Passeurs d’humanité. Derrière ce titre polyphonique se cache un regard humble sur les êtres et les choses, un regard discret et bienveillant, attentif aux détails qui révèlent beaucoup, attentionné envers les trésors presqu’invisibles que les hommes et les femmes portent dans leurs silences et leurs gestes de peu.
Les passeurs dont parle le poète Jean-Pierre Védrines, ce sont les personnes croisées au fil du quotidien, le vieux taiseux affairé à réparer les filets de pêche, et mettant un point d’honneur à accomplir sa tâche dans la dignité de sa solitude ; c’est la dame au fagot charriant dans son sillage la charge de l’hiver ; c’est le liseur psalmodiant son rythme intérieur à la terrasse du café, c’est la bergère heureuse de parler dans ce que l’on nomme un patois et qui est une langue, c’est le visage dénué de la marchande d’anguilles, etc…
Ces passeurs, ils sont ceux qui transmettent la part quintessentielle de leur humanité indivisible. Ce sont aussi, dans une acception plus clandestine, ceux qui, nocturnes, conduisent à l’abri et sauvent la meilleur part de l’homme.
Dans cette version des choses, c’est le silence qui prime sur le discours, c’est la preuve du geste souverain et noble qui ouvre l’espace contre les fausses humanités, ce sont les regards, les sourires, la pauvreté consentie comme un trésor, les paroles choisies qui investissent les êtres dans le grand corps humain.
Ces croquis en prose de Jean-Pierre Védrines disent en réalité beaucoup sur ce qui arrive en ce moment même au monde. Ils disent la part insécable dressée au fond des êtres surgis de la terre comme des arbres, façonnés sur le tour des saisons, polis aux vents, cette part qui est une épée relevant l’homme, cette part qui est une petite flamme projetant sa lueur contre tout ce qui tente d’atteindre le cœur humain des hommes.
Védrines dit, en contrechant d’un monde bouleversé, à contrejour d’un monde bousculé en son humanité même, en ce qui établit l’humanité du monde. Cette parole est poème en son apparence de retrait. Elle ne balbutie pas, elle murmure, chuchote à l’oreille compagne qu’elle ne parvient pas à atteindre les mots pour composer le chant. Et ce faisant, elle devient chant.