Marc Alyn, T’ang l’obscur, Mémorial de l’encre, extraits

Par |2024-07-07T13:37:20+02:00 7 juillet 2024|Catégories : Marc Alyn, Poèmes|

Paroles de T’ang

 

Le som­meil-con­fi­ait-il-est un lieu traversier
qu’empruntent nos géni­teurs immémoriaux
nomades du clair-obscur
sujets à des absences
affublés d’ori­peaux de pour­pre rapiécés
por­teurs de baluchons
que gon­fle un passé rauque.

 

Les hors-venus des neiges morfondues
fran­chis­saient d’une voltige les remparts
et l’eau ser­rée des douves
sur des radeaux de branchages.

Je par­lerai encore-décrétait-il-
des espaces gor­di­ens à l’in­térieur de l’homme
où le désert s’u­nit aux verg­ers aux sépulcres : 
région de pous­sière et de suie
ultime retranche­ment de l’e­sprit en partance
au-dessous du niveau de la mort.

 

 

∗∗∗∗

 

 

La vie, songe éveil­lé, s’achevait par un sommeil
sans rêves ni rivages, au seuil des steppes, où croît
la soli­tude par­mi chardons et ronces : bar­belés du
règne végé­tal. Quand sur­gis­saient, d’un vol acéré,
les oies sauvages dont l’aile nous frôlait hardiment
au pas­sage, nous fai­sions halte sur les hauts pla
teaux de schiste noir afin de saluer les revenants
de nos vies à venir aux bras chargés d’icônes et de 
coqueli­cots. Un soleil flam­bant neuf nous guidait
vers les cimes. De l’autre côté de l’hori­zon s’éla
borait, dans des cuves gorgées de grappes écrasées,
la fer­men­ta­tion heureuse.

 

 

∗∗∗∗

 

L’au-delà ressem­blait comme deux gouttes d’eau
à ces ombres chinoises
dont les doigts de l’aïeul peu­plaient le papier
    peint
à la lueur échevelée
d’une lampe d’argile :
coq de bruyère errant dans le brouillard
chevreau de lait lapé par les ténèbres…

Á la fin
le loup dévo­rait la lumière.
Cha­cun demeu­rait seul
les mains sur ses genoux.

 

 

∗∗∗∗

 

Alchimiste inver­sé
sosie du Pen­du des tarots
il resti­tu­ait au brasier
l’or potable des chrysopées
à l’is­sue du Grand-OEuvre.

De son pinceau giclait
point-trait du morse des abîmes
flèche visant le coeur de la planète
au-delà des myr­i­ades d’années
et son oeil de huppe sagace
détec­tait les tré­sors dans le limon des fleuves.

Sisyphe de l’immatériel
nou­veau-né du néant
agile gondolier
il édi­fi­ait des mau­solées à la gloire de l’oubli
puis offusquait la nuit
d’un cligne­ment de cils.

Présentation de l’auteur

Marc Alyn

Marc Alyn, né le 18 mars 1937 à Reims, en Cham­pagne, reçoit vingt ans plus tard, le prix Max Jacob pour son recueil Le temps des autres (édi­tions Seghers). Aupar­a­vant, il avait fondé une revue lit­téraire, Terre de feu, et pub­lié un pre­mier ouvrage, Lib­erté de voir à dix-neuf ans. Ses poèmes en prose, Cru­els diver­tisse­ments (1957) seront salués par André Pieyre de Man­di­ar­gues, tan­dis que l’auteur doit revêtir l’uniforme et par­tir pour l’Algérie en guerre. De retour à Paris, en 1959, il donne arti­cles et chroniques aux jour­naux :  Arts, La Table Ronde et le Figaro lit­téraire par­al­lèle­ment à des essais cri­tiques sur François Mau­ri­ac, Les Poètes du XVIe siè­cle et Dylan Thomas. En 1966, il fonde la col­lec­tion Poésie/Flammarion  où il révèlera Andrée Che­did, Bernard Noël, Lorand Gas­par, pub­liant ou réédi­tant des œuvres de poètes illus­tres : Jules Romains, Norge, Robert Gof­fin, Luc Béri­mont. Sa créa­tion per­son­nelle s’enrichit alors d’un roman, Le Déplace­ment et de deux recueils : Nuit majeure et Infi­ni au-delà, qui reçoit le Prix Apol­li­naire en 1973. 

A par­tir de 1964, il s’éloigne volon­taire­ment de Paris et vit dans un mas isolé, à Uzès. De ce port d’attache au milieu des gar­rigues, il accom­plit de nom­breux voy­ages en Slovénie (où il traduit les poètes dans deux antholo­gies, et étudie les vers trag­iques de Kosov­el), à Venise, puis au Liban où il ren­con­tr­era la femme de sa vie, la poétesse Nohad Salameh, qu’il épousera des années plus tard. De ses périples mar­qués par la guerre à Bey­routh, naî­tra sa trilo­gie poé­tique Les Alpha­bets du feu (Grand Prix de poésie de l’Académie française) laque­lle com­prend : Byb­los, La Parole planète, Le Scribe errant.

Revenu enfin à Paris, Marc Alyn con­naî­tra de douloureux prob­lèmes de san­té (can­cer du lar­ynx) qui le priveront quelques années de l’usage de sa voix. Con­traint de sub­stituer l’écrit à l’oralité, l’auteur entre­prend alors une œuvre où la prose pré­domine, sans per­dre pour autant les pou­voirs du poème. Le Pié­ton de Venise (plusieurs fois réédité en for­mat de poche), Paris point du jour, Approches de l’art mod­erne inau­gurent une série d’essais fondés sur la pen­sée mag­ique irriguée par l’humour :  Mon­sieur le chat (Prix Trente Mil­lions d’amis), Venise, démons et mer­veilles. Notons enfin les poèmes en prose : Le Tireur isolé et les apho­rismes, Le Silen­ti­aire, Le Dieu de sable et Le Cen­tre de grav­ité. En 2018, parais­sent les mémoires de Marc Alyn sous le titre : Le Temps est un fau­con qui plonge (Pierre-Guil­laume de Roux).   

 

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