le vent sinistre dans les peupliers – elle
associe depuis toujours ce bruit à un
malheur, quelque catastrophe qu’il présage
– mon poème aux pavillons d’oreilles fines
saisit cette menace, cette inquiétude
longeant le canal : les écluses retiennent
l’eau, les sons qui se combinent – ça sent le
bois pourri, le feu de bois dans la forêt
qu’elle imagine – nous entendons au loin
des chiens de chasseurs, puis la mélancolie
arrive sur nous par bouffées, intervalles
– elle paraît s’échapper de la bouche même
des arbres que je chausse de baskets, à
qui j’enfile son blouson pour cheminer
] Vaux
∗
un joli petit bruit – nous rebroussons tous
chemin creux devant ce qu’elle a pris pour une
source, qui s’avère rétrospectivement
un reste de ruisseau se perdant parmi
la prairie – avons croqué dans la galette
du crépuscule un ou deux quarts d’heure plus
tard : le ciel émiettait sa lumière sur
la cime crénelée des arbres, marchait
sur les forêts – tout était sauvagerie
calme autour, tranquillité irradiant cette
terre qu’aucune métaphore ne par-
vient à croquer – il n’en est guère resté
la nuit tombée – ces souvenirs secrets, quelques
cupules, et des glands au fond d’une poche
] Beissat
∗
les oiseaux qui vont boire partent pour la
baignade – ma petite a lâché la phrase
précédente, ou un propos y ressemblant de-
puis la voiture, levant les yeux au ciel
dont un menu morceau a émergé entre
les immeubles, derrière le pare-brise
– elle a remarqué que les freux chaque soir
descendent à la rivière, à la brune en
ville, venus des côtes qui la surplombent
où ils retourneront – les berges deviennent
la bouche du monde s’abreuvant d’eau : quel
pays merveilleux s’est ouvert entre les
deux lèvres de ma fillette – elle en étrenne
l’histoire, éteignant ces néons clignotants
] Montluçon
∗
nous serons allés, nous croirions à la mer
pour un peu – les lumières du port sur la
berge opposée sont celles du parking de
l’étang, pas les reflets de celles de la
station balnéaire que nous fantasmions
– nous longeons la berge, nous la longeons : j’en
suis longé à mon tour, poursuivant tout droit
pour gagner le pont de bois franchissant le
ruisseau – les bords sont des limites dont nous
ne connaissons pas la limite : l’eau re-
prend son cours telle la vie après la digue
dont l’éclusier a ouvert les vannes – je
reviens près de l’école de voile où j’a-
vais rendez-vous, plein de cet écoulement
] Étang de Sault
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des bouts de neige sur le pré, restes de
chutes de la semaine – j’écris depuis
l’intérieur de mon vécu sans que je sois
en capacité de faire autrement, fuir
mon tempérament – ces reliquats sur le
sol en haut de la côte réveillent quelles
rêveries, sont les débris de quels instants
dont je croise les ruines, j’exhume les
vestiges, virant à gauche – l’eau de fonte
s’écoule dans l’herbe qui servira de
nourriture au bétail : les vaches dans le
pâturage s’en gorgeront jusqu’aux sexes
– ça sentait la betterave fourragère
tout à l’heure – la vie respire, charnelle
] Les Réaux