Maureen Boyle : Printemps d’Irlande

Par |2024-11-06T10:55:09+01:00 6 novembre 2024|Catégories : Essais & Chroniques, Maureen Boyle|

 

Présen­ta­tion et tra­duc­tion Aidan Coyle et Hadrien Thine

 

Mau­reen Boyle est une poète irlandaise qui vit à Belfast et qui est l’autrice de trois recueils de poésie. Le plus récent, The Last Spring of the World, a été pub­lié en 2022 par Arlen House, Dublin. Elle a reçu plusieurs prix, notam­ment l’Ireland Chair of Poet­ry Prize, le Stroke­stown Inter­na­tion­al Poet­ry Prize, le Fish Short Mem­oir Prize et l’Ireland Chair of Poet­ry Trav­el Bur­sary, dont c’était la pre­mière édi­tion. Son prix le plus récent lui a été décerné par le Con­seil des arts d’Ir­lande du Nord afin qu’elle puisse effectuer des recherch­es sur l’his­toire de la broderie botanique dans le cadre d’un pro­jet de poésie écologique. Elle est égale­ment men­tor pour la poésie et les mémoires auprès de l’Irish Writ­ers’ Cen­tre à Dublin.

Poèmes pub­liés dans le recueil de Mau­reen Boyle, The Work of a Win­ter (Arlen House, Dublin, 2018 : p 69).

Lilas du Champ de Mars 

Appor­tant des brassées de lilas du champ de Mars,
les filles rougis­santes les cachent sous leurs jupes de coton,
raidis­sant leurs jupons comme le filet de crin des danseuses
acheté au rouleau scin­til­lant qu’elles ont vu porter
chez le cos­tu­mi­er de la rue voi­sine à Saint-Pétersbourg.
Sur place, elles doivent braver les babouchkas
assis­es dans les couloirs som­bres du vieux théâtre,
qui, en rac­com­modant les chaus­sons des danseuses,
tien­nent la pointe dans le satin où le sang
a imprégné le tis­su. Les fleurs cachées bruis­sent à chaque pas,
et, une fois à l’intérieur, sont arrachées dans un tourbillon
de par­fum print­anier, déli­cate­ment ten­dues par-dessus le balcon
et descen­dues dans la loge cou­verte, où elles atten­dront jusqu’au dernier
bat­te­ment de son pas-de-deux et tomberont ensuite dans une pluie
de pétales. Des fleurs réchauf­fées par les cuisses
des filles en guise d’offrandes au jeune dieu.

Lilacs from the Field of Mars

Bring­ing arm­fuls of lilacs from the Field of Mars
blush­ing girls hide them under cot­ton skirts,
stiff­en­ing pet­ti­coats like the dancers’ horse­hair net
bought by the shim­mer­ing bolt they have seen carried
to the costumier’s in the neigh­bour­ing street. Once in place
they must brave the babushkas who sit in the dusky
cor­ri­dors of the old the­atre knit­ting, darn­ing the dancers’
shoes, hold­ing the block in the satin where blood has
soaked into cloth. The hid­den flow­ers rus­tle as they walk
and when inside are pulled out in a wash of spring scent
to be hand­ed care­ful­ly over the bal­cony and down to the
blind box where they will wait until the last beat of his
pas-de-deux and then fall in a lilac show­er. Flow­ers warmed
by the thighs of girls as offer­ings for the young god.

Mau­reen Boyle lit If This is the Last Spring of the World (Si c’est le dernier print­emps du monde) à la bib­lio­thèque Linen Hall, Belfast. Con­servé dans les archives des lec­tures de poésie irlandaise. Cette lec­ture est extraite de : The Last Spring of the World. Arlen House, 2022).

 

Si c’est le dernier print­emps du monde 

Si c’est le dernier print­emps du monde
le remarquerons-nous ?
Le monde saura-t-il qu’il fleurit
pour la dernière fois ?
Pou­vons-nous rede­venir enfants
pour retrou­ver la terre et observer :
les nou­velles pouss­es sur l’aubépine
les minus­cules étoiles du millepertuis
la richesse vol­u­bile de la vesce
la fragilité de l’oxalis et de l’anémone ?
Pou­vons-nous goûter les poivres de la terre surgir
dans les feuilles – men­thes et patiences sauvages ?
Ver­rons-nous que les saisons ont une couleur ?
Que le mois d’avril com­mence avec le jaune
des ajoncs ou du genêt, envoy­ant l’odeur
de la noix de coco, là où elle ne pousserait jamais,
des pis­senl­its bril­lants au bord de la route,
de timides coqueli­cots d’Islande
sur­vivant à une explo­sion de forsythia ?
Et puis la glisse vers la mousse crémeuse
de mai et du début de l’été :
le cer­feuil sauvage, la viorne obier,
la neige de l’aubépine qui poudre
les haies de toutes parts ?
N’y aurait-il plus jamais de printemps ?
Com­ment vivre sans conscience
de la terre qui met au monde,
l’épuisement de la sai­son dans ses poussées
de crois­sance au fil des jours qui s’allongent
et les vastes cieux qui s’ouvrent lumineux
et restent bleus dans la nuit
rem­plis du chant des merles
ampli­fié dans cet audi­to­ri­um de lumière ?
Com­ment vivre privé de cela ?

If this is the last spring of the world
will we realise it?
Will the world know it is blooming
only once more?
Could we bring our­selves as chil­dren again
to the lev­el of the earth to notice:
new shoots on the hawthorn
the tiny stars of stitchwort
the twin­ing rich­ness of the vetch
the frailty of wood sor­rel and anemone?
Can we taste the earthy pep­pers of the soil
come up into leaves – wild mint and dusty docks?
Will we notice how the sea­sons have a colour?
That April starts with yel­low in whin or broom
send­ing out the smell of coconuts
where they’d nev­er grow,
dan­de­lions bright by the roadside,
shy Ice­landic pop­pies surviving
an explo­sion of forsythia?
And then how time drifts into the creamy frothiness
of May and the start of summer:
Queen Anne’s lace, cow pars­ley, guelder roses,
the snow of hawthorn that pow­ders hedges for miles?
How could there nev­er be anoth­er spring?
How could we live with­out the sense
of the earth surg­ing into labour,
the exhaus­tion of the season
in its growth spurts in the length­en­ing days
and the big skies that open luminous
and stay blue into the night
filled with the sound of blackbirds
ampli­fied in that audi­to­ri­um of light?
How could we live with­out this?

 

The Last Spring of the World (Arlen House, Dublin, 2022 : pp 13–14).

La Mon­tagne Noire vue d’une classe d’anglais à Belfast 

Par­fois, au milieu d’un cours, nous nous arrêtons
et regar­dons par la fenêtre. La plus haute et la plus grande
du lycée, elle encadre une courbe de la montagne
qui donne une impres­sion de l’ouest de la ville.
Les petites rues devi­en­nent une belle géométrie
lorsque la lumière éclaire des rangées de cheminées
iden­tiques, gris­es sous le vert de la mon­tagne. Un nuage
orthographique paresseux s’étendra le long de son sommet
le matin jusqu’à ce qu’il soit déplacé ou fon­du par le soleil.
Et un jour, il y a un incendie, un pom­pi­er sur une échelle
pisse de l’eau sur une mai­son en feu. De temps en temps,
une vague de mou­ettes blanch­es s’élève en tournoyant
comme une sur­prise au-dessus des toits. Une haute rangée
de peu­pli­ers qui bor­de le cimetière des religieuses
a été tail­lée en têtard, austère face au ciel hivernal.
Sou­vent, le temps se déchaîne, la pluie blanchissant
toutes les couleurs en un flou gris, avant de réapparaître
en con­trastes écla­tants après l’averse.

Black Moun­tain viewed from English

Some­times in the mid­dle of a class we’ll stop
and look out the win­dow. It is the high­est and
biggest in the school and framed by it is a sweep
of moun­tain that gives a sense of the west
of the city. The lit­tle streets become beautiful
geom­e­try as the light catch­es iden­ti­cal parades
of chim­neys grey below the mountain’s green
and on the top a lazy ortho­graph­ic cloud
will lie along it in the morn­ing until moved
or melt­ed by the sun. And one day there’s a fire
with the fire­man up a lad­der pee­ing his water
on a burn­ing house and every so often a sun-burst
of white gulls will wheel upward lift­ing like a surprise
across the rooftops and the tall row of poplar trees
that bind the nuns’ grave­yard have been pollarded
stark against the win­ter sky and often weather
will roll in and down, rain bleach­ing all the colour
out to a grey blur, only for it to come back
in bright con­trasts after the shower.

The Work of a Win­ter (Arlen House, Dublin, 2018 : p 60). 

Mau­reen Boyle lit Enclo­sure (Enceinte) à la bib­lio­thèque Linen Hall, Belfast. Con­servé dans les archives des lec­tures de poésie irlandaise. Cette lec­ture est extraite de : The Last Spring of the World. Arlen House, 2022)

 

Prom­e­nade dans la vieille ville 

Le jour le plus court, je me promène dans la vieille ville.
Elle est pleine de fantômes.
Des maisons dont nous con­nais­sions autrefois
les odeurs, cha­cune sub­tile­ment différente,
abri­tent aujourd’hui des inconnus.
À chaque endroit, le sou­venir d’une époque
où être adulte sen­tait l’essence,
lors d’un après-midi langoureux
de jardins, de haies et de voisins.
Plus tard, les lieux des ren­dez-vous secrets ;
la mai­son d’un jeune homme bien aimé
où j’ai gardé un enfant et organ­isé mes pre­miers dîners,
où j’ai été pour la pre­mière fois ivre et malade.
Aujourd’hui je con­nais plus de citadins dans le cimetière
que par­mi les vivants.
Nous ren­dons donc vis­ite à cha­cun tour à tour,
leur monde réduit à ce petit espace,
mon père allongé sur le côté où il était couché,
un espace de l’autre pour ma mère
quand vien­dra son tour.
J’imagine une ver­sion du rêve de Tevye ici à Strabane,
mes grands-par­ents et mes tantes ceilid­hant 2
sur leurs pier­res tombales la nuit,
me sou­venant de la mise en scène
d’Un vio­lon sur le toit par le lycée local,
le père Doher­ty assis dans le lit
à côté de la femme qui jouait son épouse.
Je tra­verse les loge­ments soci­aux, illu­minés pour Noël,
les arbres noirs qui for­ment une petite forêt
sur la pelouse, mag­nifique et austère
con­tre le ciel brûlant de l’ouest. 

Étrange, je pen­sais autre­fois que les arbres mouraient
en hiv­er, que leur noirceur était vide,
alors qu’ils sont pleins de bourgeons,
atten­dant leur heure.

Walk­ing the town

I am walk­ing the old town on the short­est day.
It is full of ghosts.
Hous­es that were once hous­es we knew the smells of,
each one sub­tly different,
now have strangers there.
In every place, the mem­o­ry of a time
when being adult smelled of petrol
on an open-end­ed afternoon
of gar­dens, hedges and neighbours.
Lat­er, places of assignation
– the house of a beloved boy
where I babysat and held my first din­ner parties,
where I first got drunk and sick.
More I know now are in the cemetery
than with the living,
and so we vis­it each in turn,
their world shrunk to that small space –
my father lying on the side he lay in bed –
room on the other
for my mother
when her turn comes.
I imag­ine a Stra­bane ver­sion of Tevye’s dream,
my grand­par­ents and aunts ceilidhing
on their head­stones of a night,
remem­ber­ing the time the local high school
did Fid­dler on the Roof,
Father Doher­ty sit­ting up in bed
with the woman who was play­ing his wife.
I walk through the Trust Houses
lit for Christmas
the black trees that form a small for­est on the green,
beau­ti­ful and stark against the burn­ing west­ern sky.
Strange that I once thought trees died in winter,
that their black­ness was empty,
when instead they are full of buds bid­ing their time.

Mau­reen Boyle lit un extrait de The Win­ter’s Tale : I. Emil­ia à la Linen Hall Library, Belfast. Con­servé dans les archives des lec­tures de poésie irlandaise. Cette lec­ture est tirée de The Work of a Win­ter, pub­lié à Arlen House en 2018.

 

Mirabel-aux-Baron­nies 
inspiré d’un tableau de Pierre Bonnard

L’après-midi s’étiole
alors qu’un orage se profile.
C’est la sieste,
l’heure de retrouver
la pénom­bre humide du puits.
La pièce est telle la chair d’une figue,
rouge et chaude,
comme le vert des arbres
– cit­ron­nier, gink­go, lau­ri­er-rose, bougainvillier –
pointille les murs,
égaie les surfaces.
Cra­que­t­tent les cigales, le moteur des arbres ;
grenouilles et cloches du village
son­nent la dis­tance des collines.
Une fille dort sur un transat bleu,
rêvant au plus pro­fond de la terre,
un chat noir paresseux à ses pieds.
Le pot de zin­nias à la glaçure bleue
capte la lumière
et répand son par­fum sur elle,
comme si l’été perdure
et qu’elle est tou­jours là.
Le Hol­landais laisse une offrande
de hari­cots verts à la fenêtre
et s’en va.

inspired by a paint­ing by Pierre Bonnard
Mau­reen Boyle
The after­noon wilts
as a thun­der­storm looms.
It is siesta,
time to find
the well’s dank darkness.
The room is like the flesh of a fig,
red and warm,
but the green of the trees
– lemon, gingko, ole­an­der, bougainvillea –
stip­ples the walls,
wash­es the surfaces.
Cicadas sing – the engine of the trees –
hon­ey-frogs and vil­lage bells
ring the dis­tance of the hills.
Black cat lazy at her feet,
a girl sleeps in a blue chair,
dream­ing deep into the earth.
The blue-glazed pot of zinnias
catch­es the light
and sends its scent over her,
as if it is always summer
and she is always there.
The Dutch­man leaves an offering
of green beans by the window
and goes away.

Mau­reen Boyle lit The Mag­da­lene Read­ing à la bib­lio­thèque Linen Hall, Belfast. Con­servé dans les archives des lec­tures de poésie irlandaise. Cette lec­ture est extraite de « The Work of a Win­ter », pub­lié à Arlen House en 2018.

 

Noureev 1

« Quand vous écoutez Bach, c’est un peu de Dieu que vous enten­dez. Quand vous me
regardez danser, c’est un peu de Dieu que vous voyez. »

– Rudolf Noureev

Pro­logue

Appor­tant des brassées de lilas du champ de Mars,
les filles rougis­santes les cachent sous leurs jupes de coton,
raidis­sant leurs jupons comme le filet de crin des danseuses
acheté au rouleau scin­til­lant qu’elles ont vu porter
chez le cos­tu­mi­er de la rue voi­sine à Saint-Pétersbourg.
Sur place, elles doivent braver les babouchkas
assis­es dans les couloirs som­bres du vieux théâtre,
qui, en rac­com­modant les chaus­sons des danseuses,
tien­nent la pointe dans le satin où le sang
a imprégné le tis­su. Les fleurs cachées bruis­sent à chaque pas,
et, une fois à l’intérieur, sont arrachées dans un tourbillon
de par­fum print­anier, déli­cate­ment ten­dues par-dessus le balcon
et descen­dues dans la loge cou­verte, où elles atten­dront jusqu’au dernier
bat­te­ment de son pas-de-deux et tomberont ensuite dans une pluie
de pétales. Des fleurs réchauf­fées par les cuisses
des filles en guise d’offrandes au jeune dieu.

1

Né dans un train, son pre­mier souf­fle tiré
des pro­fondeurs du lac immé­mo­r­i­al où le Christ
est venu et a déclaré qu’au-delà il n’y avait rien.
Né avec l’odeur de la glace qui s’échappe de ses courbes
trop tôt pour le print­emps, un vieil esprit des profondeurs
l’a pénétré, la flu­id­ité d’un pois­son absorbée dans son échine.
Souf­flé sur la Bar­gouzine cette pre­mière nuit, ce pre­mier jour,
le soleil l’a trou­vé et une âme agitée.

2

Sur la pho­to qu’il trim­bale, il est un petit enfant
assis sur ses pro­pres genoux ; l’adulte, travesti
comme pour danser l’infirmière dans un bal­let oublié.
Il est beau et bronzé par le soleil des champs,
vêtu de cotons d’été imprimés, sans la cicatrice
sur sa lèvre supérieure ; le vis­age de sa mère
qu’il oublierait s’il n’était pas le sien.
Dans ses années de gloire, il trou­ve par­fois le temps
de télé­phon­er et d’être trans­porté dans leur petite pièce.
Il peut alors évo­quer l’odeur d’un été russe
ou la sueur aigre des vête­ments de tra­vail de son père
et de son tabac doux. Il se demande si son père
était encore un garçon rêveur, age­nouil­lé en prière
dans la madras­sa, prendrait-il son appel
et lui par­lerait-il sans colère à tra­vers les affres du temps ?
Lorsqu’il rend vis­ite à sa mère une fois dans les temps nouveaux,
elle est dans une pièce vide avec une lampe à huile
et un vieux kil­im et il pense à ceux
qu’il col­lec­tionne dans son apparte­ment parisien
et aimerait lui mon­tr­er tout cela,
qui sem­blerait la richesse d’un tsar.

3

Quand Ave­don lui demande de danser et le capture,
il reste à la fin de la séance pour lui demander
son accord d’être pho­tographié dansant nu.
Il l’a déjà fait une fois, enfant, sans l’encombrement
des vête­ments, se sen­tant divin dans un champ
où le maïs le voilait et où chaque pas
lais­sait une empreinte de piétinement.
Il voit dans les yeux du pho­tographe un regard
qui devien­dra un regard qu’il connaîtra.
Il dit oui.

4

Il sur­v­ole les éten­dues sauvages cana­di­ennes jusqu’à l’hôpital
où Erik est en train de mourir. Cha­cun a essayé d’être la vie
de l’autre, sans suc­cès. En entrant dans la cham­bre, il se souvient
de l’histoire d’Erik qui, petit garçon au Dane­mark, est sorti
de lui-même alors qu’il était bien instal­lé dans un pommier,
a enten­du l’appel de sa mère pour le dîn­er et s’est vu,
un petit garçon assis dans un pom­mi­er, sa mère l’appelant.

Il doit main­tenant grimper sur le lit chirur­gi­cal comme s’ils étaient
tous deux enfants, comme s’il s’agissait de leur toute pre­mière danse,
les portés devant être soigneuse­ment étudiés, car mal tenu, il tombera.
Il s’agit main­tenant de trou­ver quelle par­tie tenir, de déplacer
leurs mem­bres entre les tubes sans le faire souffrir.
Main­tenant il n’y a plus de mouvement,
il n’y a plus que le porté.
Rudik, qui était si bru­tal dans leurs ébats amoureux,
est main­tenant le plus ten­dre, le tient par derrière,
réal­isant à quel point il serait léger à porter
et il n’y a plus de mots.

Il appren­dra la mort sur son île.
Assis sur un bal­con avec une amie,
baignés dans le par­fum du jas­min de nuit
il dira : « Erik est mort aujourd’hui. »

Nureyev

“When you lis­ten to Bach you hear a part of God, when you watch me dance you see a part
of God.”

– Rudolf Nureyev

Pro­logue

Bring­ing arm­fuls of lilacs from the Field of Mars
blush­ing girls hide them under cot­ton skirts,
stiff­en­ing pet­ti­coats like the dancers’ horse­hair net
bought by the shim­mer­ing bolt they have seen carried
to the costumier’s in the neigh­bour­ing street. Once in place
they must brave the babushkas who sit in the dusky
cor­ri­dors of the old the­atre knit­ting, darn­ing the dancers’
shoes, hold­ing the block in the satin where blood has
soaked into cloth. The hid­den flow­ers rus­tle as they walk
and when inside are pulled out in a wash of spring scent
to be hand­ed care­ful­ly over the bal­cony and down to the
blind box where they will wait until the last beat of his
pas-de-deux and then fall in a lilac show­er. Flow­ers warmed
by the thighs of girls as offer­ings for the young god.

1

Born on a train, his first breath pulled
out of the depths of the ancient lake where Christ
came and declared that beyond it there was nothing.
Born with the smell of ice com­ing off its sweeps
too ear­ly for spring, some old spir­it of the deep
entered him, the flu­id­i­ty of a fish come into his spine,
blown on the Bar­guzin that first night and day,
sun­shine found him and a rest­less soul.

2

In the pho­to­graph he car­ries with him he is a small child
sit­ting on his own knee – the grown one in drag as if to
dance the nurse in some for­got­ten bal­let. He is beautiful
and sun-tanned from the fields in print­ed sum­mer cottons
with­out the scar on his upper lip – his mother’s face
that he would for­get if it was not his own.
In the heady years, he will some­times find a time
to phone and be trans­port­ed to their small room.
He can con­jure then the smell of a Russ­ian summer

or the sour sweat of his father’s work clothes
and his sweet tobac­co. He won­ders if his father was still
a dream­ing boy, kneel­ing to pray in the madrassa,
would he take his call and speak to him
with­out anger across the acres of time.
When he vis­its his moth­er once in the new times
she is in an emp­ty room with only an oil lamp
and an old kil­im and he thinks of those
he col­lects in his Paris apartment
and wish­es he could show all this to her
that would seem the wealth of a Czar.

3

When Ave­don asks him to dance and cap­tures him,
he stays at the end of the shoot to ask
if he would be pho­tographed danc­ing naked.
He has done this once before as a boy, danced
unhin­dered by his clothes, feel­ing divine in a field
where the corn shield­ed him and where each step
left a tram­pled dam­age. He sees a look in the
photographer’s eyes that will become a look he knows.
He says yes.

4

He flies over the Cana­di­an wilder­ness to the hospital
where Erik is dying. Each has tried to be the other’s life
and it has not worked. Enter­ing the room he remembers
Erik’s sto­ry of once, as a lit­tle boy in Den­mark, going out
of him­self as he sat ensconced in an apple tree, heard
his mother’s call for din­ner and saw himself,
a lit­tle boy sit­ting in an apple tree, his moth­er calling.
Now he must climb up onto the sur­gi­cal bed
as if they are both chil­dren, as if this was their first
ever dance, the holds to be worked out so carefully
since held wrong­ly he will fall. Now it is a case
of find­ing places to hold, to move their limbs
among the tubes and in ways that will not hurt him.
Now there is no more move­ment, only the hold.
Rudik, who was so rough with him in their lovemaking,
is now the gen­tle one, now the one
who holds him from behind real­is­ing how light
he would be to car­ry and there are no more words.

 

He will hear of the death on his island.
Sit­ting on a bal­cony with a friend,
bathed in the smell of night jasmine
he will say “Erik died today”

 

 

  1.  Lors de la pre­mière pub­li­ca­tion de cette œuvre en anglais, le pro­logue était présen­té comme un poème distinct,
    inti­t­ulé « Lilacs from the Field of Mars », suivi de « Nureyev » sous la forme d’une séquence de qua­tre parties.
    À la demande de la poète, la ver­sion en français est présen­tée sous la forme dans laque­lle le poème a été conçu à
    l’origine, c’est-à-dire un pro­logue suivi de qua­tre par­ties sous un seul titre. La ver­sion en anglais est disponible
    dans le recueil de Mau­reen Boyle, inti­t­ulé The Work of a Win­ter (Arlen House, Dublin, 2018 : p 69 à 73). 

 

Mau­reen Boyle, The Work of a win­ter, Arlen House ; 2nd edi­tion,  2018, 110 pages. 

Présentation de l’auteur

Maureen Boyle

Mau­reen Boyle est née et a gran­di près de Stra­bane, dans le comté de Tyrone, en Irlande du Nord. Actuelle­ment, Mau­reen Boyle vit à Belfast. Elle a étudié l’anglais au Trin­i­ty Col­lege, à Dublin, où elle a obtenu une licence en 1984. Ses poèmes ont été pub­liés dans Fort­night Mag­a­zine, The Yel­low Nib et ailleurs. Elle est mar­iée à Malachi O’Do­her­ty, jour­nal­iste et écrivain de Belfast et enseigne à la St Dominic’s Gram­mar School for Girls de Belfast.

© Crédits pho­tos Lind­say Allen

© Crédits pho­tos Lind­say Allen

Bibliographie 

Mau­reen Boyle est l’au­teure de trois recueils de poésie. Le plus récent, The Last Spring of the World, a été pub­lié en 2022 par Arlen House, Dublin. Elle a reçu plusieurs prix, notam­ment l’Ireland Chair of Poet­ry Prize, le Stroke­stown Inter­na­tion­al Poet­ry Prize, le Fish Short Mem­oir Prize et l’Ireland Chair of Poet­ry Trav­el Bur­sary. Elle est égale­ment men­tor à l’Irish Writ­ers’ Cen­tre à Dublin.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

Maureen Boyle : Printemps d’Irlande

  Présen­ta­tion et tra­duc­tion Aidan Coyle et Hadrien Thine   Mau­reen Boyle est une poète irlandaise qui vit à Belfast et qui est l’autrice de trois recueils de poésie. Le plus récent, The Last Spring […]

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