Gérard Le Goff, Les chercheurs d’or, Hommages « à la manière de »

Par |2024-07-07T13:32:53+02:00 7 juillet 2024|Catégories : Critiques, Gérard Le Goff|

Les moti­va­tions du pas­ticheur sont divers­es, et, recon­nais­sons-le, par­fois sus­pectes. La mime­sis, étape indis­pens­able à la for­ma­tion d’un style, n’évite pas tou­jours une cer­taine forme de sar­casme. En leur temps les pas­tich­es de Müller et Reboux, qui con­nurent un grand suc­cès, ne ménagèrent pas leurs mod­èles. Peut-être les deux com­plices jubilèrent-ils d’une joie mau­vaise à l’idée de faire déchoir les vach­es sacrées de leur piédestal – révélant ain­si la cru­elle jalousie qui les dévo­rait. Même ceux d’un écrivain déli­cat comme Mar­cel Proust font sen­tir une cer­taine irrévérence. Pas­tich­er n’est-ce pas une manière de tuer le père, de mon­tr­er qu’on en maîtrise désor­mais toutes les recettes et que on peut les reproduire ?

Rien de tel pour­tant dans l’ouvrage de Gérard Le Goff, le pas­tiche est chez lui un hom­mage, une recon­nais­sance de dettes signée par un hon­nête homme. « Hom­mages per­son­nal­isés, certes, que j’ose croire sincères », mais qu’il nous autorise à con­sid­ér­er comme de « sim­ples amusettes ». Cette sincérité légère le lave-t-il de tout soupçon ? Oui, car c’est l’or de la poésie qu’il recherche.

Pour en avoir le cœur net, cares­sons avec Gérard Le Goff le chat de Charles, qui ron­ronne et s’étire avec une sen­su­al­ité que l’on recon­naî­tra sans difficulté :

Le chat frémit sous la caresse ensorcelante
Que lui prodigue le poète à la main nonchalante
Quand l’autre dicte avec rage au vélin sa beauté 

Gérard Le Goff y fait enten­dre sa famil­iar­ité pro­fonde avec les poètes, et si l’on devine de la mal­ice, c’est sans doute pour faire un aveu : je joue à faire comme, mais vous enten­dez bien que c’est moi, et pas Baude­laire ou Hugo qui par­le. Il s’agira de jouer au chat et à la souris, jusque dans les salles néo­goth­iques d’un Château d’Argam, ou dans ces pages très réussies où Gérard Le Goff revis­ite de manière magis­trale les chants de « mal d’aurore ».

Gérard Le Goff, Les chercheurs d’or, Hom­mages « à la manière de », Édi­tions Stel­la­maris, 2023, 20 euros.

Telle est sans doute l’intention de Gérard Le Goff, ne pas totale­ment s’effacer dans  « la manière »,  pour dévoil­er, dans le geste qui imite, la griffe du pas­tiché. Son intel­li­gence des clas­siques, patiem­ment pra­tiqués et assim­ilés, est telle qu’ils sont pour lui une forge de l’écriture. Et dans cette forge, on retrou­ve, par­mi les plus grands, l’ouvrier Victor :

J’aime les calmes tombées du jour, les vêpres du monde,
Le ciel verse une lumière dont la blondeur inonde
Le mar­bre des tem­ples et le pisé. 

Sans doute, ici, le non respect des règles de  la métrique est une manière de faire mieux enten­dre com­ment se dis­tingue le style de l’écrivain imité. L’or se décou­vre dans les irrégu­lar­ités du ter­rain, à tra­vers de petits dérè­gle­ments bien orchestrés.

Après le chat de Charles, on crois­era égale­ment les est­a­minets de Paul.

Dans les miroirs du café, la nuit
Désor­donne les avenues lointaines,
Appelle les élé­gantes riveraines
A venir au plus loin de la pluie 

Ou encore Stéphane, sur un pied plutôt burlesque :

Par la brune sor­cière de son don­jon minéral,
Abom­i­na­tion auréolée de choucas,
Car le recueilles, si loin du sacre inaugural 

Gérard Le Goff nous rap­pelle que le procédé du pas­tiche, ou même du découpage, est une ruse, c’est-à-dire la forme la plus mali­cieuse de l’hommage. L’auteur racon­te com­ment Cen­drars enfour­nait dans ses pro­pres poèmes des extraits con­séquents de Gus­tave Le Rouge, sans même les assim­i­l­er par le suc de la digestion.

Sans doute l’intérêt du livre de Gérard Le Goff est-il de mon­tr­er que la poésie est faite autant d’originalité que de reprise, de détourne­ment, de trans­vase­ments, de clins d’œils, comme l’ont bien mon­tré les pra­tiques des Sur­réal­istes. La reprise du geste, la trit­u­ra­tion, pou­vant faire jail­lir l’or de la poésie, selon le vœu de Lautréa­mont, grand par­o­diste lui aus­si, qui  voulait que la poésie soit faite par tous, non pas un.

Avec l’hommage à « Bar­bara » de Prévert, il sem­ble même que l’imitation dépasse le mod­èle ; on appréciera aus­si les amu­santes et instruc­tives inter­views imag­i­naires d’Aragon, de Char, ou même de Bonnefoy.

Dans son livre, Gérard Le Goff inter­roge le labeur poé­tique, côté cui­sine.  Ce n’est pas déshon­o­rant, car cette cui­sine rejoint l’alchimie. On y pro­duit de l’or.

La cou­ver­ture du livre édité aux édi­tions Stel­la­maris repro­duit un motif de la tombe de d’André Bre­ton, au cimetière des Batig­nolles, où l’on peut lire égale­ment la devise : je cherche l’or du temps.

Présentation de l’auteur

Gérard Le Goff

Né en 1953, à Toulon, Gérard Le Goff, après l’obtention d’une maîtrise-ès-let­tres à l’Université de Haute-Bre­­tagne, effectue toute sa car­rière pro­fes­sion­nelle au sein de l’Education nationale dans les académies de Caen et de Rennes ; il a été suc­ces­sive­ment : enseignant, cadre admin­is­tratif et con­seiller en for­ma­tion continue.
Il écrit depuis l’adolescence mais ne cherche pas à pub­li­er. Désor­mais à la retraite, il entre­prend de met­tre de l’ordre dans ses nom­breux man­u­scrits, tout en reprenant une activ­ité d’écriture. Il tra­vaille en par­al­lèle la pein­ture et le dessin au sein d’une association.
Ses pre­miers textes parais­sent dans la revue Haies Vives en 2017. Puis dans d’autres pub­li­ca­tions : Le Cap­i­tal des Mots (2018, 2019, 2020), Fes­ti­val Per­ma­nent des Mots (2018), Tra­ver­sées (2019) et à nou­veau dans Haies Vives (2019, 2020)
S’en suiv­ent l’édition de plusieurs recueils de poésie aux édi­tions Encres Vives et Tra­ver­sées, d’un roman et d’un recueil de nouvelles.

 

Poésie :

Cahi­er de songes — Edi­tions Encres Vives (sep­tem­bre 2018).
De l’inachèvement des jours — Edi­tions Encres Vives (octo­bre 2018).
L’arrière-pays n’existe pas — Edi­tions Encres Vives (décem­bre 2018).
Inter­mède véni­tien - Edi­tions Encres Vives (févri­er 2019).
Pas­sants — Edi­tions Encres Vives (avril 2019).
Le reste du peu — Edi­tions Encres Vives (juin 2019).
La note verte — Edi­tions Encres Vives (décem­bre 2019).
Sim­ples suivi de Par qua­tre chemins — Edi­tions Encres Vives (décem­bre 2019).
Arse­nal des eaux — Edi­tions Encres Vives (jan­vi­er 2020).
L’orée du monde — Edi­tions Tra­ver­sées (jan­vi­er 2020).
L’élégance de l’oubli - Edi­tions Encres Vives (novem­bre 2020).
Brisées — Edi­tions Encres Vives (décem­bre 2021).
La cité chimérique — Edi­tions Encres Vives (jan­vi­er 2022).

Prose :

Argam, roman — Edi­tions Chloé des Lys (novem­bre 2019).
Tra­jec­toires tron­quées, nou­velles- Edi­tions Stel­la­maris (mai 2020).
La rai­son des absents, roman- Edi­tions Stel­la­maris (avril 2022).

Publi­ca­tions en revues :

Poésie :

Revue Haies Vives N°5 (sep­tem­bre 2017).
Revue Haies Vives N°7 (sep­tem­bre 2019).
Revue Haies Vives N°8 (sep­tem­bre 2020).
Revue Haies Vives N°9 (sep­tem­bre 2021).
Revue Haies Vives N°10 (sep­tem­bre 2022).
Revue Fes­ti­val Per­ma­nent des Mots (FPM) N° 18 (mars 2018).
Revue Fes­ti­val Per­ma­nent des Mots (FPM) N° 20 (sep­tem­bre 2018).
Revue Le Cap­i­tal des Mots — Eric Dubois (revue en ligne) (novem­bre 2018, décem­bre 2018, jan­vi­er 2019, févri­er 2019, avril 2019, novem­bre 2019, décem­bre 2019, jan­vi­er 2020, févri­er 2020, mars 2020, avril 2020 & mai 2020.
Revue Poésie Mag — Eric Dubois (revue en ligne) (novem­bre 2020).
Revue Tra­ver­sées N°98 (avril 2021).
Revue Recours au poème (en ligne) (N° 213 mars-avril 2022).

Prose :

Revue Tra­ver­sées N°90 (mars 2019).

Cri­tique :

Revue Tra­ver­sées (en ligne) (août 2020) : Gol­go­tha de Claude Luezior.
Revue Tra­ver­sées (en ligne) (novem­bre 2020) : Angèle Van­nier, la tra­ver­sée ardente de la nuit de Dominique Bod­in & Françoise Coty.
Revue Tra­ver­sées (en ligne) (mai 2021) : Au milieu du gué (Attes­ta­to) de Giu­liano Ladolfi.
Revue Tra­ver­sées (en ligne) (sep­tem­bre 2021) : Ini­tiale de Lieven Callant.
Revue Tra­ver­sées (en ligne) (mars 2022) : Ensoleille­ments au cœur du silence de Sonia Elvi­reanu.
Revue Tra­ver­sées (en ligne) (août 2022) : Sur les franges de l’essentiel suivi de Ecri­t­ures de Claude Luezior.
Revue Recours au poème (en ligne) (N° 206 jan­vi­er-févri­er 2021) : Le chant de la mer à l’ombre du héron cen­dré de Sonia Elvire­anu.
Revue Recours au poème (en ligne) (N° 207 mars-avril 2021) : Un Ancien Tes­ta­ment déluge de vio­lence de Claude Luezior ; Epître au silence de Claude Luezior.
Revue Couleurs Poésie 2 — Jean Dornac (en ligne) (jan­vi­er 2021) : Le souf­fle du ciel de Sonia Elvireanu.

Sur l’auteur :

Les belles phras­es d’Eric Allard, Mon­des fran­coph­o­nes, Babe­lio, Tra­ver­sées, Site de l’AREW, Couleur poésie, Recours au poème…

Autres lec­tures

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Le nou­veau livre de Gérard le Goff invite le lecteur à un voy­age poé­tique à tra­vers la lit­téra­ture des XIXème et XXème siè­cles. C’est un hom­mage ren­du aux écrivains français ou d’expression française, […]

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Vincent Puymoyen

Vin­cent Puy­moyen est né en 1970 à La Rochelle et enseigne actuelle­ment à Brest, sa ville d’adoption. Avec la poésie, ses pro­jets actuels con­cer­nent actuelle­ment le roman noir, et le réal­isme mag­ique, il tra­vaille égale­ment à un cycle de réc­its met­tant en scène un enquê­teur mené moins par sa rigueur pro­fes­sion­nelle que les limbes de son incon­scient. Poésie Anatomies bur­lesques, dans la Revue lit­téraire, édi­tions Léo Scheer, numéro 76, jan­vi­er 2019 « Con­ju­gale embardée » et autres poèmes dans la revue en ligne Le recours au poème, n°204, sep­tem­bre 2020 Flaques océaniques, Encres blanch­es n°807, Encres vives, jan­vi­er 2021 « Effrac­tion du print­emps » dans la revue Poésie pre­mière, n°80, sep­tem­bre 2021 Hautes fréquences, Encres blanch­es, Encres vives, décem­bre 2022. Roman Cycle de romans policier/réalisme mag­ique « les enquêtes de Gonzo », aux édi­tions Ova­dia 1. Le car­ré par­fait, édi­tions Ova­dia, avril 2023 2. Le manoir, édi­tions Ova­dia, avril 2023 3. Con­stance ou le ver­tige, édi­tions Ova­dia, novem­bre 2023

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