Quentin Baffreau, D’hier soir

Par |2022-11-06T09:15:28+01:00 6 novembre 2022|Catégories : Poèmes, Quentin Baffreau|

1.

A l’ombre de la chandelle
Le mar­ron pâlit

Les cail­loux de sang de l’automne
Frappent
Aux fenêtres dépouillées

J’ai peur
J’ai froid
Je ne peux pas

2.

Un matin
Il y eut le bruit d’un papi­er que l’on froisse

Ouvrant les yeux, nous
Sommes devenus muets

Nos yeux ouverts sur le grand noir :
L’argus piégé dans un verre obscur,

Entre deux briques, le ciel,
Une rose cernée de mar­bre rose,
La douce-amère sous le joug du soleil

Nos mus­es, des murs,
Des loin­taines prisons,
Des hori­zons carcéraux

Il y eut aussi
Ces deux hivers
Et d’autres,
Moins silencieux

Il eût fallu
Que la neige fonde,
Que les cen­dres absorbées,
Que la chair des noms
Soient adressées,
Par nos lèvres noires, creuses,
Que le silence soit rendu

3.

Sur le bas-côté,
L’horizon bleuâtre
Bridé par d’obscures lignes
Tournées vers l’enfer

La mue humaine
A perte de vue
Sem­ble un ciel embourbé,
Un dia­mant de poussière

D’hier, l’horizon était un sac d’orange
Sur un vélo qui passait,
Un infi­ni de poche,
Des livres dans une chambre,
Et dans cette chambre
Une fleur blanche à la fenêtre

Aus­si reculé
Que les bogues d’automnes,
Qu’une fleur de muguet dans les ombres

Ton sourire, toujours
Un pli de boue,
Une pluie qui va d’est en ouest,
M’accompagnait vers quelques gouf­fres de fleur

De nuit sur le chemin,
Le vis­age creusé
Du soir, ton visage
En grève noire de sourire

De nuit sur le chemin
Aux ongles noirs de la terre :
L’inavouable séjour

Chaos bleu du soir
Je serais mort
S’il ne m’avait ravi
Aux ser­res de la seule vue

Quelques morceaux de miroir
Sous des pas. Aux prières crissaient
Le silex noir et proche,
Le noir grouille­ment des rêves
Dans une haie flammée

Epars reflets sous les bottes
Trouées de l’écriture
Que les astres éti­o­laient, silencieux

D’une vague impos­si­ble, d’une rive amère, ces mots sont passés des pâles cail­loux du ruis­seau jusqu’au coqueli­cot au rebord de la nuit ; une réponse à l’ombre : que la mort soit une réponse, que demain soit la mai­son, une voix sans savoir, et ce vis­age entre les murs, et ce vis­age étreint de brume et de feuillage.

4.

Désert de veiller au silence
L’effort du mot
Vacille

Les mur­mures de la braise
A l’heure du chant cadet,
A l’heure des bûch­es blêmes
Et des bou­quets pourpres

Je fuis

Des cail­loux blancs
Sous une robe rouge sang

Sur la bar­que rosée du rameau
Sous une pluie fine de cendre

Vers un sourire

Une ruine ajoutée à l’histoire

Mais je n’ai fait, ce soir-là, qu’effleurer

L’autre sourire,
Plus opaque, plus tardif,
Por­teur d’une rumeur
Plus som­bre qu’une fenêtre d’été

Le voir
Je ne peux

Mais un sif­fle­ment dans un brasier,
Un éclat au-dessus du gouffre

5.

Je regar­dais le ciel
Et ses ombres sur la terre

Les avers­es gâtaient mes fruits
Mais ce n’était pas grave

Je les lais­sais tomber
Comme des étoiles dans l’herbe

Vous les regardiez comme on regarde
Les yeux ou le sourire
De quelqu’un qui s’en va,
Vous regardiez cette chute bénite,
Vous souri­iez au sourire d’été de cette ruine

Les tertres qu’ils formaient
Etaient comme autant de fêtes,
Autant de con­certs dans les squares en fleurs,
C’était leur dernière danse
Avant d’être cueil­li par la mort
Jusqu’aux prochaines chan­sons de mai
Des étoiles sous un pommier
Comme des refrains de feu

J’ai peur et froid, je ne peux pas. La nuit m’ouvre son regard noir, mes doigts s’y posent sans y laiss­er leur ombre, à pas de loup, comme un duvet, comme une fleur sur un banc de neige. Par­fois, avec le tran­chant emprun­té d’une étoile, je coupe les plis de ses pages brunes. Mais son cœur est de craie et s’écrit avec du vent, et c’est moi qu’elle coupe, et c’est moi qu’elle brûle, et comme l’éphémère, entre jour et nuit, je ne peux, de ce peu de lumière.

Présentation de l’auteur

Quentin Baffreau

Né en 1998. Il se sou­vient qu’un été, il devait avoir quinze ou seize ans, il entra dans une librairie et acheta Alcools d’Apol­li­naire. Il igno­rait tout du monde qui allait s’ou­vrir, bru­tale­ment. Il y eut ensuite le lycée, des ren­con­tres, des lec­tures, les pre­miers poèmes ; main­tenant, il y a l’u­ni­ver­sité, entre philoso­phie, let­tres et his­toire de l’art. Dans tout cela, lec­ture et écri­t­ure se suc­cè­dent, ryth­ment son temps, sa vie et, telle une pein­ture du vieux pein­tre Wang-Fô (Yource­nar, Nou­velles Ori­en­tales), lui ouvrent des rap­ports à la lim­ite des sens humains. Quelques-uns de ses textes vont prochaine­ment paraitre dans les revues Lichen et La Page Blanche.

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