même si écrire en anglais est assez marginal, les écrivains concernés sont relativement actifs et impliqués.
J’ai fini par comprendre que la séparation partielle du fait d’écrire en anglais en Israël rend cet acte exceptionnel. Je parle de séparation partielle car les auteurs peuvent conserver l’anglais comme langue d’expression à la maison ou au travail, tout en étant intégrés dans la société israélienne. L’Israélien de langue anglaise a une identité hybride qui est comparable à d’autres identités hybrides dans le monde. La langue représente une division, aussi malléable soit-elle, entre la culture majoritaire et soi. En tant que tels, les écrivains israéliens de langue anglaise possèdent la perspective double, et spéciale, de ceux qui sont à l’intérieur mais aussi à l’extérieur de la société qu’ils habitent. Ils peuvent donc en tâter le terrain tout en en voyant les fractures. Les écrivains bénéficiant d’une telle perspective sont cruciaux en Israël, au vu de l’histoire tragique des conflits. Ces auteurs, grâce à leur position avantageuse, peuvent faire de bons témoins.
Il est désormais possible de voir au-delà des partis pris et des condamnations. Il est devenu possible de comprendre qu’être à la fois du côté des Israéliens et des Palestiniens n’est pas une contradiction. Ces auteurs sont des témoins de première main des événements dévastateurs qui se produisent en Israël, aussi bien au niveau pratique qu’au niveau humain. De plus, l’écriture en anglais jette une passerelle entre Israël et le monde anglophone en général. Les écrivains de langue anglaise ne dépendent pas de traducteurs pour décrire au monde le tragique, le beau, ou le terre-à-terre caractéristique d’Israël. Ceux qui écrivent à partir d’Israël constituent des émissaires possédant la capacité d’informer sur les opinions et les idées d’Israël. Ils devraient jouir de plus de reconnaissance pour ce rôle unique qu’ils remplissent. Cependant, il est aussi primordial qu’ils conservent le regard de l’étranger partial.
Les travaux de nombreux écrivains israéliens de langue anglaise – ils sont trop nombreux pour que nous puissions en donner la liste complète ici – attestent de cette perspective. Vous pouvez lire, par exemple, Layers (Simple Conundrum Press, 2013) et So Far So Good (Sivan, Boulevard, 2004) de Karen Alkalay-Gut. Lisez aussi A Messenger Comes (Singing Horse Press, 2012), On Ruins & Return (Shearsman Books, 2005), et Azimuth (Sheep Meadow Press, 2001), de Rachel Tzvia Back. Lisez le roman d’Evan Fallenberg Light Fell (Soho Press, 2008). Lisez Ezekiel’s Wheels (Copper Canyon Press, 2009) et Threshold (Copper Canyon Press, 2003), de Shirley Kaufman. Lisez Havoc (Sheep Meadow Press, 2013) de Linda Zisquit. En ce qui concerne les commentaires sur l’écriture anglophone en Israël, tournez-vous vers la discussion intitulée « Transcender les frontières » (en français dans Recours au poème) menée par Sarah Wetzel entre quatre poètes et traductrices anglophones, Joanna Chen, Jane Medved, Marcela Sulak, et moi-même, pour la revue The Bakery. Par ailleurs, le recueil de poèmes de Sarah Wetzel, Bathsheba Transatlantic (Anhinga Press, 2010), s’est nourri des sept années qu’elle a passées entre New York et Tel Aviv. Nous devons la version française de la discussion « Transcender les frontières » à Sabine Huynh, auteur et traductrice qui vit actuellement à Tel Aviv. Le roman de Sabine Huynh, La mer et l’enfant, a été récemment publié en France, aux éditions Galaade (2013). Tous ces auteurs possèdent une sensibilité pluriculturelle et plurilingue, ainsi qu’une conscience aigüe de leur position en tant qu’étranger et témoin.
Le poème de la poète de langue anglaise Karen Alkalay-Gut, « So far so good » (« Jusqu’ici, tout va bien »), du recueil éponyme, peut servir de bon exemple de ce concept de position d’étranger partiel. La personne qui parle dans ce poème décrit ce qu’elle a appris de ses pérégrinations sur une artère centrale et bien connue des telaviviens, l’avenue Iben Gavirol. Elle décrit comment elle descend l’avenue tout en épiant les gens de derrière les piliers, en les « scrutant » du regard et en restant attentive aux « profils louches ». Du fait que cette personne a le statut de poète israélien de langue anglaise, elle est invisible, ou du moins passe-t-elle inaperçue, aux yeux de ceux qu’elle scrute. En effet, elle est à la fois présente et absente du paysage urbain. Ne la remarque qu’une présence inattendue : l’un des piliers auxquels elle s’agrippe pour se dissimuler.
Qu’ai-je donc appris
avenue Iben Gavirol ?
Le jour où j’ai pressé le pas
pour m’en sortir malgré tout
en m’arrêtant
à chaque pilier
pour scruter
les gens
les profils
louches
et souffler
jusqu’ici, tout va bien.
Une fois, tel Samson
j’ai saisi le pilier
qui a murmuré
en retour
« En effet nous sommes
nombreux derrière lesquels
on peut se cacher,
mais comment reconnaître
le devant du derrière ? »
(Karen Alkalay-Gut. Traduction française : Sabine Huynh.)
What did I learn
on Ibn Gvirol Street?
That day I walked fast
to beat the odds
stopping
at each column
to peer out
at people
suspicious
profiles,
and whispered
so far so good.
One time I hung on
like Samson
and the column
whispered back,
“These are indeed
many of us here
to hide behind.
But you never know
where the front is.”
Ce poème est clairement ironique, étant donné que la narratrice endosse la casquette du détective se glissant furtivement dans la foule, détective soulagé que tout soit en ordre à Tel Aviv, du moins pour le moment. « Jusqu’ici, tout va bien », murmure-t-elle. Le pilier personnifié qui lui répond est aussi ironique que le poème. L’humour est caractéristique du travail de Karen Alkalay-Gut et elle s’en sert pour ses commentaires socio-politiques les plus pénétrants. Le terme « profil louche » peut être difficile à comprendre en dehors du contexte telavivien en particulier et israélien en général. Partout en Israël, les « profils louches » font référence à « l’autre », à la menace représentée par un terroriste ou un kamikaze. Le mot « profil » peut évoquer le profilage racial ou ethnique.
La façon dont la narratrice parle de « profilage » et de méfiance est au cœur-même de la sagesse prodiguée par le pilier. Le pilier répond au « jusqu’ici, tout va bien » de la narratrice en soulignant qu’il y a en fait de nombreux piliers que la narratrice (ou n’importe qui d’autre) peut utiliser comme bouclier contre d’éventuelles menaces : « En effet nous sommes / nombreux derrière lesquels / on peut se cacher ». Toujours est-il que cette protection s’avère fantasmagorique et illusoire, puisque « comment reconnaître / le devant du derrière ? » Cette illusion ne s’applique pas qu’aux piliers, elle concerne également les gens, toutes sortes de personnes, qui pourraient menacer la sécurité de la narratrice. Le pilier, un témoin de la ville que plus personne ne remarque, tout comme la narratrice elle-même, exhorte celle-ci à remettre en question ses hypothèses et ses présupposés concernant les personnes qu’elle évite. La narratrice apprend que ce à quoi elle s’agrippe avec la force de Samson la laisse en fait vulnérable et totalement exposée.
En tant que poète et enseignante en Israël, je me suis aussi rendue compte du fait que j’écris en tant qu’étrangère et témoin. Récemment, je me suis attelée à l’exploration de questions personnelles plutôt que politiques dans mon travail, même si ce qui est personnel n’est pas dénué de politique, au contraire, puisque m’étant affirmée comme poète à Tel Aviv, je suis toujours attentive au fait d’aborder dans l’écriture mes sujets avec empathie, respect et compassion – des idéaux, qui, il me semble, peuvent parfois faire défaut en Israël. Je suis consciente de la contradiction inhérente au fait que ma liberté créatrice ne soit pas forcément compatible avec la liberté dont tant de personnes ne peuvent jouir. Ma poursuite de ces idéaux se fait dans l’espoir d’avoir un impact sur le pays qui a été établi en tant que refuge pour les Juifs persécutés depuis des siècles et qui m’a offert un refuge où j’ai pu écrire.
Ces jours-ci à Tel Aviv, des réfugiés originaires d’Érythrée, du Soudan et du Congo conversent en arabe, en français et dans leurs dialectes locaux. Ils échangent certainement des histoires au sujet d’Israël, leur pays d’accueil, des histoires à la fois tristes et encourageantes. Nous avons aussi grand besoin de connaître leur perception de la société israélienne (quels que soient les mots qu’ils utilisent pour dire « bière », « guerre » ou « maison »). Ceux qui sont à l’extérieur, les « étrangers », redessinent les lieux avec leur regard neuf. Nous avons besoin de ceux qui racontent des histoires, et qui ne parlent la langue maternelle de personne, même si le pays dans lequel ils vivent est souvent sourd à leurs voix.
Tel Aviv, 2013
(Dara Barnat. Traduction de l’anglais : Sabine Huynh.)
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No One’s Mother Tongue: Writing in English in Israel
While growing up in the suburbs of New York, I did not foresee that I would settle for almost a third of my life outside the United States. Nor did I foresee that I would become a poet, certainly not in a country whose languages (Hebrew, Arabic) were not my own. But in 2001, at age 22, I stepped onto the tarmac at Ben-Gurion Airport in Tel Aviv, and met with the elements that would encase me like a blanket for the next ten years: Hebrew and heat. During my first months in Israel, I volunteered on a kibbutz, where I met more Hebrew‑, French‑, Spanish‑, Italian‑, Portuguese‑, German‑, and Swedish-speakers than English-speakers, though between us we conversed in English. When I later taught courses at Tel Aviv University, my students’ native languages were often Hebrew, Arabic, and Russian. Writing poetry in English in Israel – a country at once dynamic, forward thinking, and embattled – would have seemed an unlikely path. However, as the path emerged, I discovered what it means to write in a language spoken by many, but heard by few.
Before my interest in English-language poetry started, I was focused on learning Hebrew. On the kibbutz, the other volunteers and I worked in the fields or factory in the morning and attended Hebrew classes in the afternoon. Also, we partied a lot, in a variety of languages. I learned the word for beer in Hebrew, Swedish, Spanish, and French (bira, öl, cerveza, and bière). The word vodka seemed to be universal. After the kibbutz, I went to study Hebrew in an ulpan (Hebrew language school) in Tel Aviv and applied to do a Master’s Degree in English Literature at Tel Aviv University. I applied for this program, because I’d always enjoyed studying literature. My undergraduate degree, completed in the US, was in Comparative Literature. A second, no less weighty factor, was that the courses for the degree were taught in English. I would still take the general Hebrew classes required by all students at Tel Aviv University, no matter their field, but my lack of Hebrew would not be a hindrance for lectures or readings.
In the first year of the Master’s program, I was fortunate to take courses on British and American poetry given by two lecturers, Karen Alkalay-Gut and Rachel Tzvia Back, who were themselves English-language Israeli poets. American poets like Walt Whitman, Charles Reznikoff, Muriel Rukeyser, Lorine Niedecker, Charles Olson, and Adrienne Rich, among others, especially captivated me. In a course on poetry and place, I was taken by a poem by Niedecker, titled “My Life by Water”: “My life / by water – / Hear // spring’s first frog / or board…” Niedecker wrote poems from the shores of Rock River in Wisconsin and I encountered these poems Tel Aviv. There are no frogs in the Mediterranean Sea; yet, Niedecker seemed to capture the rhythms of the Mediterranean that inspired me. My fascination with the American tradition of poetry grew within a few semesters. Several years later, I would complete a dissertation about Walt Whitman’s influence on Jewish American poetics.
As I read and researched poetry, I began to experience a desire, like a creek before a river, to write my own poems. This desire was strong enough that I attended a creative writing workshop in the English Department, taught by the Hebrew- and English-language Israeli writer Rebecca Rass. It was in this workshop, with Rebecca’s encouragement, that I knew I wanted to continue writing poetry. The writing “voice” that was emerging was undeniably English-speaking, though Hebrew was a part of my daily life and found its way into some of my poems. As I was writing the poems for Headwind Migration (Pudding House Publications, 2009), a chapbook collection that explored my experience of “migrating” between Israel and the US, I searched for models of poetry and prose by English-language writers living in Israel. I learned that many of these writers, despite having lived in Israel for decades, continued to write in English.
I fear generalizing why this is the case, but for me, learning to write poetry in my native language was already a great challenge. Also, I lacked the mastery in Hebrew to play games with the language, deconstruct and revise it, and invent new metaphors. Moreover, Hebrew letters, words, and phrases have a rich context in Jewish liturgy, mythology, and mysticism. The first letter of the Hebrew alphabet aleph (א) is rife with symbolism in the Hebrew Bible, Gematria (a system of assigning numerical value to a Hebrew word or phrase), and Kabbalah, as are all the letters of the alphabet. There is no equivalence to this textual symbolism in English. When Hebrew writing is translated to English (and other languages), much of this context is lost. Finally, I did not write poems in Hebrew, because the language of my inner self – memory, history, love and loss, dreams and nightmares – was English.
One adverse consequence of writing in English in Israel that I discovered was a lack of readership. English is widely spoken in Israel, like in much of the world, so it’s fair to assume that writing in English might not impact this readership. Many Israelis understand and speak English at least moderately well. In addition, English is the language shared by the various ethnic groups of the region. Hebrew-speaking Israelis tend to be more familiar with English than Arabic. Conversely, Arabic-speaking citizens of Israel might be more comfortable linguistically and/or ideologically in English than Hebrew. Some native Arabic-speaking students study English Literature for these reasons. There are also thousands of native English-speakers in Israel, from the US, Canada, England, South Africa, and elsewhere. Therefore, English-language writing might be, in principle, accessible to and accepted by readers of diverse backgrounds.
However, English-language writing is not mainstream, and not because, from a practical standpoint, it can be harder for people to read literature and poetry in their second or third language. Rather, English-language writing is dwarfed by the status of Hebrew. Inasmuch as English is a oft-utilized language in Israel – taught in schools, heard on sitcoms, and spoken with tourists – Hebrew has been the holy language for Jews since ancient times and revived as a spoken language in the 19th century. Hebrew is at the heart of the country’s Jewish and Zionist character. Immigrants to Israel (Jews who make aliyah) are provided with Hebrew classes subsidized by the State of Israel. This Hebrew-centric mentality is echoed in the quips I often hear, from taxi drivers, doctors, and hairdressers, about the level of my Hebrew: Your Hebrew is very good. You must still be learning Hebrew. Your Hebrew is improving. You have an accent in Hebrew. Where is your accent from?
In terms of literature, the prominent contemporary writing in Israel is Hebrew-language, like Yehuda Amichai and Amos Oz, or Arabic-language, like Mahmoud Darwish. Another example is Sayed Kashua, the Israeli Arab Arabic- and Hebrew-language writer. But no English-language Israeli writer holds such prominence. That is not to suggest that English literature has not been influential for Hebrew- and Arabic-language writing. On the contrary, Walt Whitman, for instance, was impactful on both these traditions. But simply put, Israeli English-language writing does not receive a great deal of attention in Israel. If the work is translated to Hebrew and/or Arabic, the chance is higher that it will be recognized. Otherwise, even English-language Israeli writers who are well known outside of Israel can be relatively unknown within the country. This is true when the work deals explicitly with the country’s political, social, and cultural landscape. English marks the writing as “other,” no matter how long the writer has lived in Israel.
Given these realities of language and readership, a chasm formed, with the country in which I wrote (Israel) on one side, and the country where my work might be received (the US) on the other. Much, though by no means all, of the writing community with which I identified was based in the US, the country I had physically, though not psychically, left. Thus, my writing unexpectedly deepened my ties to the US, though I was writing, researching, and teaching in Tel Aviv. I was living in Israel, but I was (mostly) living in English. In a sense, it was as if my writing and I had two homes, Israel and the US, but in another sense, we had no home. This is a chasm that is negotiated in various ways by English-language writers in Israel, and by extension any writer who does not work in the native language(s) of their region.
Disconcerting as this chasm was, in time I discovered that it came with advantages. Practical advantages were that my writing community and activities could bridge the two countries. Another unexpected, profound advantage was that the sense of displacement, dislocation, and disorientation, while isolating, was also liberating. Being an outsider of sorts freed me to reflect upon events in my life, which I might otherwise not have explored. Specifically, I began to write about my father’s illness and death, a murky, painful experience that became clear only when I viewed it from a great distance. I could move toward the experience creatively only by moving away from it physically. Tel Aviv is often described as a “bubble,” in which people can shut their eyes to devastating national realities. For me, Tel Aviv is likewise a bubble, but one in which I can open my eyes to devastating personal ones.
And despite, or perhaps because of this chasm, English-language writers in Israel are very active. There is no unified group of writers – religious, political, and/or geographic lines prevent such a group from forming. But there are several organizations for English-language writers, as well as degree programs, writing workshops, readings in pubs and cafés, academic conferences, and journals for English-language writing. Many English-language writers are often involved in translating from Hebrew, Arabic, and other languages. English-language writing is sometimes translated to Hebrew and/or Arabic and published in Israel. Therefore, English-language writing might be relatively marginalized, but the writers themselves are extremely engaged.
What I came to understand is that the partial-separateness of English-language writing in Israel makes it exceptional. I say partial-separateness, because the writers may very well retain English as the language spoken at home or work, but they are nonetheless integrated into Hebrew-speaking society. The English-speaking-Israeli is a hybrid identity comparable to other hybrid identities throughout the world. Language is a partition, however malleable, between oneself and the majority culture. As such, English-language writers possess a special, dual perspective of insiders who are also outsiders. They can walk the ground, but see its fractures. Writers with this perspective are crucial in Israel, with its tragic history of conflict. These writers have a vantage point from which to be witness.
From this point, it becomes possible to see beyond sides and blame. It becomes possible to see that supporting the Israeli people and the Palestinian people is not mutually exclusive. These writers witness first hand the devastating events that occur in Israel, as well as the mundane and humane ones. Moreover, English-language writing is a bridge between Israel and the wider English-speaking world. English-language writers do not depend on translators to describe the tragic, beautiful, or mundane to this world. Those who write from Israel are envoys, with the ability to inform people’s ideas and opinions of Israel. More recognition should be given to English-language writers in Israel for the unique role they possess; yet, it is also vital that they retain the perspective of the partial outsider.
Works of numerous Israeli English-language writers – too many to list here – display this perspective. Read, for instance, Karen Alkalay-Gut’s Layers (Simple Conundrum Press, 2013) and So Far So Good (Sivan, Boulevard, 2004). Read Rachel Tzvia Back’s A Messenger Comes (Singing Horse Press, 2012), On Ruins & Return (Shearsman Books, 2005), and Azimuth (Sheep Meadow Press, 2001). Read Evan Fallenberg’s novel Light Fell (Soho Press, 2008). Read Shirley Kaufman’s Ezekiel’s Wheels (Copper Canyon Press, 2009) and Threshold (Copper Canyon Press, 2003). Read Linda Zisquit’s Havoc (Sheep Meadow Press, 2013). For commentary on English-language writing in Israel, refer to “Transcending Boundaries,” a conversation curated by Sarah Wetzel for The Bakery, between four English-language poet/translators living in Israel: Joanna Chen, Jane Medved, Marcela Sulak, and myself. Wetzel’s own collection of poetry, Bathsheba Transatlantic (Anhinga Press, 2010), is informed by seven years she spent living and traveling between New York and Tel Aviv. The conversation also appeared in Recours au Poème (“Transcender les frontières”) translated to French by Sabine Huynh, a writer and translator currently living in Tel Aviv. Huynh’s novel, La mer et l’enfant, was recently published by Galaade in France (2013). Each of these writers has a multicultural and multilingual sensibility, as well as an awareness of their position of outsider and witness.
A poem by an English-language Israeli poet that exemplifies this partial-outsider position is Alkalay-Gut’s “So Far So Good,” from her collection by the same title. The speaker of the poem describes a lesson she learned on a well-known, central street in Tel Aviv, called Ibn Gvirol Street. The speaker describes walking down Ibn Gvriol, observing people from behind columns, “peering out,” and vigilantly checking for anyone with a “suspicious profile.” In keeping with the status of the English-language Israeli poet, the speaker is invisible to, or at least unacknowledged by, those she spies on. She is effectively present in, yet absent from, the cityscape. The speaker is acknowledged only by a rather surprising presence: one of the columns she clings to for cover.
What did I learn
on Ibn Gvirol Street?
That day I walked fast
to beat the odds
stopping
at each column
to peer out
at people
suspicious
profiles,
and whispered
so far so good.
One time I hung on
like Samson
and the column
whispered back,
“These are indeed
many of us here
to hide behind.
But you never know
where the front is.”
The poem is discernibly tongue-in-cheek as the speaker sneaks around, a self-appointed detective relieved to find Tel Aviv in order, at least for the time being: “so far so good,” she whispers. The personified column that “whispered back” is likewise tongue-in-cheek. However, humor in Alkalay-Gut’s work is characteristically a pretext for her most serious political and social commentary. The “suspicious profiles” cannot be understood outside the context of Tel Aviv in particular and Israel in general. Anywhere in Israel, “suspicious profiles” evokes a threatening “other,” such as a terrorist or suicide bomber. The term “profiles” can evoke ethnic or racial profiling.
The speaker’s self-described “profiling” and mistrust is at the core of the wisdom that the column imparts. The column’s response to the speaker’s remark “so far so good” is that there are, in fact, numerous columns for the speaker (or anyone else) to use as protection from perceived threats: “There are indeed / many of us here / to hide behind.” Yet, these modes of protection are phantasmatic and illusory: “you never know where the front is.” This illusion applies not just to the columns, but to whomever the speaker is threatened by. The column – an unseen witness of the city, much like the speaker herself – urges the speaker to question her assumptions and biases about whom she might be running from. The speaker learns that what she holds onto for protection with the strength of the Biblical Samson, actually leaves her the most vulnerable and exposed.
I, too, as a poet and teacher in Israel, have become aware of writing as an outsider and witness. In the recent past, I’ve been exploring personal, rather than political issues in my writing. But personal does not mean void of the political; on the contrary, having becoming a poet in Tel Aviv, I am ever mindful of the importance of seeking the empathy, respect, and compassion in every subject I write about – ideals that are much needed in Israel. I do note the contradiction that my creative freedom is at odds with the freedoms denied to so many people. I pursue these ideals in the hopes to better the country that was established as a refuge for Jews facing centuries of persecution and offered me a refuge in which to write.
These days in Tel Aviv, refugees from Eritrea, Sudan, and Congo converse in Arabic, French, and their local dialects. The refugees are surely sharing stories about Israel, both sad and uplifting. Their perceptions of society (whatever the word for beer, or war, or home) are also needed. The outsider sees places anew, and through this seeing, effects change. The storytellers, who speak no one’s mother tongue, are needed, even if the country in which they live hears little or nothing at all.
Tel Aviv, 2013
(Dara Barnat. Traduction de l’anglais : Sabine Huynh.)
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