Coquelicots
Vive les coquelicots
Qui ne vivent pas en pots
Sitôt cueillis
Déjà flétris
De plein champs ou des fossés
Toujours fleurs de liberté
Sitôt les blés moissonnés
Tache de sang sur lit doré
Pour mourir au champ d’honneur
Foulés sous des corps aimants
Suantes roulades de senteurs
Mieux le poids des amants
Que le bras du faucheur
∗∗∗
Bleuet
Honneur au grand bleuet,
Qui bataillait jadis en caracole
Avec ses sœurs, les rebelles messicoles.
Toujours droit et fier même en bouquet,
Insoumis, mauvaise herbe, feu follet,
Défolié, arraché, désherbé,
Pourchassé au milieu des prés,
Débusqué au bord des fossés.
D’apogée en périgée,
Grain de beauté azuré,
Rousseur des champs de blé,
Étoile des centaurées,
Des campagnes as-tu vraiment disparu ?
Roi des sauvageons, quand reviendras-tu…
Peupler mes rêves enfantins
Annoncer de bleus matins
Des aubes prometteuses
Des journées heureuses
Sans sacrifice d’adventices
Sur l’Hôtel-Dieu des artifices.
∗∗∗
Ortie
De toutes les mal-aimées
Tu es ma préférée
Princesse des faubourgs
Tu veillais à tous les détours
Gardienne des potagers de sacristie
Ortie
Des terrains vagues tu étais la vigie
Reine Fée des ruines endormies
Veilleuse des chantiers inaboutis
Au moindre oubli tu reprenais tes droits
Repoussant partout sans foi ni loi
Ortie
Des tournois d’enfants tu étais l’épée d’ordalie.
Du temps des pantalons courts, les mollets rougis
Craignaient tes martinets punitifs fouettant jusqu’au sang.
Pour l’alchimie casanière, médecine de troisième rang,
Tu devenais en sorcellerie du quotidien,
Décoction, cataplasme ou purin,
Remède des poitrinaires et des jardins.
Ortie
Soupe de Romano
Soufflé de chemineau
Des banlieues de jadis tu étais le pavot.
Androgyne Seigneur magnanime et hospitalier
Tu accueillais en tes buissons ensauvagés
Tout ce qui était, comme on disait, jeté aux orties
Modeste détritus ou imposant encombrant
Ustensiles brisés cassés ébréchés déjà rouillés
Abandonnés délaissés oubliés dépassés.
Sous ton couvert protecteur et urticant
Tout déchet pouvait en paix finir sa vie.
Ortie
Encore mille mercis
Pour ton piquant écran, cachant
Nos jardins secrets d’enfants,
Friche de rêves où des rebuts en répit
Nous tenaient lieu
De graal merveilleux.
∗∗∗
Chardon
Tu es ma rose à moi, chardon !
Habitant de lieux sans toit
Dans la sèche garrigue à moutons
Dressé bien haut, bien droit
Tu piques, griffes et cardes la laine
Discret soutien des gens de peine.
Chardon Carline
Cardabelle Cardoline
Au ras du sol, fleur de soleil séché
Cœur de lune asséché
En rosace desséchée
Crucifié aux portes des granges
Devenu immortel archange
Tu nourris les rêveurs
Tu écartes les rodeurs.
Sur le bois vieilli des entrées
Cloué en porte bonheur
Au seuil des demeures
Tu chasses les damnés
Les mauvais esprits
Tu veilles au sommeil des bergeries
Herbe démon des brebis égarées.
Des bergers et promeneurs
Serais-tu l’éclaireur ?
Calvaire végétal sur ta tige,
Protecteur imaginaire,
Vivace force sorcière.
Hors nos voies royales sans repères
Talisman de peu, tu ériges
à la croisée de quelque chemin,
En nos temps incertains,
Une goutte rosée
De sérénité.
Photo de Une Ailes de verre © P Marchesan.