Le 24 février 2021, avec ce message informatif : « Joseph Ponthus nous a quittés dans la nuit », je postais sur mon blog La rive des mots un extrait de son poème-récit À la ligne, ce chapitre 65 qui résonnait tragiquement, comme si la fin de parcours, si jeune, de son auteur, était le prix à payer pour l’expérience d’ouvrier intérimaire embauché dans les conserveries de poissons et les abattoirs bretons, opposant a posteriori un arrêt brutal, un point, sans retour à la ligne, un point final, interrompant ainsi la possibilité de partage de tous ces textes dont ce poète était encore porteur : « Et tous ces textes que je n’ai pas écrits / Pourtant mille fois écrits dans ma tête sur mes lignes de production / Les phrases étaient parfaites et signifiantes / S’enchaînaient les unes aux autres / Implacablement / Où des alexandrins sonnaient comme Hugo / Tant sur la machine que sur l’humanité / Des sonnets de rêve »…
L’on peut se prendre alors à rêver au prolongement de cette vie volée au temps du travail, à la virtualité de ces textes non encore rédigés dont À la ligne, ce premier roman fondateur, aurait été le sésame, mais la résistance qu’il fallut déployer pour l’existence, le dur labeur de la condition ouvrière contemporaine, dont un documentaire dans lequel l’écrivain était interrogé en dévoilait le sort des « damnés », a opposé un tribut plus lourd peut-être à la fougue, à la combativité, à la volonté souriante du jeune poète qui mordait la vie. Car s’il est un souvenir à garder de Joseph Ponthus, dans la rencontre que j’eus la chance de faire avec lui, pour la lecture collective de son ouvrage, lors d’un moment de convivialité où il fut invité à prendre un repas entre amis, non loin de la ville de Narbonne que chante également le grand Charles Trenet, lui dont les refrains l’ont soutenu, il l’écrit lui-même, dans un entrain presque spinoziste à une gaieté qui désamorcerait chacune des causes des passions tristes, c’est cette joie radieuse, grâce à laquelle loin alors du travail à la chaîne, ce dernier, peut-être déjà conscient de l’issue fatale que lui préparait la maladie, mordait, littéralement, la vie, il rayonnait, tout au plaisir de se délecter des saveurs d’un plat, tout à l’affût d’un bon mot, d’un trait d’esprit, qui en agrémenterait le goût…
Joseph Ponthus nous parle de son livre À la ligne, feuillets d’usine (éditions La Table Ronde), dans l’émission Dialogues littéraires, réalisation : Ronan Loup. Interview par Laurence Bellon. Librairie Dialogues.
Une vitalité qui lui aura pour le moins permis de tenir à l’usine, par ces feuillets qu’il écrivait par ailleurs, le soir, au retour chez soi, dans un inventaire méticuleux des gestes appliqués à la ligne de production, dont la ligne d’écriture était peut-être la conjuration : écartez la fatigue, la douleur, le bruit, le cauchemar que le corps encaisse, que la main note tout de même, mais que la poésie sublime, cette autre vie de lettré qu’il a eue, venant embellir la dureté au jour le jour des citations d’auteurs latins, des aventures des romans d’Alexandre Dumas, des envolées des poèmes de Guillaume Apollinaire, quand il ne s’agit pas des airs des chansons de Vanessa Paradis, Il y a lalala… Des comptines populaires aux vers libres, c’est sous toutes ces formes, ce cœur vivant d’une poésie authentique qui n’a cessé de palpiter dans une telle épreuve, lui a donné de la ressource, ce second souffle, cette autorisation à la seconde vie de l’embauche à se sauver par la première vie d’une jeunesse toute à la découverte de la littérature, les deux inextricablement liées, ne faisant qu’une, traversée d’existence étudiante, associative, ouvrière, fraternelle, trame d’un combat extraordinaire entre cet Ulysse inavoué et le géant Cyclope au corps de carcasses de bœufs et à la chair pétrie des tonnes de bulots, du boulot impitoyable qu’il abattait, portée par l’esquisse de cette ligne de fuite, pour reprendre la terminologie philosophique deleuzienne, qui le traversait et faisait de lui le héros d’une possible trouée de tout un système d’exploitation, faisant fuir ce carcan de calvaire par toutes les lignes de force qu’il s’employa à déployer, lignes salvatrices d’écriture à bras le corps, d’empoigne à la fois âpre et salutaire du travail à la chaîne, en offrande, en définitive, aux compagnons de lutte d’un possible espace, au creux de ce quotidien, de libération pour soi, pour les siens et pour les autres…
Joseph Ponthus vous présente son ouvrage À la ligne : feuillets d’usine aux éditions La Table ronde. Rentrée littéraire janvier 2019. Librairie mollat.
À l’injonction délicate de Barbara dans Perlimpinpin à ne pas poétiser, à ne pas manquer de délicatesse, de tact, scrupule éthique qui se ramifie dans l’élégance du style, la justesse de la forme de ce roman À la ligne, répond également le boucan d’enfer de ces mêmes Feuillets d’usine d’où s’élève son chant, à la fois individuel et collectif, personnel et universel, sans critère esthétisant, sans jugement de bon goût, une clameur populaire, dont il devient, au chapitre 48, à l’instar de Guillaume Apollinaire, un chantre : « À l’usine on chante / Putain qu’on chante / On fredonne dans sa tête / On hurle à tue-tête couvert par le bruit des machines / On sifflote le même air entêtant pendant deux heures / On a dans le crâne la même chanson débile / entendue à la radio le matin / C’est le plus beau passe-temps qui soit / Et ça aide à tenir le coup / Penser à autre chose / Aux paroles oubliées / Et à se mettre en joie / Quand je ne sais que chanter / J’en reviens aux fondamentaux / L’Internationale / Le Temps des cerises / La Semaine sanglante / Trenet / Toujours Trenet et encore / Le grand Charles « sans qui nous serions tous des comptables » comme disait Brel / Trenet qui met de la joie dans ce putain d’abattoir qui me fait sourire à mon épouse quand J’ai ta main dans ma main et puis La Folle Complainte reste quand même la plus belle chanson de tous les temps ou Ménilmontant / L’Âme des poètes / Que je les cite / Reggiani évidemment Daniel Darc Nougaro Brel Philip Buty Fersen Fréhel et la Môme Vian Jonasz les Frères Jacques ou Bashung les Wampas Ferrat Bourvil Stromae NTM Anne Sylvestre et toujours Leprest et Barbara ». Véritable ode à la joie de la chanson française pour tenir, tenir encore, damer encore le pion à l’usure, à la mort, ce dont Joseph Ponthus n’aura eu de cesse, citant néanmoins lors d’une dédicace privilégiée, cette phrase latine tragique de l’historien lucide Tacite: « Ubi solitudinem faciunt, pacem appelant. », « Lorsqu’ils font un désert, ils l’appellent paix. », enjeu tant poétique que politique, clé égale pour rentrer dans sa vie, son œuvre, nous y embarquer, préscience peut-être de l’épisode qui suivit, aveu d’un destin de celui qui préféra pourtant à la surdité de l’ordre des choses la fragile beauté du poème…
La Grande librairie, France Télévision.
Présentation de l’auteur
- Retour À la ligne, en hommage à Joseph Ponthus - 6 novembre 2024
- Chroniques musicales (13) : Singulière voix de Bertrand Belin - 6 septembre 2024
- Lara Dopff, Ainsi parlait Larathoustra, Viatire, Yves Ouallet, Ainsi vivait Yvan Bouche d’or - 6 septembre 2024
- Chroniques musicales (12) : Bruno Geneste, Sur la route poétique du rock - 6 mai 2024
- Adeline Miermont-Giustinati, Sumballein suivi de le tunnel, - 1 mars 2024
- L’écho de l’écho, le carnet de haïku de l’AFAH N°12 – Novembre-Décembre 2023 - 6 janvier 2024
- Jean-Pierre Védrines, Artaud et les constellations - 30 octobre 2023
- Chroniques musicales (11) : Gaëtan Roussel, l’orpailleur de Louise Attaque à Est-ce que tu sais ? - 30 octobre 2023
- Revue la forge - 29 octobre 2023
- Chroniques musicales (10) : -M- , double masqué de Matthieu Chédid depuis Le Baptême jusqu’à Rêvalité… - 5 septembre 2023
- Chroniques musicales (9) : Raphaël, l’apiculteur de L’Hôtel de l’Univers à Haute fidélité… - 29 avril 2023
- Dominique Sampiero, Ne dites plus jamais c’est triste - 29 avril 2023
- Lu Ji, Wen Fu, Essai sur la littérature - 21 avril 2023
- Possibles N°27 – Où va la littérature ? - 6 avril 2023
- Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes - 6 avril 2023
- Revue Cairns n°32 - 19 mars 2023
- PHŒNIX N° 38 – GIANNI D’ELIA - 2 mars 2023
- Chroniques musicales (8) : Serge Gainsbourg, de Lucien Ginsburg à « Gainsbarre », variations de L’Homme à Tête de Chou… - 1 mars 2023
- Ida Jaroschek, À mains nues - 1 mars 2023
- Daniel Brochard, Lettre d’un ex-directeur de revue de poésie à un jeune poète, Mot à maux, Manifeste pour une poésie sociale - 6 février 2023
- Chroniques musicales (7) - 5 janvier 2023
- Florence Saint-Roch, Au bout du fil, encres de Maud Thiria - 21 décembre 2022
- Bruno Doucey et Robert Lobet, Peindre les mots. Gestes d’artiste, voix de poètes - 6 novembre 2022
- Par-delà le noir — Pierre Soulages - 4 novembre 2022
- Dominique A, de l’ardent Courage des oiseaux à la Vie étrange… - 6 octobre 2022
- A propos de XXL…S — entretien avec Marilyne Bertoncini - 12 août 2022
- Maïakovski, Un nuage en pantalon - 1 juillet 2022
- Hélène de Oliveira, Un thé aux fleurs bleues - 20 mai 2022
- Revue Voix d’encre, numéro 66 - 3 mai 2022
- La Main Millénaire, une aventure poétique - 3 mai 2022
- Laure Gauthier, Les corps caverneux - 20 avril 2022
- À la Une d’oulipo.net : site officiel de l’Ouvroir de Littérature Potentielle - 20 avril 2022
- Chroniques musicales (6) : Mélodies du dandy Christophe, d’Aline aux Vestiges du Chaos… - 5 mars 2022
- La Peinture La Poésie, Numéro 81 de Poésie/première - 5 février 2022
- Chantal Dupuy-Dunier, Les Compagnons du radeau - 21 janvier 2022
- Revue Festival Permanent des Mots, numéro 26, La Poésie Manifeste - 5 janvier 2022
- Chroniques musicales (5) : Feu ! Chatterton, trajectoire(s) D’ici le Jour (a tout enseveli) au Palais d’argile - 31 décembre 2021
- Teo Libardo, Il suffira, Emma Filao, éparpiller la peau, Élisa Coste, Les chambres - 20 décembre 2021
- Yves Ouallet, De L’écriture et la vie ou la volonté de Sur — Vie à l’Apocalypse pour notre temps - 6 décembre 2021
- Alain Nouvel, Sur les bords de l’Empire du Milieu - 21 novembre 2021
- Chroniques musicales (4) : Le Voyageur Solitaire, Gérard Manset - 1 novembre 2021
- Julien Blaine aux éclats du dire ! - 6 septembre 2021
- Marilyne Bertoncini et Ghislaine Lejard, Son corps d’ombre - 6 septembre 2021
- Revue Francopolis, numéro 166 - 6 mai 2021
- Chroniques musicales (3) : Nous n’avons fait que fuir de Bertrand Cantat et de Noir Désir, aux éditions verticales. - 2 mai 2021
- Pour un horizon jaune flamboyant ! Cathy Jurado et Laurent Thinès, FEU (poèmes jaunes) - 21 avril 2021
- Ito Naga, Dans notre libre imagination - 5 mars 2021
- Chroniques musicales (2) : Vertige de la création, Alain Bashung de Gaby à Immortels… - 5 mars 2021
- Perrin Langda, poésie assistance 24h/24, Fabien Drouet, Je soussigné, attestations dérogatoires de sortie - 6 février 2021
- Chroniques musicales (1) : De l’univers de Christian Olivier, des Têtes Raides et des Chats Pelés - 5 janvier 2021
- Jean D’Amérique, Atelier du silence - 21 décembre 2020
- Catherine Pont-Humbert, légère est la vie parfois - 26 novembre 2020
- Une sorte de bleu… - 6 novembre 2020
- Lucien Suel, La justification de l’abbé Lemire - 21 juin 2020
- Hélène Dassavray et Zaü, Quadrature de l’éphémère - 21 mai 2020
- Cécile Coulon, Noir volcan - 21 avril 2020
- Amnésies, Marlène Tissot - 21 mars 2020
- Thomas Vinau, C’est un beau jour pour ne pas mourir - 6 mars 2020
- Maïakovski, Un nuage en pantalon - 5 janvier 2020