Martine-Gabrielle Konorski, Instants de terres

Par |2021-09-21T13:57:25+02:00 21 septembre 2021|Catégories : Martine-Gabrielle Konorski|

Instants de ter­res est le livre que Mar­tine-Gabrielle Konors­ki vient de pub­li­er aux édi­tions L’Atelier du Grand Tétras. Pré­facé par Nathalie Riera, il se com­pose d’un ensem­ble de poèmes divisé en sept sec­tions ; il est illus­tré par une série de six repro­duc­tions de pein­tures de Col­in Cyvoct.

Comme le souligne la pré­facière, ce livre est placé sous le signe d’une cer­taine tem­po­ral­ité ou, pour­rait-on dire, d’une tem­po­ral­ité qui, emblé­ma­tique­ment, est celle de l’instant, chaque instant suc­ces­sif s’ouvrant, s’enchaînant à l’autre. Ain­si, chaque voca­ble de chaque vers pour­rait analogique­ment cor­re­spon­dre à la tem­po­ral­ité pro­pre au poème dévoilé, fixé dans l’espace de la page. Chaque voca­ble pour­rait être perçu, pen­sé, approché, comme un « instant de sens » qui se soude au voca­ble qui lui suc­cède, en même temps qu’il se dis­tingue fon­cière­ment de lui, con­tribuant à l’unité du poème, for­mant un « pré­cip­ité » d’instants, c’est-à-dire un pré­cip­ité de voca­bles, qui fait de l’entité « poème » un tout insé­ca­ble, unique, tel qu’il se présente sur la page. Ces « voca­bles-instants » sur­gis des ter­res pro­fondes de la poète con­stituent donc le livre ouvrant sur un tra­jet, celui d’une cer­taine expéri­ence d’écriture que l’on est amené à décou­vrir, pro­gres­sive­ment, en déploiement d’un fil ten­du à l’extrême.

Mar­tine-Gabrielle Konors­ki, Instant de ter­res,
L’Ate­lier du Grand Tétras, 15 €.

Instant de Ter­res, (qui est celui de la pre­mière sec­tion com­posée de quinze poèmes), donne son titre au livre. Les lisant à mi-voix, un à un, nous voilà pris par le déroule­ment en cas­cade de ces « voca­bles-instants » qui se suc­cè­dent dans leur ver­ti­cal­ité et qui nous entraî­nent en un mou­ve­ment de lec­ture telles des coulées de mots, (comme il est dit dans l’un des vers), c’est-à-dire un flux où les voca­bles agis­sent en étin­celle­ments et tres­sage de sens, issus des soubre­sauts de la con­science du monde de la poète, des plaies anci­ennes viv­i­fiées de sa mémoire : s’élabore, se struc­ture ain­si un lan­gage qui affirme sa puis­sance élo­cu­toire avec l’intensité du poème établi sur la page, fruit d’une recherche éper­due de la justesse, de la force, de la cohérence dans l’ajointement des sens.

Chaque coulée de mots (à chaque page suf­fit son poème) chauf­fée à blanc met en vibra­tion nos plaques sen­si­bles émo­tion­nelles, imag­i­na­tives, jusqu’à ce qu’advienne ce « Cri de lumière » du dernier dis­tique du dernier poème cristallisant, en manière de dénoue­ment, les forces proféra­tri­ces de ce qui précède, et clô­tu­rant la séquence.

Il con­vient aus­si de men­tion­ner que ce dernier poème s’ouvre ainsi :

Il y avait
la Vérité-Mort
accrochée aux branches
de tes bras.

 

Le mot « Vérité » accroché au mot « Mort » ne saurait se con­cevoir autrement que comme une seule entité de sens, à quoi fait écho l’avant-dernier mot du poème qui se tient seul dans l’espace inter­ersti­ciel du poème : « Emeth », qui n’est autre que le voca­ble hébreu désig­nant « fer­meté », « fidél­ité », « vérité ».

Les six sec­tions qui suiv­ent ensuite présen­tent cha­cune leurs « coulés de mots » selon une suc­ces­siv­ité qui exem­pli­fient d’autres agré­gats de sens, d’autres entrelacs d’images, d’autres éclats de voca­bles, con­tribuant à for­mer l’unité d’ensemble.

Chaque sec­tion, (« La terre a per­du ses ailes », « En dérive », « Le gron­de­ment des heures »…) met à nu, en un dense con­tin­u­um, la con­science poé­tique de l’auteure, par­tic­i­pant à l’élaboration d’un lan­gage à par­tir des mêmes ressources rhé­toriques, des mêmes tonal­ités élé­giaques que les poèmes de la pre­mière section.

Nous retien­drons notam­ment ici dans le dévoile­ment des « ter­res » intérieures de la poète, passées au crible de ses doigts, les deux avant-dernières sec­tions inti­t­ulées « Un point ouvert » et « Un car­ré de silence » dont les éclats allusifs (et la dédi­cace à Paul Celan de l’un des poèmes) sont les fruits du creuse­ment au coeur d’une mémoire (famil­iale et col­lec­tive) rel­a­tive à la Shoah :

 

La sirène jette un cri     
bruit de bottes    plus de refuge
dans l’escalier
                           on siffle

Dégringo­lent les familles
pas de brèche   plus de souffles
restent les hurlements
(…)

 

Un peu plus loin, dans la sec­tion « Un point ouvert », affleure ce con­stat de l’inanité des mots en leur incan­ta­tion, face à ce qui reste impronon­cé autant qu’imprononçable :

 

Face à l’imprononcé
les mots ne tien­nent plus les os
(…)

 

Cette tonal­ité demeure dans la sec­tion « Un car­ré de silence », où :

 

Tes ailes
empor­tent ma blessure
Le poids des jambes
creuse
la route que tu as fuie.
Tout reste inachevé.

 

Et c’est bien cet inachève­ment qui fait la force du manque, de l’inaccompli de tout poème, des blancs qui sépar­ent et relient à la fois les voca­bles puis les poèmes entre eux, ces blancs qui sont gros de tant d’autres mots qui ne seront pas révélés ni pronon­cés. Pour­tant, les paroles doivent con­tin­uer à affluer, les voca­bles doivent con­tin­uer d’advenir. Telle est la tache de la poésie. Et ces blancs, parce qu’ils sont pré­cisé­ment des blancs, sont autant de lieux poten­tiels ouverts aux voca­bles qui vien­dront briller en facettes de sens, cha­cun à sa place dans le poème. Ils s’affirment comme de poignants témoignages d’une parole advenante, d’une coulée de mots comme c’est le cas des poèmes de Mar­tine-Gabrielle Konors­ki qui se déploient en instances de vérités, selon des modal­ités pro­pres, où sont mis en jeu les mots de la mort qui nour­ris­sent les vibra­tions de l’âme.

 

 

Présentation de l’auteur

Iris Cushing

Iris Mar­ble Cush­ing was born in Tarzana, CA in 1983. She has received grants and awards for her work from the Nation­al Endow­ment for the Arts and The Fred­er­ick and Frances Som­mer Foun­da­tion, as well as a writ­ing res­i­den­cy at Grand Canyon Nation­al Park in Ari­zona. Her poems have been pub­lished in the Boston Review, La Fovea, No, Dear, and oth­er places. A col­lab­o­ra­tion with pho­tog­ra­ph­er George Wood­man, How a Pic­ture Grows a World, was trans­lat­ed into Ital­ian and was the sub­ject of an exhi­bi­tion at Gale­ria Alessan­dro Bag­nai in Flo­rence, Italy. Iris lives in Brook­lyn, where she works as an edi­tor for Argos Books and for Cir­cum­fer­ence: A jour­nal of poet­ry in trans­la­tion.  

Iris Cushing

Poèmes choi­sis

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Joël-Claude Meffre

Né en 1951, il est issu d’une famille de vitic­ul­teurs com­tadins, il a passé son enfance en milieu rur­al et réside aujourd’hui près de Vai­son-la-Romaine. Archéo­logue. Retraité. Ayant étudié la lit­téra­ture et la philolo­gie, il a aus­si mil­ité pour la recon­nais­sance de la langue et de la lit­téra­ture occ­i­tanes. En 1978, les ren­con­tres avec le poète Bernard Var­gaftig puis, plus tard, avec Philippe Jac­cot­tet, ont été déter­mi­nantes dans le développe­ment de son tra­vail d’écri­t­ure poé­tique. Au début des années 1990, il décou­vre l’en­seigne­ment du soufisme. Il s’ini­tie alors à la cul­ture et la spir­i­tu­al­ité du monde arabo-musul­man. Puis il pub­lie trois essais  : 1) sur l’enseignement  du soufisme aujour­d’hui ;  2) sur le cal­ligraphe irakien Ghani Alani ; 3) sur le saint soufi Mansur al-Hal­laj. Cet engage­ment le con­duit à des col­lab­o­ra­tions artis­tiques (avec Faouzi Skali), lit­téraires (avec Pierre Lory ) et spir­ituelles (avec l’islamologue Eric Geof­froy). Il pub­lie ses pre­miers livres aux Édi­tions Fata Mor­gana. Dans les années 2000, il noue des liens étroits avec des poètes et écrivains, tels que Antoine Emaz, James Sacré, Emmanuel Laugi­er, Hubert Had­dad, Joël Ver­net, Claude Louis-Com­bet, Jean-Bap­tiste Para, Michaël La Chance. Il écrit des notes de lec­ture pour la revue lit­téraire Europe. Sa démarche à la fois spir­ituelle et poé­tique le con­duit à dia­loguer avec les poètes tels que Jea­nine Baude, Pierre-Yves Soucy, le philosophe Lau­rent Bove, le physi­cien cos­mol­o­giste Renaud Parentani, et les com­pos­i­teurs suiss­es Chris­t­ian Henk­ing et Gérard Zinsstag. Joël-Claude Mef­fre s’intéresse à la pein­ture et les artistes : ses com­plic­ités avec les pein­tres tels que Albert Woda, Michel Stein­er, Jean-Gilles Badaire, Anne Slacik, Jacques Clauzel, Youl Criner, Alber­to Zam­boni, Cather­ine Bolle, Béné­dicte Plumey, Sylvie Deparis, Hervé Bor­das, etc…, lui ont don­né l’occasion de réalis­er des livres d’artistes. À ces tirages lim­ités, accom­pa­g­nés d’estampes, il faut ajouter les pro­duc­tions mono­graphiques de livres man­u­scrits à exem­plaire unique ou tirages lim­ités avec des inclu­sions de métal, de verre, de fibres2. Joël-Claude Mef­fre est mem­bre de la Mai­son des écrivains et de la lit­téra­ture (Paris) ; il con­tribue régulière­ment dans des revues : Détours d’écriture (dirigée par Patrick Hutchin­son), Europe, Revue de lit­téra­ture alsa­ci­enne, N4728 (cf. les no 9, 11, 18, 19), Revue de Belles Let­tres Suiss­es, Pro­pos de Cam­pagne, Revue Sorgue, Morit­u­rus (no. 5, 2005), Autre SUD, Con­férence (no. 25, automne 2007), Nunc, L’É­trangère, La revue Nu(e), Triage, L’Animal, Faire part, Le Fris­son Esthé­tique, Lieux d’Être, Osiris. Out­re ses lec­tures de poésies, il man­i­feste un intérêt pour les groupes Pro­to­cole Meta avec Jean-Paul Thibeau. Il est con­sul­tant pour les édi­tions Les Alpes de Lumière. Directeur de pub­li­ca­tion de la revue de pho­togra­phie en ligne TERRITOIRES VISUELS https://emav.fr/revue-territoires-visuels/ 

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