Il y a des personnages dont une jeune femme, Ada qui pourrait s’appeler Juliette. Il y a un narrateur sans nom mais qu’on identifierait à Roméo. Il y a au moins une famille comparable aux Capulet. Surtout il y a un destin inexorable, terrible. Alors, comme le prétend l’auteur, est-on face à un récit ?
Sous son masque de cire une lueur persiste — Mathias Lair — éditions L’Atelier du grand Tétras — 72 pages — 14 €.
Le narrateur se culpabilise : « Au-delà de mon intention de la secourir, aurais-je cultivé la folie d’Ada ? » Car entraîné par son amante, avec la tentation de la comprendre, n’a‑t-il pas, parfois, répondu à la violence ? Mais pouvait-il se battre contre la fatalité ? Avant l’amour, avant le déroulement de la tragédie, tout était là mais ni le narrateur ni Ada ne pouvaient en avoir conscience. Oui, de la plage à la page, il y a les mots dits entre ces deux âmes, il y a désormais l’émotion intacte qui reste « noir sur blanc ».
Noir sur blanc, les mots sont là désormais, écrits. Pour échapper au naufrage, au sien autant qu’à celui de l’être aimé et agonisant, toujours agonisant, le narrateur se noie dans l’écriture, seule façon pour lui de sortir la tête de l’eau. Le lecteur n’est plus dans le récit, pas même dans la fiction mais dans la poésie pure. Les phrases déstructurées, tantôt longues et cisaillées, tantôt courtes et sèches le plaquent, l’envoient dans deux folies qui se répondent, celle individuelle d’une victime digne d’une tragédie grecque et celle collective d’une société sans âme. Un tourbillon d’images décrypte l’enfer d’une malade, l’enfer de celui qui l’accompagne et l’enfer de la prise en charge kafkaïenne de ceux qui ne sont pas assez dangereux pour être fous, pas assez vieux pour être impotents, pas assez fous pour être impotents, pas assez impotents pour ne pas être abandonnés à leurs souffrances, laissant les aidants ou les familles dans le plus parfait désespoir, si l’on peut affirmer qu’un désespoir puisse atteindre la perfection, un désespoir aussi parfait que celui du malade.
Un petit roman, un grand poème à lire absolument.
Présentation de l’auteur
- Valéry Zabdyr, Injures précédant un amour légendaire - 6 février 2024
- Jean Claude Bologne, Légendaire - 21 octobre 2023
- Yves Boudier, En vie/intra-foras - 5 septembre 2023
- Waston Charles, Seins noirs - 21 octobre 2022
- Julien Farges & Valéry Molet, Fermeture ajournée des zones d’ombre - 29 août 2022
- Sylvestre, Un regard infini — Tombeau de Georges-Emmanuel Clancier - 21 juin 2022
- Ludovic Bernhardt, Réacteur 3 [Fukushima] - 6 juin 2022
- Continuer jusqu’à la fin, avec Mathias Lair - 20 avril 2022
- Un poème, c’est sûr - 19 octobre 2021