À L’ORANGE SANGUINE
J’ai vingt ans et des poussières
la musique n’a jamais pu s’accorder à mes doigts
– je suis du dernier cri
Des ombres rouges remontent le fleuve
elles me fouillent du regard
Le silence des arbres me pousse jusqu’au ciel
je frôle la beauté des choses la mémoire du vent
j’avale les couleurs
Des mots muets me parlent à l’oreille
d’étranges vers me trouent la peau
Je n’entends plus que le bruit des larmes
je m’habille trop des autres
je perds le contrôle
Des lambeaux de lumière tombent des fenêtres
je mange la nuit par le noyau contre gorge serrée
Les langues amères se délient jusque dans mon cou
– je baisse la tête
Au bord des précipices
je chine les morceaux de ce que j’étais
le froid me suit à la trace
Je me nettoie à l’orange sanguine au feu des sacrifices
J’ai fait ce que j’ai pu
je ne suis pas né – coupable
je le deviens
LES EAUX PROFONDES
J’ai retrouvé les eaux glacées
les eaux profondes
d’où naissent les ombres
les couleurs de l’enfance
du temps où j’avais le cœur
aussi fragile
que la tête d’un oiseau
le torse couvert de ronces
et d’espoirs
à dévorer le monde
Maintenant
je ne crains plus la nuit
j’écris
AVIS DE TEMPÊTE
Les visages
prenaient leur air bouffi
des jours de grandes marées
Un silence
– et ce bruit
qui revenait sans cesse
Ça sentait les reproches
et la douleur qui traîne
ventre à l’air
Les mots cinglaient
en larmes coupantes
noirs comme des trous d’aiguille
J’écoutais leur écho
tournoyer sur mon front
cognant sur la terre molle
Et puis soudain
plus rien
que mon cœur d’enfant – abîmé
La mer
avait avalé la dune
il ne restait que les eaux
LA BÉNÉDICTION
Et on répétait ce geste
en s’aspergeant la nuque
comme une bénédiction
qui nous sauverait des eaux
Nos âmes impatientes
se frôlaient du regard
avec leur air complice
Le large s’offrait à nous
noyé d’incertitudes
et de vagues remords
C’était l’été
bercé par l’insouciance
et les vaines colères
On s’étonnait de vivre
toujours
un peu plus grand
À pousser les frontières
– encore vierges
de la fin de l’enfance
UN GOÛT DE PÊCHE
Ses lèvres
avaient un goût de pêche
Il y’avait ce sable
qui se froissait sous mes pieds
Et cette lumière bleue
qui descendait de ses yeux
Je voyais bien que la vie
serait plus grande à deux