James Sacré, Par des langues et des paysages

Par |2024-06-06T12:54:30+02:00 6 juin 2024|Catégories : Critiques, James Sacré|

Dans son adresse au lecteur, James Sacré des­sine une per­spec­tive où redécouvrir/découvrir des poèmes qu’il a écrits entre 1965 et 2022 à Cougou, aux États-Unis, au Maroc, en Gal­ice, dans le Langue­doc et en Ital­ie. Au-delà de ce qui est une tra­ver­sée tem­porelle et spa­tiale, il annonce que nom­bre de ces poèmes sont accom­pa­g­nés de tra­duc­tions, en anglais par David Ball, en arabe par Abdelka­d­er Haj­jam et en gali­cien par Emilio Arauxo. Mais comme on le ver­ra plus loin, il s’agit de bien plus que de la sim­ple présence de langues liées aux lieux qui ont inspiré ces poèmes.

Choi­sis dans un long par­cours d’écriture, ils sont des retrou­vailles avec les espaces de prédilec­tion du poète, ce qu’il a le don de faire jail­lir à tra­vers une couleur, des arbres ou encore le bruisse­ment des feuil­lages. petits mot cail­loux dans mon souli­er c’est plus com­pliqué le bon­heur que ce geste de jeter les restes. Ces poèmes ont été écrits en osmose avec les lieux, avec leur matière et ils émer­gent, tels les formes et les couleurs d’un pein­tre. On se fraye un chemin à tra­vers des paysages. Le bleu du ciel éblouit et les épines des buis­sons infli­gent des éraflures. La ville brille au loin comme une bague dorée dans la main lev­ée d’une femme, prélude à ce qui sera l’envers de la tra­ver­sée. Parce que tout à l’heure cette ville aura son air de ville comme aban­don­née à cause des papiers car­ton­nés qu’on trou­ve devant les mag­a­sins quand on passe par le marché désert. Les poèmes trou­vent çà et là leur reflet dans des grif­fures, des mar­ques. Elles peu­vent être la ligne géométrique d’une poterie amérin­di­enne, l’oblique d’une colline, la rugosité des lauzes sur un toit, ou dami­er des pâtis sur un flanc de colline. La terre s’écrit avec le poète, qui trace ses mots à même son flanc, à la face du ciel.

Il regarde, il con­tem­ple, se met à l’écoute des êtres, tout à leur ren­con­tre. Emil­iano, là-devant, avec sa cein­ture de longues son­nailles autour du cou… dans son geste de me la pass­er autour de la taille, m’accueille-t-il dans une intim­ité de cette fête en Gal­ice, ou s’il me fait savoir que ma mal­adresse signe mon statut d’étranger ?

James Sacré, Par des langues et des paysages (1965–2022), édi­tions APIC, 140 pages, 15 €

Et le poète de faire place dans ce livre à plusieurs de ses tra­duc­teurs, bien au-delà de ce qui serait juste une tra­duc­tion placée à côté d’un poème pour per­me­t­tre à dif­férents lecteurs de goûter son dou­ble, trans­posé dans la langue d’un de ses lieux de prédilec­tion. La dimen­sion mul­ti­lingue du recueil crée une mise en abîme de la tra­ver­sée de ces fron­tières dont James Sacré a été cou­tu­mi­er tout au long de sa vie. Séjourn­er ailleurs, dit-il, c’était enten­dre d’autres voix, le bruit de leur langue dans les feuil­lées d’érables en automne, dans le tis­su déchiré des euca­lyp­tus. Il par­le de son écri­t­ure, elle qui naît avec le bruit d’une langue qui est dans /son/ oreille. Il explique ce qui est emmêle­ment du proche et de l’inconnu, affir­mant ain­si un élan vers ce qui est dif­férent, le désir de décou­vrir, jusqu’à se fon­dre. De manière par­ti­c­ulière­ment intéres­sante, il envis­age aus­si la tra­duc­tion comme un espace où con­tin­u­ent de se con­stru­ire ses poèmes. Il pose ain­si la ver­tig­ineuse et pas­sion­nante ques­tion du chem­ine­ment des textes, leur pas­sage d’un être à un autre, d’un espace lin­guis­tique à un autre.

Que le lecteur lise ou pas l’anglais, l’arabe ou le gali­cien, leur présence dans ce livre mul­ti­plie ces poèmes des cha­toiements où se tisse notre human­ité. Ils devi­en­nent la part ren­due vis­i­ble et néces­saire de textes nés de la ren­con­tre avec l’autre.

Présentation de l’auteur

James Sacré

James Sacré est d’abord insti­tu­teur puis part, en 1965, vivre aux États-Unis où il pour­suit des études de let­tres. Il y enseigne à l’u­ni­ver­sité de Smith Col­lege dans le Mass­a­chu­setts. Il fait égale­ment de nom­breux séjours en France et ailleurs en Europe : l’I­tal­ie, la Tunisie, le Maroc. En 2001, il ren­tre en France et réside depuis à Mont­pel­li­er. James Sacré com­mence à écrire dans les années 1970, en plein lit­téral­isme. L’au­teur a par ailleurs con­sacré sa thèse de doc­tor­at au Sang dans la poésie maniériste. Il est très attaché au paysage, et à la géo­gra­phie.  La mémoire joue aus­si dans son oeu­vre un rôle impor­tant : Les voy­ages sont l’oc­ca­sion de repenser l’i­den­tité, l’altérité et la rela­tion ami­cale ou amoureuse. La pas­sion de l’au­teur pour le Maghreb, don­nant lieu à de nom­breux voy­ages, donne aus­si nais­sance à de nom­breux livres. La poésie est alors ani­mée par un désir d’ou­ver­ture et de chaleur, de coprésence heureuse avec l’autre. Elle cherche une manière heureuse d’être ensem­ble, qui laisse s’é­couler le temps avec douceur.

Bibliographie

  • La femme et le vio­lon­celle, J.C. Valin édi­teur, 1966
  • La trans­parence du pronom elle, Cham­bel­land, 1970
  • Cœur élégie rouge, Seuil, 1972
  • Comme un poème encore, Ate­lier de l’ag­neau, 1975
  • Paysage au fusil (cœur) une fontaine, Gal­li­mard, Cahi­er de poésie 2 (col­lec­tif), 1976
  • Un bra­bant dou­ble avec des voiles, Nane Stern, 1977
  • Fig­ures qui bougent un peu, Gal­li­mard, 1978
  • L’amour mine de rien, Encre/Recherches, 1980
  • Quelque chose de mal racon­té, enrichi d’une gravure d’O­livi­er Debré, André Dimanche, 1981
  • Des pronoms mal trans­par­ents, Le Dé bleu, 1982
  • Rougi­gogne, Obsid­i­ane, 1983
  • Ancrits, Thier­ry Bouchard, 1983
  • Écrire pour t’aimer, André Dimanche, 1984
  • Bocaux, bon­bonnes, carafes et bouteilles (comme), pho­togra­phies de Bernard Abadie, Le Cas­tor astral et Le Noroît, 1986
  • La petite herbe des mots, Le Dé bleu, 1986
  • La soli­tude au restau­rant, Tara­buste2, 1987
  • Une fin d’après-midi à Mar­rakech, André Dimanche, 1988 — prix Guil­laume-Apol­li­­naire 1988
  • Un oiseau dess­iné, sans titre. Et des mots, Tara­buste, 1988
  • Le tau­reau, la rose, un poème, dessins de Denise Guil­bert, Cadex, 1990
  • Je ne prévois jamais ce que je fais quand je des­sine, dessins de Jil­lali Echar­ra­di, Les petits clas­siques du grand pirate, 1990
  • Comme en dis­ant c’est rien, c’est rien, Tara­buste, 1991
  • On regarde un âne, Tara­buste, 1992
  • Écri­t­ures cour­tes, Le Dé bleu, 1992
  • La poésie, com­ment dire?, André Dimanche, 1993
  • Des ani­maux plus ou moins fam­i­liers?, André Dimanche, 1993
  • Le renard est un mot qui ruse, Tara­buste, 1994
  • Ma gue­nille, Obsid­i­ane, 1995
  • Viens, dit quelqu’un, André Dimanche, 1996
  • Essais de courts poèmes, dessins de François Mez­za­pelle, Cahiers de l’Atelier, 1996
  • La nuit vient dans les Yeux, dessins de Jil­lali Echar­ra­di, Tara­buste, 1997
  • La pein­ture du poème s’en va, Tara­buste, 1998
  • Ana­colup­tères, illus­tra­tions de Pierre-Yves Ger­vais, Tara­buste, 1998
  • Rela­tion, essai de deux­ième ancrit (1962–63 ; 1996), Océanes, 1999
  • Labrego coma (cin­co veces), pho­togra­phies d’Emilio Arauxo, Noitaren­ga, 1999
  • Si peu de terre, tout, Le Dé bleu, 2000
  • L’Amérique un peu, Trait‑d’union, 2000
  • Écrire à côté, Tara­buste, 2000
  • Une petite fille silen­cieuse, André Dimanche, 2001
  • Mon­sieur l’évêque avec ou sans mitre, illus­tra­tions de Edwin Apps, Le Dé bleu, 2002
  • Mou­ve­men­té de mots et de couleurs, pho­togra­phies de Lorand Gas­par, Le Temps qu’il fait, 2003
  • Les mots longtemps, qu’est-ce que le poème attend ?, Tara­buste, 2004
  • Sans doute qu’un titre est dans le poème, Wig­wam édi­tions, 2004
  • Trois anciens poèmes mis ensem­ble pour lui redire je t’aime, Cadex, 2006
  • Brous­sailles de prose et de vers(où se trou­ve pris le mot paysage), Obsid­i­ane, 2006
  • Âner­ies pour mal braire, Tara­buste, 2006
  • Un par­adis de pous­sières, André Dimanche, 2007
  • Le poème n’y a vu que des mots, L’Idée bleue, 2007
  • Bernard Pagès : élancées de fêtes, mais ten­ant au socle du monde, La Pionnière/Pérégrines, 2009
  • Por­trait du père en tra­vers du temps, lith­o­gra­phies couleur de Djamel Meskache, La Drag­onne, 2009
  • Paroles du corps à tra­vers ton pays, poème de qua­tre pages accom­pa­g­né de deux gravures sur bois de Jacky Essir­ard, Ate­lier de Ville­morge, 2009
  • Le désir échappe à mon poème, Al Man­ar, coll. « Méditer­ranées », 2009
  • Tis­sus mis par terre et dans le vent, Le Cas­tor astral, 2010
  • Amer­i­ca soli­tudes, André Dimanche, 2011
  • Le paysage est sans légende, Al Man­ar / Alain Gorius, avec des dessins de Guy Cala­musa, 2012, prix Max Jacob
  • Par­ler avec le poème, La Bacon­nière, 2013
  • Ne sont-elles qu’images muettes et regards qu’on ne com­prend pas ?, lavis de Colette Deblé, Æncrages & Co, 2014
  • Un désir d’ar­bres dans les mots, en col­lab­o­ra­tion avec Alexan­dre Hol­lan illus­tra­teur, 2015
  • Fig­ures de silences, Tara­buste, 2018, prix Théophile-Gau­ti­er de l’A­cadémie française et prix Roger-Kowal­s­­ki ou grand prix de poésie de la ville de Lyon, 2019
  • Sans place et Je s’en va, avec Antoine Emaz, Mont­pel­li­er, Édi­tions Mérid­i­anes, 2019
  • Quel tis­su se déchire, Tara­buste, 2020
  • Brous­saille de bleus, avec des dessins de Jacquie Bar­ral, Le Réal­gar, coll. « L’Or­pi­ment », 2021
  • Fig­ures de soli­tudes, Tara­buste, 2021
  • Brou­ettes, dessins d’Yvon Vey, Obsid­i­ane, 2022
  • Une ren­con­tre con­tin­uée, Le Cas­tor Astral Poche poésie, 2022
  • Un rec­tan­gle de toile peinte est là, avec André-Pierre Arnal, Édi­tions du Bour­dar­ic, 2022. Livre d’artiste. 17 exem­plaires tous uniques signés par l’au­teur et l’artiste au colophon.
  • Une fin d’après-midi con­tin­uée, trois livres “maro­cains”, Tara­buste, 2023

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Cécile Oumhani

Poète et roman­cière, Cécile Oumhani a été enseignant-chercheur à l’Université de Paris-Est Créteil. Elle est l’auteur de plusieurs recueils dont Passeurs de rives, Mémoires incon­nues et La ronde des nuages, paru chez La Tête à l’Envers en 2022. Elle a pub­lié plusieurs romans dont L’atelier des Stre­sor, Les racines du man­darinier, ou encore Tunisian Yan­kee chez Elyzad. Elle a reçu le Prix européen fran­coph­o­ne Vir­gile 2014 pour l’ensemble de son œuvre.

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