Marie Alloy, La ligne d’ombre

Par |2024-10-21T09:02:44+02:00 21 octobre 2024|Catégories : Critiques, Marie Alloy|

L’ouvrage, après une brève intro­duc­tion qui nous ren­seigne sur les sens pos­si­bles de son titre, se com­pose de qua­tre par­ties. Cha­cune, intro­duite par une aquarelle de l’autrice en pleine page, com­porte une ving­taine de poèmes : En regard, En silence, En sou­venir, En par­tance. L’usage insis­tant du géron­dif souligne la simul­tanéité de plusieurs actions et le sens d’une démarche sans cesse en devenir.

Dans son Lim­i­naire aux Reposoirs de la Pro­ces­sion, Saint-Pol-Roux écrit :

Sur la terre géron­dive, nous allons enfin réalis­er en pleine clarté toutes les images naïves qui, depuis l’origine, se sont fixées sur les infin­i­ment petits murs som­bres de cette cav­erne : le cerveau de l’homme.

Un même regard, une même main, un même élan trace pein­tures et poèmes. En partage, une mince ligne d’ombre les accorde. Comme à l’horizon le ciel rejoint la terre.

Les poèmes de longueurs vari­ables n’excèdent pas une ving­taine de vers et tien­nent sur une page,

à l’exception d’une longue suite de dis­tiques (p 66 à 69) où les vers comme des touch­es d’ombres par­lent de lumière et dessi­nent sous nos paupières un tableau invisible.

« Écrire avec la voix du regard », écrit juste­ment Marie Alloy. Des regards souf­flent sur la braise des couleurs et la main grat­te le char­bon des mots où sont enc­los les sou­venirs de l’arbre. L’ombre et la cen­dre par­lent de la lumière et du feu. Synesthésie. L’œil écoute, l’oreille regarde. Scrute le rap­port au temps, à la mémoire, à l’enfance et aux sou­venirs des aimés dis­parus. Et cela nous touche, car le sujet dans le poème est un nous impersonnel.

La Ligne d’ombre est aus­si ligne de vie et de lumière

Marie Alloy, La ligne d’ombre, Al Man­ar, 2024, 116 pages, 20 €.

 

∗∗∗

Extraits 

Le regard
prélude au poème
à la toile

Le poème

prélude au fruit qui s’élève
se détache se délivre
tombe

s’ouvre en deux corps
deux solitudes
l’une d’ombre

            l’autre de chair

*

La ques­tion est à présent
sur nos lèvres dans nos yeux

  • avons-nous jamais cru au paradis ?

le petit bois des sou­venirs s’enflamme
avec les images du vieux chêne
la volière aux per­ruch­es les dahlias
les haies noires de cassis
les mon­tagnes de paille après la moisson
et l’odeur du poulailler

  • qui les réveillera d’entre les morts ?

Nos rêves son­dent ce qu’ils brûlent
dans l’onde froide des peurs

Où l’ombre s’incline
reste une voix sans personne
avec un peu de chaleur
veloutée

*

Nous avons voué nos mains
au silence de la toile
au bruisse­ment des couleurs
à la lumière natale qui ne saurait se perdre

Nous avons voué notre chant nos mains
nos voix nos paroles à ces moments
où nous étions petite riv­ière

Par­fois le temps s’allège
nous n’y sommes pour rien
s’allège et puis revient
jusqu’au vertige
et pré­pare sa chute
dans la lumière

*

Trem­blantes feuilles roulées au sol
le temps d’une ondée de givre
le temps de ravaud­er le tis­su des signes
nous entrons sous les feuil­lages glacés
glis­sons sur la sur­face du papier

et la gri­saille du fusain
retombe sur nos cœurs

Présentation de l’auteur

Marie Alloy

Marie Alloy, née à Hénin-Beau­­mont le 2 juil­let 1951, est pein­tre, graveur et édi­teur. Elle est égale­ment l’au­teur de plusieurs ouvrages ain­si que de textes pub­liés dans des revues.

Iris Cushing
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Jacques Goorma

Jacques Goor­ma a pub­lié une quin­zaine de recueils aux Édi­tions Fagne, Rougerie, Lieux-Dits, Le Drapi­er et Arfuyen, ain­si que de nom­breux textes en revue. Il a égale­ment réal­isé des livres d’artistes, des lec­tures, présen­té des con­férences et des émis­sions de radio. Respon­s­able de l’édi­tion de l’œu­vre de Saint-Pol-Roux chez Rougerie et Gal­li­mard, directeur de col­lec­tion aux Édi­tions Lieux-Dits, ini­ti­a­teur des poé­tiques de Stras­bourg, il a ani­mé des ate­liers de poésie dans les pris­ons durant plusieurs années. Actuelle­ment, il se con­sacre à la pro­mo­tion de la poésie fran­coph­o­ne et européenne, en tant que Secré­taire Général de l’Association Cap­i­tale Européenne des Lit­téra­tures. Il fig­ure notam­ment dans : His­toire de la lit­téra­ture européenne d’Al­sace, (Presse Uni­ver­si­taire de Stras­bourg, 2004), Antholo­gie poé­tique 2005, (Seghers, Paris 2006), Poètes aujour­d’hui : un panora­ma de la poésie fran­coph­o­ne de Bel­gique, Antholo­gie de Yves Namur et Lil­iane Wouters, (Le Tail­lis Pré et Le Noroit, 2007), La poésie c’est autre chose, 1001 déf­i­ni­tions de la poésie, de Gérard Pfis­ter, (Arfuyen, 2008), Poésie de langue française, 144 poètes d’aujourd’hui autour du monde, Antholo­gie, (Seghers, 2008), L’Arbre du veilleur,de Jean Roy­er, Le Noroit, 2013

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