Nos jours
sont aussi impossibles à compter
que tous les troncs de cette forêt
mère de toutes les forêts
germination perpétuelle
On peut juste creuser une ride
détacher un morceau d’écorce
suivre le tracé d’une branche
avant le flou serré
On se souviendra qu’en marchant
on s’est accroché aux ronces
ou bien qu’elles ont tenté
de s’agripper à nos pas
Parfois la voie était libre
Là-bas on a buté sur une souche
Ici on était aveuglé par un trou de feu
dans la ramure
On entendait craquer les feuilles
rouler un caillou
On éprouvait un froissement
un craquement
Et puis on reprenait le chemin
à l’ombre des hallucinations
les poumons ouverts
notre vie en bandoulière
*
Rêver la mer
J’y entre
comme on fracture une vitrine de magasin
comme on retourne dans le ventre de sa mère
Parfois la nuit est dans le jour
la mer opaque
Parfois le bleu est invincible
sable semoule
brûlant sous la plante du pied
et parasols abritant les fantômes
Une plage où le temps
est devenu un terrain vague
un horizon perdu qui se redessine
et puis j’y vais dans ce lit de mer
sous cet édredon d’écume
j’y vais
*
Chaque été
je me retrouve debout sur le plongeoir
dans une immobilité de pantin
prête à en découdre avec les profondeurs
Chaque été
au goût d’orange amère
le ciel me tient lieu de drap
la joie aussi compacte qu’une dune
et pourtant je bois la tasse
au lieu de faire l’étoile de mer
Chaque été
j’évite de regarder le soleil en face
car on a trop de choses à se dire
alors que l’ombre m’accorde le silence
m’offre le sous-bois où toute servitude
prend la douceur de la mousse
*
Il existe une géographie
sans territoire ni langage
un passage d’écluse
sans remise à niveau
une fenêtre sans écran
un endroit non répertorié
non googlelisé ni labellisé
Je parle d’un ici
jumeau de là-bas
un ici détaché de l’ailleurs
un ailleurs que j’ai posé
sur la table de nuit
accroché au bord des jours
comme un feston
une figure géométrique
où les diagonales se taisent
à leur point d’intersection