J’ai marché jusqu’au bord de la mer, là où la
rivière, glacée par la plage de galet, se déverse
dans un torrent doux-salé.
J’ai cru qu’à l’embouchure tout prendrait un
sens. Dieu, l’univers. Et même toi. Je me suis
allongé dans le lit de la rivière, le roulis des
vagues me berçait en s’écrasant à mes pieds…
Et j’ai regardé le ciel en attendant la fin du monde.
Un pêcheur a sorti un poisson de l’eau. Plus
loin, un rire a percé le ronronnement des
vagues. Une femme a posé sa tête sur l’épaule
de son partenaire. Et moi ? Et moi je ne me suis
même pas noyé.
J’ai fini par regarder en arrière. J’étais loin.
J’aurais voulu mourir ici. Me noyer sans le faire
exprès. Qu’on me pleure, qu’on se rappelle de
moi comme de celui qui était si brave, si triste,
qui a tout essayé. Avant d’aller tout gâcher.
Et j’ai rebrousé chemin. Sain et sauf, juste
mouillé. La rivière n’a rien gardé de moi. Ni
l’empreinte de mes pas, ni ma pisse, ni les galets
que j’ai ricoché. La mer avait tout emporté. La
vie reprenait son cours.
Papillons de nuit
on s’est réveillé
en défaisant les plis
du matin
ceux qui ont fait les ombres
de la nuit
la tresse enroulée de nos corps
enjambés dans les draps
de mes bras
les entrelacs de nos cils
où dorment encore
des restes de noir
un battement
et s’envolent
les derniers papillons de nuit
Le paravent
Son regard se perdait
au-délà du paravent.
Discrètement, je le contournais pour voir ce qu’elle scrutait ainsi. Rien.
Rien de visible. Pas pour moi. Elle regardait le bois.
A travers le bois.
L’autre versant du paravent,
celui où l’on met de côté les choses invisibles à soi-même
qui réaparaissent de temps en temps
dans les regards absents.
Ses yeux étaient rivés à l’intérieur.
Parfois ils tressaillaient de droite à gauche
comme si elle commandait de cet imperceptible mouvement des ordres à des objets secrets.
Aux jours meilleurs
quel est le prix
de ces sourires charnus
bouffis
qui déforment tes traits
ravagent ton visage
du poids du bonheur
il pèse sur toi quand tu ris
comme l’amant passager
qui a servi à noyer
la solitude
personne ne voit
les cicatrices
que laissent les sacrifices
offerts aux jours meilleurs
et le rire que tu portes
comme un creux
Tout brûler
je crois qu’il faudra tout brûler
mon amour
tout
pas seulement les téléphones la télé le canapé
tout
la maison la voiture
les papiers surtout
je crois qu’il faut tout brûler mon amour
tout
on dira aux enfants que c’est un jeu
on dansera
je ne sais pas
on leur dira que c’est pour Dieu
un feu de joie
ils nous en voudront pas
il faut tout brûler mon amour
sinon on vieillira
le cul bordé par la télé
à soutenir les discours de ceux qui font tout
pour empêcher que les autres aient
ce qu’on n’a jamais su prendre
on peut tout recommencer
se réinventer
mais il faut tout brûler mon amour
tout