En cette solitude
Notre vanité se dénude
Vent âpre qui lapide
Une terre précaire
Déjà le froid nous prend
La nuit en son désordre nous précède
*
Tombées
D’où
De quel ciel
En quelle préhistoire
Pierres
Immobiles
Au plain-chant des labours
*
Pays déshérité
Terre inhospitalière
Territoire de la soif
Que seule l’amitié désaltère
*
Telle la roche soumise au froid
Ma langue mutilée se délite
Telle joie enclavée
Telle une harpe bègue
*
Ruines
À la lisière du vide
Par la nuit noire trop étreintes
Vigies
Levées à contre-ciel
Comme à remords
*
Le vent
Toujours plus large
Épuise le rossignol
L’aube du long partage
Lui redonnera souffle
*
Au carrefour minéral
Pour un instant
Encore
Ma langue s’arrache au néant
*
J’emprunterai la voie étroite
La route blanche de l’ascèse
Au large
Des bergeries de pierre sèche
Où la source de parole
Ne tarit pas
*
En cet asile
Un souffle nu m’escorte
Et déporte mon corps
Hors des ornières qui blanchissent
Ma liberté grandit
*
Soudain
La horde des arômes
Cet œdème bleu qui bourdonne
La déchirure de l’essaim nuptial
Le cérémonial de l’urgence
*
Au terme
Des terres réfractaires
Ma gorge s’élargit
Sous le surcroît du jour
∗∗∗
Notre-Dame de Lure
Notre-Dame de Lure
En ta très haute solitude
Notre-Dame des devineurs d’eau
Des fontaines avaricieuses
Notre-Dame du vent têtu
Soufflant du bleu à perdre haleine
Notre-Dame des humbles des pénitents
Des récoltes frugales
Notre-Dame du bon secours
Étoile de miséricorde
Notre-Dame des mauvais jours
Ta barque pétrifiée au cœur noir des hivers
Ô rose minérale
Notre-Dame des nuits d’été
Bergère des chemins lactés
Notre-Dame des orages acerbes
De la foudre jetée en pâture aux errants
Notre-Dame des terres opiniâtres
D’où montent les parfums votifs
Notre-Dame des hommes noirs et des reclus
En ton insatiable désert
Notre-Dame des abeilles
Aux ruches limoneuses
Notre-Dame de Lure
Pour l’obole de ton silence
Enfances
La forêt
son flanc que meurtrissait la roche
et des rochers encore arrachés au néant
L’oripeau des hivers jeté sur nos épaules
pour nous forger une âme
La fièvre des étés sur nos fronts calcinés
pour congédier l’effroi
Ainsi nous grandissions
Les fleuves indociles les rivières vespérales
et les vallées où l’on ployait l’échine
pour nous donner un cap
Le mépris où nous étions tenus attisait notre orgueil
Penchés à la périphérie des sources
les larmes étaient notre lisière
Ainsi nous grandissions
Dans le secret des nuits
mûrissait l’autre langue
l’alphabet nu de ses syllabes
Pour proclamer les vraies couleurs du monde
la rage turbulente du multiple
ses joies et ses blessures
Pour que le feu des mots invective nos cendres
Passage des chimères
Mère j’ai parcouru
bien plus de la moitié du chemin
à ce jour
et me voici désormais ton aîné de trois ans
Je reste pourtant cet enfant
qu’aux beaux soirs
en été
le chant du merle traversait
comme une épée
Et tu passes toujours
tes doigts inquiets dans mes cheveux
Pourquoi m’as-tu rendu le goût des larmes
En ton lointain pays de brume
tes peurs d’oiseau blessé ont été congédiées
et les muettes étendues ne te font plus offense
Le pays où peu à peu je viens
Où tous deux
lentement
nous descendrons
la route ancienne de l’église
jusqu’à la place près du fleuve
où jamais tu n’allas
Et je tiendrai ta main
Le sourire de ma mère
Dans quel repli du temps se cache désormais
l’ombre de ton sourire
Dans quelle obscurité des nuits que je parcours
cherchant obstinément
ne serait-ce que ton fantôme
Mais si se croisaient à nouveau nos chemins
pourrais-je seulement te reconnaître
masquée que tu serais de cendre et de douleur
tu passerais
les yeux fardés de la couleur des peines
plus anonyme que le vent
Et je m’éloignerais
vêtu de silence et de brume
courbé sous le faix de l’absence