Jan H. Mysjkin, POÈMES POUR FÊTER L’INDÉPENDANCE — Un entretien avec Irina Nechit

Par |2024-09-06T06:10:02+02:00 6 septembre 2024|Catégories : Focus, Jan H. Mysjkin|

Jan H. Mysjkin, poète, cinéaste, tra­duc­teur, vit entre Ams­ter­dam, Bucarest et Paris. Auteur d’une dizaine de recueils de poésie, en néer­landais et en français, il a  traduit un nom­bre con­sid­érable d’au­teurs néer­landais et fla­mands en français et du français en néer­landais. Partout chez lui, ou nulle part, ce poète écrit d’un lieu qui lui appar­tient, de cet endroit qui grâce à sa générosité et à son human­ité lui de trac­er les fron­tières d’une œuvre universelle. 

Un entre­tien avec Iri­na Nechit pub­lié dans Ziarul Naţion­al (République de Mol­davie), le 27 mai 2024

Cher Jan H. Mysjkin, les édi­tions l’Arbre à paroles, basées à Amay en Bel­gique, ont pub­lié une antholo­gie inti­t­ulée Poèmes pour fêter l’indépendance. Antholo­gie de poésie mol­dave. Qu’avez-vous con­nu dans votre ado­les­cence, dans votre jeunesse, du ter­ri­toire situé entre le Prut et le Dniestr ?
Dans mon enfance les noms de Mol­davie ou de Mon­tene­gro, par exem­ple, appa­rais­saient dans des con­tes et des his­toires comme des pays exo­tiques. Ces pays me parais­saient aus­si fan­tai­sistes que la Syl­davie dans les ban­des dess­inées de Tintin, Le scep­tre d’Ottokar en tête. 
Un pays de filles gen­tilles, de paysans bonass­es et d’autorités cor­rompues. Les années soix­ante, c’était encore l’époque de la guerre froide ; pour un enfant, le rideau de fer fai­sait écran, l’URSS était présen­tée comme un bloc sans faire dans le détail. En Bel­gique, la Mol­davie n’avait aucune réal­ité his­torique, géo­graphique ou cul­turelle. En 2015, Jan Willem Bos et moi-même avons pub­lié une antholo­gie de la poésie mol­dave con­tem­po­raine en néer­landais. Tenez-vous bien : en Flan­dre et aux Pays-Bas c’était la toute pre­mière pub­li­ca­tion de la lit­téra­ture mol­dave sous forme de livre ! Il n’y avait rien eu avant.

Jan H. Myshkin lit sa tra­duc­tion du poème Klanken de Kandin­sky à l’An­ti­quar­i­aat De Slegte Antwerp le same­di 27 jan­vi­er 2018 lors du vernissage de l’ex­po­si­tion ‘Jan H. Myshkin tra­duc­teur de l’avant-garde’.

Vous signez la tra­duc­tion française avec la poétesse roumaine Doina Ioanid. Cette antholo­gie est le couron­nement de vos efforts pour pro­mou­voir la poésie roumaine de la République de Mol­davie dans l’espace fran­coph­o­ne. Quand avez-vous décou­vert la poésie 
Les pre­miers poètes mol­dav­es que j’ai con­nus, je les ai ren­con­trés en Roumanie, où je vivais dans la pre­mière décen­nie du nou­veau mil­lé­naire. Des poètes que j’avais décou­verts au fes­ti­val de Nep­tun, le club de lec­ture Max Blech­er, un marathon de poésie à Braşov, et autres événe­ments. Cinq poètes ont d’abord été traduits en néer­landais pour l’anthologie réal­isée avec Jan Willem Bos, qui de son côté en avait égale­ment traduit cinq. Nous avons été invités au Primă­vara Euro­peană a Poeţilor/ Print­emps européen des Poètes à Chişinău pour présen­ter ce livre.
Par bon­heur, Doina Ioanid était égale­ment invitée pour présen­ter une antholo­gie en roumain de la poésie fla­mande que nous avions faite ensem­ble. Les ren­con­tres pen­dant ce fes­ti­val ont amené à plusieurs pro­jets dans les deux sens. Doina et moi, nous avons pu faire une sec­onde antholo­gie de la poésie fla­mande pour les édi­tions ARC à Chişinău, suiv­ie d’une antholo­gie de la poésie néer­landaise et une autre de poètes belges fran­coph­o­nes. Inverse­ment, nous avons pub­lié des dossiers de la poésie mol­dave dans plusieurs revues fran­coph­o­nes : Poésie/Première et L’Intranquille en France, Le Jour­nal des Poètes en Bel­gique et Les Écrits au Québec. Ce sont ces tra­duc­tions, réal­isées au cours des années, qui sont main­tenant rassem­blées et actu­al­isées dans un seul vol­ume qui compte 25 poètes d’après 1991. Pour autant que je sache, c’est une pre­mière dans l’espace francophone.
Vous écrivez dans la pré­face de l’anthologie : « À par­tir de 1991 la poésie de la Bessara­bie prend un nou­v­el envol dans un effort pour rat­trap­er son retard sur la poésie de la Roumanie, voire de l’Europe. » Et sur la qua­trième de cou­ver­ture : « Le présent vol­ume pro­pose une coupe trans­ver­sale de ce renou­veau poé­tique dans la République de Mol­davie. » Qu’est-ce qui car­ac­térise ce renou­veau poétique ?
Il est car­ac­térisé en pre­mier lieu par la diver­sité. Notre antholo­gie n’est pas la présen­ta­tion d’une seule généra­tion ou la défense d’une école, au con­traire, nous avons voulu mon­tr­er l’éventail des formes exis­tantes en Mol­davie. Elle va de Marcela Benea, née en 1948, jusqu’à Aura Maru, née en 1990. Cela fait quand même qua­tre décen­nies de poésie, impos­si­ble à cat­a­loguer dans une case unique. On ne peut pas met­tre sous un dénom­i­na­teur com­mun la poésie méta­physique de Teo Chiri­ac et celle terre-a-terre de Vic­tor Ţve­tov, les minia­tures intimistes de Căli­na Tri­fan et les grandes con­struc­tions éru­dites d’Emilian Galaicu-Păun, la poésie d’Arcadie Suce­veanu qui se réfère à Hér­a­clite, Beck­ett, Rim­baud, Kavafis et celle d’Ion Buzu qui sem­ble avoir Google comme repère pre­mier. Sig­nalons que l’anthologie se clot sur un essay de Lucia Ţur­canu qui brosse un tableau de « la poésie de la République de Mol­davie jusqu’à l’indépendance et après ». Elle aus­si con­clut qu’il est dif­fi­cile « de tri­er, de cat­a­loguer et d’homologuer » la poésie des dernières décennies.
En lisant et en traduisant des poètes de la République de Mol­davie, avez-vous ressen­ti l’angoisse, l’inquiétude des auteurs qui mènent leur vie dans une zone géopoli­tique­ment instable ?
La vie est en soi une « zone insta­ble » ; s’il faut par­ler d’angoisse ou d’inquiétude en poésie, se sera avant tout une angoisse ou une inqué­tude exis­ten­tielles. Bien enten­du, ces sen­ti­ments s’appuient sur le vécu en Mol­davie. Les poèmes de Diana Iepure ou d’Anatol Gro­su se situent dans le vil­lage où ils ont passé leur enfance. Euge­nia Bulat fait explicite­ment allu­sion à des événe­ments poli­tiques, sans tomber dans une poésie mil­i­tante. Et Maria Pilchin thé­ma­tise la dou­ble con­trainte roumain-russe en posant la ques­tion « com­bi­en de notre chair / est valaque et com­bi­en ruskof ». Pour le Belge que je suis, c’est facile à trans­pos­er à la dou­ble con­trainte néerlandais-français.

Lec­ture de Jan Mysjkin au Fes­ti­val inter­na­tion­al des poètes à Satu Mare.

Vous attendiez-vous à ce qu’une guerre éclate en Europe de l’Est ?
Cela fait main­tenant trente ans que l’Est se trou­ve en état de guerre. La République de Mol­davie en est bien un exem­ple avec la Transnistrie séces­sion­niste, soi-dis­ant « sécurisée » par des troupes russ­es. À la dis­so­lu­tion de l’URSS, la Russie a gan­gréné sys­té­ma­tique­ment toutes les républiques dev­enues des États indépen­dants en occu­pant des régions séces­sion­nistes : l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud dans la Géorgie, le Haut-Karabagh dans l’Azerbaïdjan, le Donet­sk et Lougan­sk en Ukraine. La Mol­davie, l’Ukraine et la Géorgie se font des illu­sions s’ils croient inté­gr­er bien­tôt l’Union Européenne, car per­son­ne en Occi­dent ne veut hérit­er de ces foy­ers de guerre. Pou­tine, en revanche, ne se privera pas de les rafler, dès que l’occasion se présente.
Il y a claire­ment une indépen­dance à défendre, d’ailleurs nous avions demandé à notre édi­teur de pub­li­er au plus vite Poèmes pour fêter l’indépendance, avant que la Bessara­bie soit à nou­veau annexée. Le tzar Nico­las I l’a fait une pre­mière fois en 1812, le « Père des Peu­ples » Staline lui a emboîté le pas en 1940. Le « maître du Krem­lin » Pou­tine pren­dra-t-il mod­èle sur ses deux prédécesseurs, du coup faisant bar­rage au remar­quable élan nova­teur de la lit­téra­ture bessarabienne ?
Espérons que la République de Mol­davie résis­tera en ces temps dif­fi­ciles et qu’on con­tin­uera d’écrire de la lit­téra­ture roumaine de qual­ité dans la région entre le Prut et le Dniestr. Cher Jan, mer­ci pour cet entretien !

Doina Ioanid & Jan H. Mysjkin, Poèmes pour fêter l’indépendance. Antholo­gie de poésie mol­dave, pré­face de Jan H. Mysjkin, choix, tra­duc­tions et notices de Doina Ioanid et Jan H. Mysjkin, édi­tions L’Arbre à Paroles, Amay, 2023. ISBN 978–2‑87406–733‑4. 276 pages. Prix: 20 euros.

Poèmes de Marcela Benea, Leo But­naru, Arcadie Suce­veanu, Căli­na Tri­fan, Teo Chiri­ac, Euge­nia Bulat, Vasile Gârneţ, Nico­lae Popa, Grig­ore Chiper, Nico­lae Spă­taru, Iri­na Nechit, Emil­ian Galaicu-Păun, Dumitru Crudu, Diana Iepure, Lil­iana Armaşu, Moni Stănilă, Andrei Gamarţ, Maria Pilchin, Ana­tol Gro­su, Alexan­dru Cosmes­cu, Ana Donţu, Veron­i­ca Şte­făneţ, Aura Maru, Vic­tor Ţve­tov, Ion Buzu; essai de Lucia Ţurcanu.

Présentation de l’auteur

Jan H. Mysjkin

Jan H. Mysjkin est né en 1955 à Brux­elles. Depuis 1991, l’année où il reçoit le Prix Nation­al de la Tra­duc­tion lit­téraire en Bel­gique, il mène une vie de semi-nomade entre Ams­ter­dam, Bucarest et Paris. Il a signé une dizaine de recueils de poésie, tan­tôt en néer­landais, tan­tôt en français. Il traduit de la poésie et de la prose, aus­si bien des clas­siques que des auteurs de l’avant-garde. Il a traduit une cen­taine d’auteurs néer­landais et fla­mands en français et récipro­que­ment le même nom­bre d’auteurs français en néer­landais. En 2009, il a reçu aux Pays-Bas le Brock­way Prize, qui couronne les meilleures tra­duc­tions de poésie du néerlandais.

Source : https://www.marche-poesie.com/jan-h-mysjkin‑2/

© Crédits pho­tos Christophe Lucchese

Bibliographie 

Œuvres originales

  • Vorm­beeldige gedicht­en, avec une post­face par Ivo Michiels, 1985.
  • Een kwarteeuw poëzie in Vlaan­deren 1960–1985, 1988.
  • Spel van spiegels/Sonnetten in beweg­ing, avec une cor­re­spon­dance avec Pol Hoste, 1990.
  • Ver­lan­gen, eksplozie, 1994.
  • Hersenslag, avec des bois par Roger Raveel, 2000.
  • Jeu de miroirs/Sonnets en mou­ve­ments, tra­duc­tion col­lec­tive à te Roy­au­mont, 2003.
  • Koso­vo, gravures et réal­i­sa­tion artis­tique par Klasien Boul­loud, 2006.
  • Пред мојим очима / Voor mijn ogen, édi­tion bilingue serbe-néer­­landais, choix et tra­duc­tion en serbe par Radi­vo­je Kon­stan­ti­nović, 2008.
  • koso­vo. un poème de jan h. mysjkin, édi­tion en trente-qua­tre langues, 2009.

Traductions vers le français

  • Poètes néer­landais aujourd’hui, fron­ton d’Action Poé­tique, n°. 156, 1999. Poèmes de Jan Baeke, Arjen Duinker, Elma van Haren, Esther Jans­ma, Peter van Lier, Erik Lind­ner, Erik Menkveld, K. Michel, Ton­nus Oost­er­hoff, Mar­greet Schouwe­naar, Henk van der Waal, Nachoem M. Wijnberg.
  • CobrAm­s­ter­dam, dossier de Java, n°-s. 23–24, 2002. Poèmes de Hans Andreus, Rem­co Campert, Jan G. Elburg, Jan Han­lo, Ger­rit Kouwe­naar, Hans Lodeizen, Luce­bert, Sybren Polet, Paul Rodenko, Bert Schier­beek, Simon Vinkenoog.
  • Ger­rit Kouwe­naar, Une odeur de plumes brûlées, 2003.
  • Paul van Ostai­jen, Le dada pour cochons, 2003.
  • Cees Noote­boom, De slapende goden / Sueños y otras men­ti­ras, avec des lith­o­gra­phies par Jür­gen Parten­heimer, 2005.
  • La poésie néer­landaise depuis 1950 : une coupe, cahi­er de créa­tion d’Europe, n°-s. 909–910, 2005. Poèmes de Ger­rit Kouwe­naar, Cees Noote­boom, Judith Herzberg, H.C. ten Berge, Jacq Voge­laar, Rob Schouten, Hans van Pinx­teren, K. Michel, Anna Enquist, Lidy van Mariss­ing, Men­no Wig­man, Alfred Schaffer.
  • Nichi­ta Stă­nes­cu, Les non-mots et autres poèmes, en col­lab­o­ra­tion avec Lin­da Maria Baros, Pierre Dro­gi et Anca Vasil­iu, 2005.
  • Hans Faverey, Sur place, avec des gravures par Ronald Noor­man, 2006.
  • Arman­do, La bataille, avec des lith­o­gra­phies par Arman­do, 2007.
  • Arman­do, Ciel et terre. La créa­tion, avec des lith­o­gra­phies par Arman­do, 2008.

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