Com­bi­en d’alouettes faut-il pour alléger ses fan­tômes et renouer avec la vie ? Le sang d’une seule peut-il suf­fire « dans la gorge du matin » ? C’est à un long chemin con­tre la perte, con­tre la peur, auquel nous assis­tons dans ce recueil d’inspiration auto­bi­ographique, organ­isé en 24 chants précédés d’un préam­bule, une longue tra­ver­sée des saisons sur un vol d’alouette, haute­ment chahutée par la vie, jusqu’à en mourir.

 J’ai marché si longtemps / J’ai marché dans mon oubli.

 

Ain­si s’ouvre le recueil sur une sen­tence prophé­tique attribuée à un vagabond de pas­sage « aux yeux sar­razins » en route pour un loin­tain « fin­istère » (la Bre­tagne est partout présente dans le recueil jusque dans l’homonymie avec la fleur de blé noir). Et c’est la même errance sans réponse que con­naît la nar­ra­trice sur « la nuit sans clé ». La poésie elle-même perd toute fig­ure entre « miz du » et « miz kerzu », les mois noirs de la langue bretonne.

Mirac­uleuse alou­ette. Il suf­fit un jour de redire le mantra pour que les choses s’accomplissent, que la sai­son redonne une clé de « joie neuve », « je pou­vais marcher /et je mar­chais encore / je mar­chais / dans mon oubli ». La poète n’est plus seule sur la route : avec elle chem­ine un être aimé des abeilles et des pieds d’alouette. Mais bien­tôt la fameuse phrase sert d’obole à celui qui s’en va « en bar­que sur le fleuve ».

Mérédith Le Dez, Alou­ette, Le Man­teau & la Lyre, Obsid­i­ane, févri­er 2023. Bourse Gina Chenouard de créa­tion de poésie de la SGDL 2022.

S’ensuit au fil des années une série d’épreuves alter­nant destruc­tion et résur­rec­tion. Le paysage a beau chang­er, ce sont les mêmes soubre­sauts, les mêmes ressacs. Pau­vre alou­ette à qui rien n’est épargné mais qui revient, tou­jours, légère et tenace. Car, si frag­ile soit-elle, elle sait se faire phénix « sur la page blanche / d’un poème retrou­vé ». Et la vie recom­mence, la mer rebrasse les mon­des dans « la joie jubi­lante / de l’oiseau mer­veille ». Jusqu’à ce que. Alors résonne à nou­veau la fameuse phrase : il faut con­tin­uer de marcher dans son oubli, « dévoré d’ombre et de clarté » et, qui sait, renaître au chant revenu.

La langue tenue et sen­si­ble de Mérédith Le Dez, sculp­tée, archi­tec­turée, avec ses sub­tils reliefs lex­i­caux et gram­mat­i­caux, ses échos entre les mots, ses dis­crètes références lit­téraires, ses repris­es, ses images fortes entre terre et mer, sait tress­er la longue corde des saisons et des âges : sou­venirs, douleurs, joies, désirs, perte, dérélic­tion, résur­rec­tion. L’alouette, chaque fois, accom­pa­gne la route, son chant devenu force de vie, envers et con­tre tout. On remar­quera dès le début du poème la récur­rence de ter­mes liés au cheval comme si la vie était tou­jours en retard d’un galop sur le vol de l’oiseau.

On referme le livre, bous­culé par les heurts, les drames, les obsta­cles, avec la volon­té dans les jambes d’aller nous aus­si « à tra­vers le monde », une alou­ette au cœur, à jamais irrésolue.

Chante, belle alou­ette, autant que tu peux. À toi seule tu rééquili­bres le monde.

Extraits :

 

XVII

L’air était de sel
le temps était de sable
le ciel était chemise
bat­tant pavil­lon blanc

Alou­ette
une voix montait
algue nouée
d’en­tre les coquillages
frayant inexorable
sa pure traversée

Une voix
comme un arbre
con­stel­lé de lichen
ray­onne dans l’ombre
après la mort

Et racine prenait
inscrite par les veines
dans le corps agrandi
l’al­lure des lianes
obscures

des brunes lianes
rêvant tou­jours sous la mer
aux forêts pétrifiées.

XXIV (dernier fragment)

Il faut aller

alou­ette cornaquée

par l’invisible.

Présentation de l’auteur

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Marilyse Leroux

Mar­il­yse Ler­oux, née à Vannes au bord de la mer, mem­bre de Don­ner à voir depuis 1986, éditée depuis les années 80 en revues, recueils et antholo­gies, écrit prin­ci­pale­ment de la poésie ou en fait écrire depuis 1976 au sein d’ateliers d’écriture pour jeunes et adultes. Elle est égale­ment nou­vel­liste (nou­velles pub­liées en revues et aux édi­tions Rhubarbe) et roman­cière pour la jeunesse (éd. Stéphane Batigne). Elle aime partager des pro­jets avec dif­férents artistes : pho­tographes, pein­tres (nom­breux livres d’artiste), col­lag­istes, écrivains, poètes, musi­ciens, car, chez elle, l’écriture se veut avant tout voy­age, aven­ture, ric­o­chets. Sa devise, emprun­tée au poète Saint-John Perse est “Poésie pour mieux vivre et plus loin.” Elle explore plusieurs voies d’écriture, en pre­mier lieu une expres­sion intimiste liée aux sen­sa­tions et à leur réso­nance intérieure comme dans : Herbes (Ed. Don­ner à Voir, 1995) Grains de lumière (L’épi de sei­gle, 1999) Le fil des jours, (Don­ner à Voir 2007) Quelques ros­es pour ton jardin (Ate­lier de Grou­tel, 2011) Le temps d’ici (Ed. Rhubarbe 2013, Prix des Écrivains Bre­tons, extraits parus dans Poètes de Bre­tagne, éd. de la Table Ronde), Ancrés, éd Rhubarbe 2016, Le sein de la terre, La Lucarne des Écrivains, 2018, Prix Maram Al-Mas­ri. À paraître en 2020 : Nés arbres, L’Ail des ours, On n’a rien dit de l’océan, L’Atelier des Noy­ers, Une île, presque, Inter­ven­tions à Haute Voix. Pho­togra­phie : Yvon Kervinio