salle d’attente
derrière des portes vitrées
arbustes au vent ou corps convalescents ?
*
les pensées s’arrêtent
pile sur un point du lino
plus rien autour plus rien
*
dossier dossier poupées russes
coups d’œil sur des clichés
moue sourcils haussés feuilles mal classées
le docteur retarde sa parole
mais son corps a déjà tout dit
*
couloirs fléchés bandes de couleur
au sol et sur les murs
un jeu d’enfants
qui s’amuse à nous perdre ?
Sur le mont Janus, demeure secondaire du dieu des Portes, passent des silhouettes éphémères.
Ces ombres cheminent entre sapins et crevasses, à mi-corps parfois dans la blancheur muette.
Elles empruntent des sentiers défendus et des chemins gardés. Janus n’ouvre aucune porte.
Il observe. Qui pousse les portes et comment ?
La nuit tombée, les pistes abandonnées se peuplent. Ne pas se perdre ni dormir là où gèle le
sang et même le cœur. Avancer en flairant les pas de ses prédécesseurs. Franchir les distances
le souffle court, bousculer la peur qui gifle sans arrêt. Janus n’offre aucun abri. Bardé de nuit,
un long chemin reste à faire.
À l’orée de la vallée attendent accueil ou renvoi, matraque ou sourire.
∗∗∗
Le bitume est noir et brille de pluie, la petite route serpente légèrement ; entre deux hameaux,
un bosquet sombre. La brume a préparé la venue du crépuscule, au-dessus de la verticalité
singulière de chaque tronc, le feuillage foncé couvre le sol. Masses roussâtres, des vaches
marchent là, à pas lourds, ignorant superbement la pluie, elles s’avancent hors du bois, vers
l’herbe humide. De puissantes cornes font balancer leur front, dans leur sillage l’obscurité se
magnétise. Elles passent sur les mottes mouillées, enfoncent leurs sabots, les soulèvent, la peau
de leur cou pend et leurs cornes se balancent, ivoire-signes dans le sous-bois plein d’ombres,
leurs cornes renferment un langage. Je les observe attentive comme devant un film en langue
inuit. Elles me tiennent à distance. Brutes et sauvages.
∗∗∗
Imprimé dans la vase comme une patte de grue, un arbre couché à marée basse.
Jouet du fleuve et perchoir des échassiers, dans la lourdeur de la glaise, il sommeille sa mort.
Ses racines, quelque part, s’étirent
loin de lui.
La vase ne cherche pas à l’avaler, écharde échouée dans l’épaisseur de son ventre.
∗∗∗
La rivière coule entre ses berges étroites, à chaque coude accélère, cavale en petites cascades.
Elle chantonne et badine comme une volée de moineaux. Ses tonalités, soudain, entrechoquent
mes tripes et réveillent un chant. Je sens toutes ses notes jaillir en moi, elles sortent de leur
conque où l’âge les tenait cadenassées. Ce chant oublié dans les hautes herbes de mon enfance,
je le connaissais par cœur.
La rivière riante, aux fonds sombres, au corps brillant, m’accroche comme si j’étais toujours
l’enfant qu’elle a nourrit de ses balbutiements.
Je m’assois à son bord et
bute sur le temps comme un oiseau sur une vitre.
« Aperçu indisponible », c’est ce qu’indique une fenêtre sur l’ordinateur quand le système n’a pas réussi à ouvrir la photographie demandée. Je suis partie de là pour élaborer un recueil autour de l’idée de l’image.
Ce ne sont pas des images qui exigent d’apparaître. Ce sont des images qui sont chacune unique, ne peuvent être démultipliées, car elles sont chacune liées à une émotion particulière.
Ces poèmes représentent une forme de défi. Ils amènent à mettre de côté l’image hyper pixélisée, à la ringardiser par l’imaginaire personnel de chaque lecteur. Donnant à voir tout en laissant imaginer, ils accompagnent le regard, l’entraînent dans un apprentissage rebelle. Ils invitent aussi à voir l’écho de chaque image et à sentir leur pulsation, leur vie.
Par la poésie, le langage refuse ici de n’être qu’un médium, opérateur de visibilité. Le langage travaille à faire apparaître une image qui est aussi une émotion.
Poèmes extraits d’Aperçus indisponibles, à paraitre février 2024, La Crypte.