Les chefs d’oeu­vre, on le sait bien, n’ont pas d’âge. L’oeu­vre de Rûmî date du XII­Ième siè­cle, son auteur (1207–1273) est un maître vénéré de la poésie per­sane clas­sique. Les choix et la tra­duc­tion des ghaz­als du « Livre de Shams de Tabrîz », réal­isés par Jean-Claude Car­rière, avec l’aide de Mahin Tajadod et Nahal Tajadod, sont par­ti­c­ulière­ment éblouissants.

Jean-Claude Car­rière a priv­ilégié le rythme, en essayant de retrou­ver la cadence orig­inelle des poèmes. La réus­site est par­faite, l’oc­to­syl­labe français se ten­ant au plus près de la danse des ghazals.

Tout est danse en effet dans cette œuvre. Shams de Tabrîz, que Rûmî ren­con­tre à l’âge de 37 ans, est le maître qui trans­forme la vie du poète. Il le forme à la poésie, l’en­traîne dans la danse des der­vich­es tourneurs. L’an­tholo­gie qui paraît ici suit le par­cours humain et mys­tique de Rûmî, l’at­tente, la ren­con­tre, les souf­frances, la sépa­ra­tion et l’ab­sence le jalon­nent. N’est-ce pas là une ligne uni­verselle du des­tin amoureux ?

Tout est désir et chant du désir. Jamais aucun lyrisme ne pour­ra sur­pass­er la pureté et l’in­ten­sité de ce chant.

 Rûmî, Cette lumière est mon désir, Poésie / Gal­li­mard, 10,20 euros.

 

                  Tu es la lumière, la fête,
                  Tu es le bon­heur triomphant,
                  Tu es l’oiseau sur le mont Tûr,
                  Je suis acca­blé de ton bec.

                  Tu es la goutte et l’océan,
                 Tu es la bon­té, la colère,
                  Tu es le sucre, le poison,
                  Ne me rends pas plus malheureux.

 

Le souf­fle ne retombe jamais, il est porté par une force qui élève et boule­verse à la fois. A chaque stro­phe, à chaque poème, on est frap­pé par un renou­velle­ment con­tin­uel de la même pen­sée, du même élan vital. Les derniers poèmes choi­sis affron­tent le néant et  la mort, se tien­nent sur le seuil de l’indi­ci­ble et du divin.

 

                  Mourez, mourez, dans cet amour mourez,
                            Si vous mourez dans cet amour,
                            Le pur esprit vous recevrez.

                  Mourez, mourez, sans peur de cette mort,
                              Si vous vous lev­ez de terre,
                           C’est le ciel que vous saisirez.

 

« On trou­ve dans nos têtes / une très haute ardeur », peut-on lire. Le lecteur la ressent, tant elle cir­cule et ne cesse d’af­firmer en nous son pou­voir envoûtant.

 

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)