Extrait 1
Ma vie est un long chemin traversé de soleils et de nuits.
Et je n’ai rien appris
******
Un jour
je me suis agenouillé sur la plage de l’aube, l’attente du soir vibrait dans les vagues comme un
vin capricieux
Le temps rêvait
Les fleuves avaient suspendu leur course dans la mer vaste et claire
Et j’écoutais des silences
******
Sur la rive, un enfant et une femme jouaient avec une rivière
L’enfant ne disait mot. On eut dit ses lèvres scellées
Son visage, un regard
Sur sa bouche souriait un silence
La femme filait la rivière entre ses doigts effilés
Elle tirait de la mer de longs fils, tressés de brise et d’argent. Et une rivière naissait dans la mort
des vagues et la cadence de leur halètement
Et une rivière se levait à la naissance des vagues et des hanches océanes
La femme filait et chantait avec son visage et ses doigts
Alors les rivières glissaient sur le sable, les dunes, la terre,
dans les vals et les villages,
sur les continents, le ciel et ses venelles ardentes,
sur les franges idéales
au bord des étoiles
dans la poussière des vagues
Les rivières brulaient, des forêts bruissaient
Et je me souvenais
Vito, Chants du quotidien, Chant I, Naissances
Extrait 2
Les enfants ne rêvent pas. Les enfants ne mentent pas.
Ils entremêlent leurs doigts et un oiseau s’élève
Ils ramassent une pierre et la pierre devient pierre
Les enfants pleurent et leurs larmes sont le sel de leur tristesse
Ils rient de la mer qui est pleine de larmes
et la consolent en s’y baignant
Ils ne dorment pas. Ils veillent
et leurs doigts sur le sable tracent
les chemins immobiles de nos vies
Vito, Chants du quotidien, Chant I, Naissances
Extrait 3
Indifférence
Chaque aurore, chaque couchant est une indifférence. La lumière naît, la lumière meurt,
et je demeure dans ma chambre, seul, rêvant d’un train qui part.
Le matin trace un chemin dans l’espoir du ciel, et le soir vient sur les chants fatigués du
jour. Et ni le soir, ni le matin, ne me parlent. Ils meurent et vivent sans me dire un mot. Et je
pleure un peu puisque je suis heureux.
Ils ne m’attendent pas puisque je suis là. Ils ne m’entendent pas puisque je chante, seul
dans ma chambre, la plainte d’un train sur les chemins heureux, qui vient comme un espoir et
s’éteint en son soir.
Ils sont l’indifférence qui me ressemble. La paix qui m’apaise. Un feu qui n’attend ni
mon regard, ni ma joie, et ignore toutes mes peines. Un feu qui brûle sans moi et puis qui
disparait dans l’étang clair du soleil.
Ils sont le silence de la campagne qui s’éveille au bruit des cierges et des églises
solitaires. Ils sont les paupières qui se lèvent et s’abaissent dans le bois qui brille. Ils sont le gris
du ciel qui recouvre la terre. Ils sont la terre qui respire et sur laquelle je me couche, contre son
sein qui se soulève et me berce.
Ils sont la compagne qui me laisse vivre, et mourir. Puisque le matin vient et que le soir
s’éteint. Puisque je vais et que je m’en vais, là où les chemins retournent à leur fin.
Puisqu’ils sont l’aurore et le couchant, et qu’ils me laissent en paix.
Et dans l’indifférence de leur silence, je chante l’évidence de leur amour, de la lumière
qui croît et s’évanouit près de moi, pour que je vive et meurs,
près de leurs grands yeux de patience et qui m’aiment en silence.
Vito, Chants du quotidien, Chant I, Naissances
Extrait 4
Confession en prose d’un certain Vito
Je traversais la ville
Comme on découvre une femme
Sur l’asphalte
La nullité des fleurs
Un battement d’ailes rompait le soleil
Les ruelles battant sa peau
De nouvelles ardeurs
Vierge et naissante
Parée de bruit et de pierre
Elle me dérobait l’ingénue
De ses rets gris et modernes
L’indécise extase du vent
Les tremblements boisés de l’ombre
La mûre à mes lèvres
Les visions de l’air, l’horizon
L’éclat des frissons de l’hiver
Toutes les fièvres et les sources
Tout cela volé ravi pillé
Enclos entre ses reins gris
D’asphalte
Pourtant
Je me souviens
Perdu dans l’immense horizon de mes vies
Un homme de poussière et de ciel qui allait
Sur la terre qui n’oublie pas
Les mains brassant des soleils
Et sachant toutes les langues
Vagabond sans or
Souriant comme un fruit mur d’été
Ses yeux volés aux oliviers
Ses cheveux brûlés d’amour
Sans cesse assoiffé et jamais ne pleurant
Ivre de ses pas et des vignes qu’il saignait en riant
Il allait
Et seul le vent savait son errance
Je lui ai pris son nom et la ville a ri
Alors dans ma solitude, toutes les langues en moi
J’ai inventé ses soleils
J’ai déployé sur les avenues ses errances bordées d’impatience
J’ai semé dans les rues les vignes et les oliviers de ses yeux
J’ai converti les larmes à sa religion de feu pour exalter toutes les soifs
Je n’ai retenu de lui que l’amour
Et comme je lui devais un langage et un corps
Une vérité où mordre et vivre
De cet amour dont ne savait que faire mon âme
Du monde j’ai fait une femme
Mon insolence
Aussi
A chaque heure mon aimée,
Monde qui tournoie
Dans le songe de mon nom,
Ma souveraine, ma demeure,
L’impudeur et l’extase
Le sacrifice
Des vagues levées
Au miracle de tes iris
A chaque heure la chair et l’amour
Au grand jour mouillé de ton ombre
A chaque heure une gloire
Dans l’averse de tes paupières
Dans l’espoir du matin et des souffles incertains
A chaque heure un feu
Et dans l’instant de ce poème
Mon baiser à ta bouche donné
La folie d’un nom
La vie oubliée et ressurgie
A toi et tes lèvres ton corps et ton âme
mon inconquise
Et je traverse la ville
Comme on aime une femme
Aux seins rêvés
Enfin acquise
Vito, Chants du quotidien, Chant II, Cantique de l’amour
Extrait 5
Memento amo
« Il y a quelque chose de fondamental dans l’homme. Il ne change pas avec le temps. »
Aharon Appelfeld
Cela sera un peu long
mais le temps est une chimère
bien plus réel est
le songe d’une rivière
Ecoutez
La haine est exacte
Elle est exacte aujourd’hui
Elle est exacte hier
Elle est exacte demain
Elle ne change pas
Je ne raconterai pas son histoire
Elle n’a pas d’histoire puisqu’elle est exacte
Elle décompte les corps
Voyez dans les camps
cheveux jambes yeux dents ongles
nombres
matricules numéros
Tout cela est exact
décompté
Souvent les hommes content
Je les ai entendus
Je les ai lus dans les livres
Ils ont conté bien avant moi
Ils conteront bien après
Au bord de l’été
j’ai embrassé une femme
je lui contais son corps
Et ses yeux étaient pleins d’histoires
je l’ai écrit le vent le sait
Mais là-bas
qui deviendra aujourd’hui
demain hier
la haine décompte les corps
avec exactitude
C’est le fait de la haine
J’ai entendu ceci
Dans un train, en direction des nombres
et du vide
ce message glissé sous la porte
” Soyez tranquille les enfants, maman et moi nous partons ensemble. Papa. Vivez et espérez”
Dans l’exactitude de la haine, cette histoire. Une nuance
papa et maman sont partis ensemble
Là où on décompte les corps
Ecoutez-moi encore
L’amour ne meurt pas, même dans les cathédrales de colère, même dans la foule désenchantée,
même dans l’erreur et la méprise, même dans mes yeux fermés comme deux poings contre le
jour
Car l’amour est aussi évident que la mort. Et elle dit « Epouse-moi »
Même dans la terreur et la folie. Elle dit « Vis et espère »
Même dans la nuit d’un train, elle se glisse sous la porte
Deux mains qui se tiennent et se souviennent. Des reflets dans le ciel, de l’eau qui dort et des
yeux qui battent
encore
Souviens-toi de cette loi
Sous tes pas un baiser
Et dans les cathédrales
Sous la haine et sa joie
Aime
Vito, Chants du quotidien, Chant II, Cantique de l’amour
Extrait 6
— Je suis
le reflet du monde
et l’eau mon visage
Regarde ce paysage
celui-là
celui-ci et celui là-bas
Compte-les aime-les
Prends-les et
Vois
L’orage et la poussière
Les villes les précipices
Les fleurs les charniers
Les chairs ténébreuses des bois
L’épée des lacs
L’herbe flamboyante
L’arc des collines
La terre des tombes
et les églises
qui doucement transpercent le ciel
et doucement disparaissent
avec les cimes et les poignards de l’espoir
Vois
Ils sont mon reflet
et tu le sais
Vito, Chants du quotidien, Chant III, L’âme
Extrait 7
— Souvent tu te tais, et encore tu parles. Ainsi écoutes-tu mon silence. Ainsi tu m’entends
La rue ruisselait d’elle
et une forêt s’élevait dans les robes des femmes
entre leurs cuisses, son rire flamboyait comme un secret
Vito, Chants du quotidien, Chant III, L’âme
Extrait 8
Oraison
J’ai cueilli l’araignée
Dans le jardin abandonné
Corps villeux
Comme une mûre
Parée d’yeux
J’ai cueilli l’araignée
Et l’aube est morte
Comme le temps
Et les soleils couchants
Elle gardait le seuil
Des jardins endeuillés
Et des fleurs aux noms oubliés
Vigie velue
Elle était blanche au matin
L’amour l’a teinte
De rouge comme la mûre
Du sang des amants
Au soir elle était noire
Comme un songe mort
Et des mystères voguaient
Dans les vagues de sa toison sombre
Alors je l’ai cueillie
La solitaire
En sa tanière étoilée
De tombes
Je l’ai cueillie
Ma main en sa fourrure
Impure d’amour et de temps
Comme une piqure pleine de chants
Je l’ai cueillie
En sa demeure de toile et de deuil
Près de ma peur et la soie des meurtres
Entre mes doigts si doux
Qu’un désir y naissait
Comme on sème le sang
Maintenant je sais
Le nom des fleurs oubliées
Dans le matin des jardins
Terribles et retrouvés
Je sais leurs noms
De sang et de mystère
Plus tendres que la chair
Et ses violences amères
Ils sont comme le vent caressant
La toison de l’araignée
Invisibles et vibrants de désir
Vivants si vivants
Qu’il faut mourir
Pour les entendre
Et enfin
Les aimer
Vito, Chants du quotidien, Chant III, L’âme
Extrait 9
Nausicaa
L’ÂME
- Sous l’olivier tu rêvais
Un lit de feuilles était ta demeure
Une branche volait
Dans la terre des fruits
Et des foins sauvages
Une autre touchait le ciel
Des cités humaines et sages
Quel silence en ces feuilles !
On aurait dit une pensée de cendre
Sur ton corps posée
Un berceau de neige
Profond et calme
Comme une tombe
Loin du monde
Et des brutales raisons
Un lit d’été
Où luit alanguit
Le soleil étale
Dans l’eau des étangs
Et le val des bois verts
Que rêvais-tu ?
Caché
Telle une braise qui songe
Dans les bras des feuillages
En quel pays voyageais-tu ?
Bercé
Par les chants de silence
De la neige
Et des ombres amantes
Tu dors
Et dans les veines de l’olivier
Bruit une rivière
Qui t’adore
Mon beau sommeillant
Aux yeux noyés d’azur
******
VITO
- Et elles vinrent au matin
Du sentier indistinct
Poudré des cyprès
Et des vergers féconds
Elles vinrent
Près de l’homme indolent
Sous l’olivier aux branches d’été
Sans ennui et rêvant
En son asile navires et cités
Leurs beaux bras blancs
Jetaient sur l’herbe
Des reflets de neige
Et leurs bouches vermeilles
Un sourire de sang et de cerise
Au sentier levant
Un frisson de nuages
Caressait leurs cuisses
Pleines et déliées de soleil
De piété et des sourdes attentes
Ô belles lavandières !
Au vent de vos pas
Doucement se soulèvent
Les voiles de vos appas
Et dans le lit de la rivière
Rit votre reine
Vierge sauvage et fière
Des cités altières
Et dans le lit de la rivière
Sourit votre servante
Aux beaux bras blancs
Parsemés d’argent
D’eau et de lumière
L’ÂME
- Il est midi
Au seuil des citronniers
Leur chair palpite d’un désir de rivière
Sous l’olivier
Un linceul de feuilles
Berce et bénit
Mon beau sommeillant
Tu n’entends pas
Les vagues de l’onde
A leurs pieds dénudés
Foulant les linges
Noircis et souillés
Tu ne vois pas
Les corolles de ténèbres
S’évanouissant dans l’eau
Fraiche et dorée
Tu dors
Près de leur sourire
Saigné de lumière
Tu dors et je veille
Sur tes paupières d’aurore
Sur ta bouche d’encore
Et sur ton corps
Enténébré et seul
Près de mes sœurs
Qui se baignent et s’ébattent
Tu dors et déjà
Entre mes mains de feuilles
Ô mon ensoleillé
Tu t’éveilles
Une reine rit dans la rivière
Parmi le chant des jeunes filles
Le linge est blanc et leurs bras
Un champ sans semence
Dans le pâle matin des réjouissances
Entends mon amant
Un rire t’appelle
Et dans les veines de l’olivier
Te confie un chemin
Plus clair que les linges éclatants
Plus bleu que leurs attentes
Lavé de tes glorieuses
Défaites d’antan
Entends-le
Ce rire de lavande
Ouvre les yeux
En l’heure latente
L’insoumise te sourit
En son lit interdit
Et ainsi tu es libre
******
L’ÂME
- Enfin
Voici l’heure solitaire
Tu es nu
Elle est vierge
Un rameau dit
Ta verge élancée
En ses feuilles cachée
Et les sages impatientes
Dans le feuillage des souhaits
T’épient
Leurs yeux d’épines
Rivés à ta peau
VITO
- Voici l’heure des lisières
Et des éveils de la chair
Le rire s’est enfui
je l’entends encore
dans le vestige des îles
et en son blanc visage
soudain plus grand
qu’un silence
Elle me regarde
L’ÂME
- Et ses chevilles brisent l’eau
En caresses
Et bateaux solaires
la vrille des vignes
ensorcelle une ardeur d’été
Son corps
D’un peu de lumière
Dore tes lèvres
La rivière
D’un peu d’or
Eclaire ses lèvres
Tu la regardes
VITO
- Et des extases qui s’élèvent
De ma verge
Je donne à la belle vierge bouclée
Ailes et rêves
Le chant de l’olivier
Paré de ses astres violets
Souffrance Joie
quelques semences du ciel
égarées
Et la chair en moi retenue
Et la chair en elle déliée
dans la paix des embrasements
de nos corps séparés
L’ÂME
- C’est l’heure dit-elle
Solitaire et heureuse
Des adieux et des chemins
C’est l’heure dis-tu
Du rêveur qui s’éveille
Et des chemins futurs
S’émerveille
La chair est un refrain
De nuages et de voyages
Ainsi est venue
L’heure des lavandières
Et de la reine solitaire
Un sourire bat à la poupe de ses reins
Etincelant comme un souvenir
Brillant comme l’à venir
Et te dit
« Va ! »
******
L’ÂME
- Près de l’olivier et de la robe défaite
Passe le navire
Les seins gonflés d’azur et de nuages
Au faîte de la rivière
Dans la cale tu veilles
Un rameau posé contre ta cuisse
Comme un feu endormi
Et jetant dans les ténèbres
Une pluie d’étincelles
Et d’îles nouvelles
Vito, Chants du quotidien, Chant III, L’âme
Extrait 10
Sur la berge désertée, un enfant veille
Nul n’a entendu ses pas dans l’herbe sèche. Nul n’a vu son ombre claire, et fauve, se
dessiner sur le sentier, et venir s’agenouiller
sur la berge haute comme un soleil d’eau
Nul ne l’attendait, puisqu’il était déjà là
Bien avant l’olivier, le sommeil, les rêves et l’éveil
Alors qu’une vierge riait sur les paupières d’un homme
Hier, des îles chantaient le désir
Aujourd’hui, un navire invente nos patries
Et l’enfant veille sur la rivière qui brûle
Vito, Chants du quotidien, Chant III, L’âme