Com­ment pos­er des mots dans l’instant ter­ri­ble, se tenir face à lui …

L’effondrement et le délire des human­ités nous oblig­ent à repos­er tant d’autres ques­tions, celles de nos juge­ments mêmes face à la ter­reur et à ses pro­jec­tions, celles de la vio­lence que nous légiti­mons et de celle que combattons.

Com­ment se tenir face à la ter­reur qui se pro­longe bien au-delà de l’horreur des actes eux-mêmes, par la puis­sance de l’image que l’on a fab­riquée d’elle ?

Com­ment se tenir face à la vision de l’horreur, pris entre dégoût et fas­ci­na­tion, et résis­ter à l’envahissement de cette plante car­ni­vore qui croit et s’insinue dans toutes les con­sciences et les imag­i­naires, paralysés entre peur et api­toiement, à tra­vers les réseaux médi­a­tiques qui inven­tent un nou­veau monde catastrophique ?

La ques­tion n’est plus de savoir où se situe la paix, ni de quel côté elle est, mais ce qu’elle peut être ?

Qui allumera main­tenant cette petite lumière même vac­il­lante, dont par­lait Han­nah Arendt, dans le cœur des hommes ?

L’humaniste du 16ème, résis­tant à l’intégrisme de Calvin, Sébastien Castel­lion (cité par Ste­fan Zweig dans Con­science con­tre vio­lence en 1936), écrivait : 

La postérité ne pour­ra pas com­pren­dre que nous ayons dû retomber dans de pareilles ténèbres après avoir con­nu la lumière.  (De Arte Dubi­tan­di, 1562)

Sylvie Séma, Winds and blue (wax, oil, pig­ments in serum).

Oui, nous con­nais­sons cette lumière pour­tant. Il nous est per­mis de penser qu’un autre poème renaî­tra au monde… le poème est une appari­tion, car il est le semis de l’âme, du Mana, du Duende, de tout mou­ve­ment de l’être.

De tous temps, nous le savons, la guerre a tou­jours été prévue d’avance… en temps de paix ! (Ce qui a le nom de Paix … la Pax Romana, la Paix civile… s’est sou­vent établie par des guer­res « pacificatrices »).

Ne devenons pas les réfugiés de la ter­reur, sans mémoires et sans demeures.

Le poème a tou­jours été la déclive fab­uleuse où une autre parole sur­git, où de nou­velles con­sciences se hèlent par-delà les gouffres.

De tout temps le recours au poème a été cette utopie lumineuse qui remonte de l’obscur des abysses.

Dis­cus­sion entre Sylvie Glis­sant, direc­trice de l’Institut du Tout-Monde, et Lise Gau­vin, écrivaine et pro­fesseure émérite à l’Université de Mon­tréal. — Cette ren­con­tre a eu lieu le ven­dre­di 8 novem­bre 2019 à l’au­di­to­ri­um Maxwell-Cum­mings du Musée des beaux-arts de Mon­tréal et a été présen­tée dans le cadre de l’ou­ver­ture de l’aile Stéphan Créti­er et Stéphany Maillery pour les arts du Tout-Monde. Pour en savoir plus, vis­itez https://www.mbam.qc.ca/fr/collections…

Image de Une : Sylvie Séma, Two suns one night (wax, oil, pig­ments in serum).

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Sylvie Glissant

Direc­trice de l’Institut du Tout-Monde depuis sa fon­da­tion par Édouard Glis­sant en 2006, Sylvie Glis­sant fut l’épouse de l’écrivain. Avec lui, elle organ­isa le Prix Car­bet de la Caraïbe et du Tout-Monde (créé en 1990), de nom­breux col­loque et elle eut l’occasion de soutenir avec lui la créa­tion du Prix Édouard Glis­sant par l’Université Paris VIII et la Mai­son de l’Amérique latine (per­pé­tué aujourd’hui avec l’Institut du Tout-Monde, l’Université Paris Lumières, la Mai­son de l’Amérique latine et l’Université des Antilles). Elle pro­longe par les actions de l’Institut du Tout-Monde les engage­ments qui furent ceux de l’écrivain (le Musée du Tout-Monde, le pro­gramme « Mémoires des esclavages », les cycles et sémi­naires, etc.) et en dévelop­pant des parte­nar­i­ats avec dif­férentes insti­tu­tions telles que l’Unesco, la FMSHS, etc. Elle est co-auteur avec Édouard Glis­sant de La Terre mag­né­tique. Les Errances de Rapa Nui (Seuil, 2007). Psy­ch­an­a­lyste clin­i­ci­enne et artiste pein­tre, elle expose ses œuvres sous le nom de Sylvie Séma. (Les Champs libres)