Charlotte Delforges, Chapelles – Entre rêves et réel

Par |2024-05-06T11:41:49+02:00 6 mai 2024|Catégories : Charlotte Delforges, Poèmes|

    J’écris dans des chapelles de pierre et de chair où pos­er mon regard et écouter. Dans 
ces lieux de calme et d’im­pas­si­bil­ité la vie sem­ble se réfugi­er et se laiss­er écrire, contourner, 
entre rêves et réel.

    J’écris pour ten­ter de dis­tinguer ce qu’une présence absente à elle-même ne peut 
révéler : les songes éveil­lés de l’in­téri­or­ité et cette per­cep­tion appro­fondie de la réal­ité que l’on 
appelle par­fois le réel.

    Alors dans l’inouï de l’in­stant et au-delà de l’ab­sur­dité qui nous inonde jail­lit une 
source nou­velle prête à étanch­er la soif en moi du poème.

    Ces textes sont comme des herbes gorgées de cette eau souter­raine entre visions 
oniriques et épipha­nies quo­ti­di­ennes, des petites pros­es à la voix de poème.

    Les sujets en sont divers, plus ou moins imbibés de nuit ou de lumière. Glanés au fil 
d’une écoute atten­tive, ils cherchent à évo­quer la lim­pid­ité d’une cer­taine beauté méditative.

Chapelle intérieure

 

    Au flanc de la grotte incluse lézarde le lierre blanc du pre­mier mutisme. Il porte des 
grappes de sang divin qui mûris­sent hors du temps et leur jus de lumière per­le en résonant. 
C’est ici que ce tient le silence. Ici, la semence est invis­i­ble, tout croît d’une balle d’ange à la 
main radieuse.

    La prière baigne ce lieu de paix où l’oiseau jette un cri muet qui touche l’âme comme 
s’il chantait. 

    La pierre est ten­dre et claire de grain, sa chair est meu­ble à l’e­sprit sain. C’est à son 
souf­fle que s’abreuve l’antre et sa matière s’émeut sous cette brise ardente.

    Au fond de cette grotte pre­mière, un mys­tère étin­celle, c’est la source dont s’éclaire 
cette nuit vibrante. Des ros­es de flamme sanglantes écartè­lent leurs pétales pour empourprer 
le brasi­er d’un bais­er de vestale. Leur car­na­tion s’en­flamme à ce foy­er silen­cieux, diaphane, 
dont la chaleur est vis­i­ble pour mon âme seule. 

 

    Dans mon cœur, les mailles sub­tiles d’un filet d’or per­cal­isé de visions plus que réelles 
s’é­tend sous le soleil.

Aube

 

    Je me sou­viens, j’avais dans la bouche tout un fouil­lis de ros­es blanch­es qui s’ouvraient 
en moi, et ma parole gelait avec l’aube. 

    Sur le rougeoiement encore limpi­de s’ap­po­sait les doigts blêmes de mes visions. 

    La lumière hési­tait à se lever devant l’aumône con­sumée de mon silence. 

    Ma chair livide pre­nait sa couleur à la gloire pur­purine d’un jour aus­si vierge que les 
origines.

Résurgence

 

    Dans la gorge de la nuit, une émeute de rêves s’engouffre par l’artère écar­late du 
songe. Pro­fu­sion de vie qui bat con­tre la mem­brane obscur­cie de l’âme. Nuée pâle bousculant 
les astres comme une armée lev­ée au cœur de la tem­pête. Ruée qui rompt mes veines, saignée 
de fan­tômes et de fer.

    La reine des ros­es au ciel coag­ulé salue mon retour d’un claque­ment bleu de pétales.

    Dans l’éther enfin ouvert, jail­lit de ma bouche le glaive de l’aube à la lame régurgitée. 
Ma tête rejetée en arrière, je crache un sang d’é­toiles dans une stran­gu­la­tion de lumière.

Après-midi d’été

 

    Les yeux mi-clos, je plonge dans le bour­don­nement du cos­mos, noir comme l’insecte, 
blanc comme l’éblouisse­ment. Deux nuances pour faire sour­dre l’essence de la vision, 
l’in­can­des­cence de la vibra­tion. Sur ma rétine les ombres se fondent au zénith, mes yeux mi-
clos dénudent les antonymes. La lumière est crue, je sombre. 

    Le brasi­er immole mes sens. Dans cette chaude accalmie l’in­cendie cal­cine ma chair et 
blan­chit mes os. Ma craie s’ef­frite con­tre les panora­mas obstrués des mirages bal­néaires. Des 
par­tic­ules de cen­dre sur­ex­posées s’en­v­o­lent vers la mer. Dans l’éparpillement, mon corps 
s’im­prime en négatif. Je vis l’envers du décor. Je me focalise… je m’é­va­pore, la crémation 
s’opère. 

    Je ferme les yeux et c’est l’éclipse. Le disque de mes paupières recou­vre le 
ravisse­ment qui s’é­vanouit. Illu­minée du dedans j’en­tends les chants de transe des bar­bares de 
basalte cou­verts d’ivoire. Je touche l’albâtre des dunes sous la vasque des nuits d’ébène. 
J’en­trevois des plages aux pieds des vol­cans qui crissent de nacre sous le pas du vent. 

    Noir, blanc, noir, blanc…

Ici

 

… Et je reviens tou­jours ici…

 

    Là, dans ce lieu apoc­ryphe où les choses irra­di­ent, tan­gi­bles comme le bat­te­ment de 
mon pouls, non pas sous mes yeux mais dedans bril­lant de la fusion retrou­vée, de l’in­stant qui
se dilate jusqu’à l’éternité. 

    Et je tire le fil tortueux de ma pen­sée pour que sa courbe se hiéra­tise et qu’à sa 
rec­ti­tude réponde chaque ligne pure du monde.

    Alors, je peux lire dans le réel comme dans des hiéro­glyphes fam­i­liers. Mon cœur 
seul, atten­tif et neuf, est ma pierre de rosette. A mon oreille s’é­coule l’en­cre fleurie du 
mystère.

 

    Ici, dans ce lieu utopique, le vert de la feuille éclate avec la fer­veur guer­rière du métal. 
Sa chloro­phylle coag­ule comme le sang du temps con­tem­plant sa joie de n’être.

    Là, le cri de l’hi­ron­delle s’est per­du et bour­donne longtemps après dans la maille fine 
du vent, à l’aube du réveil, au soir approchant.

    Ici, sous l’œil d’une rose trémière qui me regarde marcher, les traits ren­trés dans ses 
plis de vestale, le chemin passe sans s’étonner.

    Ici, la mort surgie a la mag­nif­i­cence à peine voilée d’un soleil de print­emps dont le 
glaive salue notre folie.

    Ici, l’amour malade nous déchire mais son par­fum est plus puis­sant que le bruit, et son 
ivresse dés­espère la nuit.

    Là, dans l’eau lumineuse aux squames d’é­toiles, des pen­sées marécageuses mouil­lent la 
coque d’une bar­que dans la nasse du temps.

    Ici, la let­tre est le cœur du dieu errant qui nous cherche sur la page, le signe de tous les 
présages et de tous les saisissements.

    Ici…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Charlotte Delforges

Char­lotte Delforges est ani­ma­trice en ate­liers d’écriture et art-thérapeute par l’écrit dans la Région Nantaise.

Après ses études en Let­tres Mod­ernes à la Fac­ulté de Nantes, elle tra­vaille dans le social auprès d’enfants autistes et d’adultes défi­cients intel­lectuels avant de se for­mer en ani­ma­tion d’ateliers d’écriture et en art-thérapie.

Pétrie de lit­téra­ture clas­sique et de musique, elle écrit des poèmes depuis le plus jeune âge et a déjà pub­lié quelques poèmes aux Édi­tions Amalthée en 2013. À tra­vers sa poésie, elle cherche avant tout à exprimer ce qu’elle perçoit de la beauté du monde et de son intériorité.

 Chapelles — entre rêves et réel est son pre­mier recueil.

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