Steve Dalachinsky, Reaching into the Unknown, Tendant le bras vers l’inconnu

Par |2025-01-06T16:26:30+01:00 6 janvier 2025|Catégories : Essais & Chroniques, Steve Dalachinsky|

Choix et tra­duc­tion de l’anglais (U.S.) Franck Andrieux

 

Steve Dalachin­sky — Sep­tem­bre 2014 — Pho­to © Philip Bernard.

The Fall­out of Dreams

1.

i came from a clean neighborhood
in Brooklyn
there were trees
a bridal path
a bike path
the big scary cemetery
the touch football
the dead-end street
the sew­er to sew­er stickball
punch­ball stoop­ball & potsie
the movie house & barbershop
ringole­vio & hide-&-seek
the can­dy store deli & piz­za place
girls the school­yard the pool hall
the cig­a­rettes hid­den in an old tire
in the garage
& more   much more
almost small town U.S.A. except that Brook­lyn was
spe­cial like hot dogs & the Dodgers in Ebbets Field

when the day end­ed i went home
ate sup­per  took a bath  watched tv.….

2.

in the sum­mer we took a trol­ley to the beach
the hot eye of the sun looked down as mom dished
out the let­tuce & toma­to sandwiches
i ate qui­et­ly with the waves between my ears
sand between the bread & crack­ling between my teeth
(so this was what a sand­wich real­ly was)

there were no cher­ry trees in Brook­lyn except the one
in my back­yard. i climbed it for com­fort, refuge & protection
i put my hands in my lap  swal­lowed the cher­ry pits
& wait­ed for a tree to grow inside me…this was the age of the atom &
every atom of my fiber tried not to think of mush­room clouds
then i’d go inside. take a bath. watch tv

La Retombée des Rêves

1.

je viens d’un quarti­er sans problèmes
à Brooklyn
il y avait des arbres
un sen­tier équestre*
une piste cyclable
le grand cimetière effrayant
le ter­rain de foot
la rue en cul-de-sa
le base-ball sur plaques d’égout
la balle au poing la balle au mur & la marelle
le ciné­ma et le salon de coiffure
le chat-per­ché et le cache-cache
la con­fis­erie et la pizzeria
les filles la cour d’école la salle de billard
les cig­a­rettes cachées dans un vieux pneu
dans le garage
& beau­coup plus  encore
presque une petite ville des États-Unis sauf que Brook­lyn était
spé­cial comme les hot-dogs & les Dodgers à Ebbets Field

à la fin de la journée je ren­trais chez moi
je dînais     je pre­nais un bain        je regar­dais la télé…

2.

l’été, on pre­nait un tramway pour la plage
l’œil chaud du soleil se pen­chait vers maman quand elle sortait
les sand­wichs à la laitue & à la tomate
je mangeais tran­quille­ment avec les vagues entre les oreilles
le sable entre les tartines et les craque­ments entre les dents
(c’était donc ça un vrai sandwich)

il n’y avait pas de cerisiers à Brook­lyn sauf celui
dans mon jardin. je l’escaladais pour le con­fort, le refuge et la protection
j’ai mis mes mains sur mes genoux         j’ai avalé les noy­aux de cerises
& atten­du qu’un arbre pousse en moi… ça a été l’ère atomique &
chaque atome de mes fibres a essayé de ne pas penser aux champignons atomiques
alors je suis ren­tré. j’ai pris un bain. j’ai regardé la télé

* Steve Dalachin­sky joue avec l’homophonie de bri­dle (équestre) et bridal (nup­tial).

3.

every thurs­day we had to attend auditorium
in pub­lic school our col­ors were green & white
we sang the nation­al anthem & received lec­tures from the
teachers…sometimes in our class room after the pledge of allegiance
they’d tell us to duck down in a cor­ner or under
our desks stuff our heads into our chests & our hands
behind our necks. they said this would save us if the “com­mies”
would ever drop the BOMB  (now i know better)
the stan­dard joke at the time was
“when the bomb comes put your head between your legs
  & kiss your ass good-bye” — it’s still pret­ty funny

after­wards i went home ate supper
took a bath with my toy atom­ic sub­ma­rine…   watched tv… etc.

4.

on week­ends i dreamt of tigers or went to hor­ror movies
with the gang…or best of all we’d hang around the piz­za place
on east13th street & ave. j  pre­tend­ing to be tough
lis­ten­ing to the juke box or singing rock & roll songs on the corner
we called our­selves the j‑tones. i was the lead singer
my nick­name was lit­tle dil­ly-dal­ly  our gang was called the rebels

but my world began to cloud over  my mind got
side-tracked & my tem­pera­ment grew dark   pan­ic set in
i was sedat­ed & berat­ed & inun­dat­ed with 
words like “you’ll get bet­ter but it’ll take a long time.”
bet­ter from what? i asked but received no reply
so i  closed the door  wrote a poem… picked my nose
…took a show­er …mas­tur­bat­ed… watched tv & waited.….waited
i wait­ed    …….   i waited ……..

5.

soon came the trips to the world of manhattan -
radio city & crazy times square 42nd street
lights action lust.…the grow­ing up blues 
hear­ing that first jazz record…
zoom­ing off to green­wich vil­lage & being real “beat”
& dig­ging the Beatles
& smok­ing my first joint with the gor­geous bi-sex­u­al black fem…
or ram­ming into the priest with the sta­tion wagon
who blessed our stoned lit­tle souls…
& by now com­ing home real late at night.….
too late to bathe  too late to watch tv  but nev­er too late to sleep

3.

chaque jeu­di on devait aller à l’auditorium
de l’école publique nos couleurs c’était vert & blanc
on chan­tait l’hymne nation­al & on rece­vait les cours des
enseignants… par­fois dans notre salle de classe après le ser­ment d’allégeance
ils nous dis­aient de nous accroupir dans un coin ou en dessous de
nos tables de nous four­rer la tête dans la poitrine et nos mains
der­rière la nuque. ils dis­aient que cela nous sauverait si jamais les « cocos »
lâchaient la BOMBE… (main­tenant j’en sais un peu plus)
la blague clas­sique à l’époque c’était
« quand la bombe arrive, mets ta tête entre tes jambes
 et embrasse ton cul salut » — c’est tou­jours très drôle

après ça je ren­trais je dînais je prenais
un bain avec mon sous-marin atom­ique en plas­tique… je regar­dais la télé…  etc.

4.

le week-end je rêvais de tigres ou j’allais voir des films d’horreur
avec la bande… ou mieux encore on traî­nait autour de la pizzeria
à l’angle de la 13ème rue Est & de l’avenue J, on jouait les durs
on écoutait le juke-box ou on chan­tait des chan­sons rock & roll au coin de la rue
on s’appelait les J‑tones. j’étais le chanteur principal
mon surnom c’était le p’tit traî­nard          notre bande s’appelait les Rebelles
mais mon monde a com­mencé à s’obscurcir     mon esprit s’est
égaré et mon humeur s’est assom­brie     la panique s’est installée
j’ai été mis sous sédat­ifs, rép­ri­mandé & inondé de 
paroles comme « tu vas te rétablir, mais ça pren­dra beau­coup de temps ».
rétablir de quoi ? j’ai demandé mais je n’ai eu aucune réponse
alors j’ai fer­mé la porte         j’ai écrit un poème… j’ai mis mon doigt dans l’nez…
pris une douche… me suis mas­tur­bé… regardé la télévi­sion & atten­du… attendu…
j’ai atten­du…   j’ai attendu…

5.

bien­tôt les excur­sions dans le monde de manhattan -
radio city & la folie de times square 42ème rue
les lumières l’action la lux­u­re… le blues en devenir 
enten­dre ce pre­mier disque de jazz…
fil­er vers Green­wich Vil­lage et être un vrai « beat »
et kif­fer les Beatles
et fumer mon pre­mier joint avec la mag­nifique femme noire bisexuelle…
ou per­cuter le prêtre avec le break
qui a béni nos petites âmes défoncées…
et ren­tr­er main­tenant à la mai­son très tard dans la nuit…
trop tard pour se baign­er trop tard pour regarder la télé mais jamais trop tard pour dormir

6.

then the big upset
the prin­ci­pal came over the P.A. one day
announced that the pres­i­dent had been shot
& that we could all go home -
i got home  washed   ate sup­per & sat in front
of the tv
there was the wait­ing & the wait­ing  & then the
death
sud­den­ly weird things began to happen
the fall­out from all those dreams
became even more painful…
my eyes start­ed drift­ing  my ears heard dif­fer­ent sounds
dif­fer­ent pieces of amer­i­ca start­ed to bom­bard me
negroes buf­faloes  bridges & rainbows
acid rain & strange acid worlds…
there were insides & out­sides their side & our side
bath­tubs missles & tv

7.

well the trolley’s gone & so is the 15 cent fare
the fall­out shel­ters have fall­en into decay &
those fun­ny lit­tle yel­low signs have rusted
or ripped away
i go to the beach when­ev­er i can    pick my nose
take show­ers & watch tv  
most­ly old movies & the news
i still eat burg­ers  piz­za corn­flakes peanut butter &
cherries
i still wait for the tree to grow inside me
though now i know it nev­er will

i think about the world a lot
& pre­tend that i am safe
as i watch the cher­ry blos­som fallout
   .….….….….…some­times i sleep… some­times i.….….….….….….….….…..  

6.

puis le grand chamboulement
le directeur un jour est venu annoncer
par le haut-par­leur que le prési­dent avait été abattu
et que nous pou­vions tous ren­tr­er chez nous -
je suis ren­tré à la mai­son me suis lavé j’ai dîné & me suis assis devant
la télé
il y a eu l’attente & l’attente  & puis la
mort
soudain des choses étranges ont com­mencé à se produire
la retombée de tous ces rêves
est dev­enue encore plus douloureuse…
mes yeux ont com­mencé à dériv­er mes oreilles ont enten­du des sons différents
dif­férents morceaux d’Amérique ont com­mencé à me bombarder
des nègres des buf­fles  des ponts et des arcs-en-ciel
des pluies acides et d’étranges mon­des acides…
il y avait des dedans & des dehors leur côté & notre côté
des baig­noires des mis­siles & la télé

7.

bon, le tramway a dis­paru & les tick­ets à 15 cents aussi
les abris anti-atom­iques sont tombés en ruine &
ces drôles de petits pan­neaux jaunes ont rouillé
ou été arrachés
je vais à la plage à chaque fois que je peux     me cur­er le nez
je prends des douch­es & je regarde la télé  
surtout des vieux films & les infos
je mange encore des ham­burg­ers de la piz­za des corn­flakes du beurre d’arachide & des cerises
j’attends tou­jours que l’arbre gran­disse en moi
bien que main­tenant je sache que ça n’arrivera pas

je pense beau­coup au monde
et je fais sem­blant d’être en sécurité
tan­dis que je regarde tomber les fleurs de cerisier
… par­fois je dors… par­fois je…

« we live in the faces on the wall… »

we live in the faces on the wall
in the drum with­in the soul
of the dancer
in the skut­tle & the tap & the 
boo­gie woogie…
heartbeats

we sing with the arts with­in our blood
as the hood of the sky shel­ters us
from
demons & stars
we walk on the waters of life &
fall apart in its presence
like shy lit­tle kids by the campfire

life life
we scat in time’s trunk
& break the chains of life
we fold like flowers
like old linen
like old paper
& old scotch
fold into our­selves like notes
we live with­in the mon­sters & the mothers
of the world
fold into our­selves like notes

we devour our breakfast
we devour our lunch
we devour our dinner
we devour our ancestors
we live in the faces on the wall
embraced by the shawl of winter
kissed by the lips of spring
haunt­ed by the rhythms of summer
devoured by the col­ors of fall
while we devour our children
devour the lives on the wall
fill our eyes with rainwater
& aban­don our­selves to the light

« nous vivons dans les vis­ages sur le mur… »

nous vivons dans les vis­ages sur le mur
dans le tam­bour au cœur de l’âme
du danseur
dans l’escampette & les cla­que­ttes & le
boo­gie woogie…
bat­te­ments du cœur

nous chan­tons avec les arts dans notre sang
tan­dis que la capuche du ciel nous protège
des
démons & des étoiles
nous mar­chons sur les eaux de la vie &
tombons en morceaux en sa présence
comme des gamins timides près du feu de camp

la vie la vie
nous faisons du scat dans la malle du temps
et brisons les chaînes de la vie
nous nous plions comme des fleurs
comme du vieux linge
comme du vieux papier
& du vieux scotch
nous nous replions sur nous-mêmes comme des notes
nous vivons dans les mon­stres & les mères
du monde
nous nous replions sur nous-mêmes comme des notes

nous dévorons notre petit déjeuner
nous dévorons notre déjeuner
nous dévorons notre dîner
nous dévorons nos ancêtres
nous vivons dans les vis­ages sur le mur
envelop­pés dans le châle de l’hiver
embrassés par les lèvres du printemps
han­tés par les rythmes de l’été
dévorés par les couleurs de l’automne
pen­dant que nous dévorons nos enfants
dévorons les vies sur le mur
rem­plis­sons nos yeux d’eau de pluie
et nous aban­don­nons à la lumière

GIVERNY met en scène Steve Dalachin­sky faisant un aller-retour dans le vil­lage français de Giverny, tan­dis qu’il lit son poème du même nom.

Sub­ma­rine Kyrsk

(for Mar­ty Marz)
Brighton Beach, Brook­lyn, NYC, Octo­ber 16th, 2000

Peo­ple walk along the garbage strewn shore like gulls
They have for­got­ten how to look for themselves

Words van­ish on water
Fine pol­ished stones in the palm of a great magician

The wind is vast yet concise
It shifts the cur­rent sideways
Picks up just enough sand to thin­ly blan­ket my eyes
& plays with the feath­ers of birds
Like a teas­ing old­er brother

Only the clouds remain unmoved

A white gar­de­nia in a blue biki­ni floats by
My wife sleeps pow­dered donut on sheet
A fat­ten­ing young man fon­dles his girlfriend’s heart
Kiss­es her navel dis­guis­ing his desires

Peo­ple lit­ter the shore like garbage
Too heavy for the waves to carry
Too lost & shame­less to bur­row beneath the sand like crabs
Too large to fit into the mouths of gulls

They have for­got­ten how to look for themselves

The mag­ni­fied light of the sun
Burns a whole in my chest
Emp­ty chest
Where once a smooth pol­ished stone lay –
Now disappeared

Like words
Beneath
The ocean floor

Le sous-marin Kyrsk

(pour Mar­ty Marz)
Brighton Beach, Brook­lyn, New-York, 16 Octo­bre 2000

Les gens marchent le long du rivage jonché de détri­tus comme des mouettes
Ils ont oublié com­ment se chercher eux-mêmes

Les mots dis­parais­sent sur l’eau
Fines pier­res polies dans la paume d’un grand magicien

Le vent est large mais furtif
Il déplace le courant latéralement
Emporte juste assez de sable pour cou­vrir légère­ment mes yeux
& joue avec les plumes des oiseaux
Comme un grand frère taquin

Seuls les nuages restent impassibles

Un gardé­nia blanc dans un biki­ni bleu flotte tout près
Ma femme dort beignet au sucre sur une serviette
Un jeune homme engrais­sé caresse le cœur de sa petite amie
Embrasse son nom­bril en masquant ses désirs

Les gens jonchent le rivage comme des déchets
Trop lourds à porter pour les vagues
Trop per­dus et sans gêne pour s’enfouir sous le sable comme des crabes
Trop grands pour entr­er dans le bec des mouettes

Ils ont oublié com­ment se chercher eux-mêmes

La lumière mag­nifiée du soleil
Brûle tout dans ma poitrine
Poitrine vide
Là où se trou­vait jadis une pierre polie et lisse –
Main­tenant disparue

Comme des mots
Au fond
De l’océan

tonight @ noon
(Charles Min­gus in Tomp­kins Square Park — 1960’s)

you said you
weren’t you that day
you stood behind me
in the crowd­ed park
    a big man with a camera
       around your neck
          hands near­ly
               smoth­er­ing it

i turned around
      looked into your eyes
             & asked
“Aren’t you Charles Mingus ?”
        you turned your head
                 slight­ly to the left
           raised one fin­ger to your lips             
      looked off into the distance
           said very soft­ly in that slightly
                    husky voice
         “Shhh. I’m not Charles Min­gus today.
                  I’m a photographer.”

           i turned back toward the stage
          wait­ed for the music to begin

ce soir à midi
(Charles Min­gus au parc de Tomp­kins Square – années 60)

tu as dit que tu
n’étais pas toi ce jour-là
tu te tenais der­rière moi
dans le parc noir de monde
    un grand homme un appareil photo
       autour du cou
          les mains presque
                le cachant

je me suis retourné
     je t’ai regardé dans les yeux
             & j’ai demandé
« N’êtes-vous pas Charles Mingus ? »
        tu as tourné la tête
                 légère­ment à gauche
           porté un doigt à tes lèvres             
      posé ton regard au loin
            tu as dit très douce­ment de cette voix
                     un peu rauque
         « Chut. Je ne suis pas Charles Min­gus aujourd’hui.
                  Je suis photographe. »

           je me suis retourné vers la scène
          en atten­dant que la musique commence

Steve Dalachin­sky se pro­duit lors du marathon radio­phonique Dial-A-Poem de John Giorno au Red Bull Arts à New York le 30/07/2017. © Steve Dalachinsky.

One for Shepp (1980)

           Shepp screams sweet­ly into the nite
    sum­mer ‘65
some new thing @ New­port in the rain
some new pain jolt­ing the brain
                          bones moan
    hun­gry angry shiv­ers wob­ble the minds of the weak                 
it’s record­ed tes­ta­ment now
                as rain & shad­ows chase the cat that
                         eyes the sparrows
       hang­ing like leaves from the leaf­less tree
               cold ghost eyes star­ing thru these lit­tle birds
                       @ some spot beyond even the sky
        med­i­ta­tive eyes that watch the scene
                so blankly
                                   thru cob­webs on the window
                        & this­tles on the fence

Shepp screams calm­ly for the dying ones
 who sped junk sick and beat­en  black/blue
        to their pri­vate cor­ners   rot­ting
              on rooftops   engraved into hallways
                       bot­toms always bottoms
        moan­ing “call me by my right­ful name”
            to the shin­ing white sym­bols of light
                     who spit sil­ver onto their corpses
   corpses that dream the frozen gold­en dream
            while pass­ing bor­rowed & unno­ticed into forever
                          fin­gers snap­ping snapped necks cough­ing chocolate

       into the wind

                                   go out on this nite
     tightly
                 wrap your­self in fire
          make your cry heard
                                               you a gypsy
                       only want­i­ng space  in this over­crowd­ed bar­ren room
                              where even life marks time
                 unno­ticed like cats        & birds   in trees.

Un pour Shepp (1980)

           Shepp hurle gen­ti­ment dans la nuit
   été ’65
une chose nou­velle à New­port* sous la pluie
une peine nou­velle sec­ouant la cervelle
                           gémisse­ment des os
    fris­sons de colère de faim font trem­bler les esprits du faible
c’est un témoignage enreg­istré maintenant
               tan­dis que la pluie & les ombres pour­suiv­ent le chat qui
                        regarde les moineaux
      sus­pendu comme les feuilles de l’arbre sans feuille
               les yeux froids d’un fan­tôme qui transper­cent les petits oiseaux
                       en un point au-delà même du ciel
        des yeux médi­tat­ifs qui obser­vent la scène
                le regard vide
                                   à tra­vers une toile d’araignée sur la fenêtre
                       & des chardons sur la clôture

Shepp hurle calme­ment pour les mourants
 qui s’injectaient leur came malades et vain­cus  noirs/bleus
        dans leurs recoins privés   pour­ris­sant
              sur les toits   gravés dans les couloirs
                       derniers tou­jours derniers
       gémis­sant « appelle-moi par mon vrai nom »**
            aux blancs sym­bol­es bril­lant de lumière
                    qui crachent de l’argent sur leurs cadavres
  des corps rêvant au rêve d’or gelé
           tout en pas­sant emprun­tés & inaperçus pour l’éternité
                 doigts qui claque­nt nuques brisées choco­lat recraché

       dans le vent

                                   sor­tir dans cette nuit 
     fer­me­ment
                    enveloppe-toi dans le feu
         fais enten­dre ton cri
                                               toi le gitan
en demande d’espace              dans cette salle déserte surpeuplée
                              où même la vie mar­que le temps
                 inaperçue comme les chats        & les oiseaux   dans les arbres.

* New Thing at New­port, album de Archie Shepp, enreg­istré en live au Fes­ti­val de New­port en 1965.
** Call Me By My Right­ful Name, com­po­si­tion de Archie Shepp, in New Thing at Newport.

Steve Dalachin­sky, l’un des artistes mem­bres fon­da­teurs d’Arts for Art, se pro­duit lors de la célébra­tion de la mémoire du pianiste Cecil Tay­lor (25 mars 1929 — 5 avril 2018) organ­isée par Arts for Art.

Insom­nia Poem # 14
(con­tin­u­ous loop)

insom­nia is most­ly circular
        then lines & waves       like the pas­sage of time        or the flow­ers of trees
                 the bed­ding down of bod­ies   embraced & betrayed   by life & myth

inter­lock­ing mounds of dust           por­traits of hanged skin & geometry’s
         pro­files of water           a dilat­ing com­pass        the criss­cross & nearmiss
of riv­er & ocean                             of tide & shore

ele­vat­ed above the tree­line there is a wind­ing road            i am there somewhere
        patch­es of moist hours devour the clock as they gnaw at me

                                            it’s a con­tin­u­ous loop            well trav­elled
& and i am always so tired

  

Poème d’Insomnie # 14
(boucle con­tin­ue)

                  l’insomnie le plus sou­vent est circulaire
alors des lignes & des ondes   comme le pas­sage du temps   ou les fleurs des arbres
         des corps qui s’allongent       embrassés et trahis      par le mythe & la vie

mon­tic­ules de pous­sière imbriqués          por­traits de peau sus­pendue & coupes
   d’eau géométriques   éten­due qui se dilate  l’enchevêtrement et la quasi-collision
des riv­ières & des océans               de la marée & du rivage

hissée au-delà de la ligne des arbres il y a une route sin­ueuse    je suis là quelque part
         plaques humides les heures dévorent l’horloge à mesure qu’elles me rongent

                                                              c’est une boucle con­tin­ue      fort bourlin­guée
& je suis tou­jours si fatigué

 

        

 

Steve Dalachin­sky et Franck Andrieux — Sep­tem­bre 2014 — (Pho­to : Ben­jamin Duboc).

Présentation de l’auteur

Steve Dalachinsky

Steve Dalachin­sky est un poète et un col­lag­iste, né à Brook­lyn en 1946 et mort à Long Island en 2019, emblé­ma­tique de la cul­ture under­ground du Low­er Man­hat­tan où il vécut avec sa femme, la pein­tre, poétesse et cri­tique d’art japon­aise Yuko Otomo.

Influ­encé par William Blake (« l’éclatement sub­lime »), l’Odyssée et surtout les poètes de la Beat Gen­er­a­tion dont il est l’un des héri­tiers directs, ses poèmes aux images fasci­nantes sont mar­qués par la spon­tanéité, la trans­for­ma­tion plutôt que la descrip­tion linéaire, l’expressionisme abstrait plutôt que le nar­ratif, brisant les fron­tières entre le poli­tique et l’intime.

Out­re les arts visuels, l’un de ses sujets prin­ci­paux aura été la musique et les musi­ciens de jazz, dont il s’entourait régulière­ment pour offrir à ses textes une vie de per­for­mance, notam­ment lorsqu’il s’allie avec ses amis musi­ciens William Park­er, Matthew Shipp, Susie Ibar­ra, Roy Camp­bell, Daniel Carter, Rob Brown, Daniel Carter, Sabir Mateen, Mat Maneri, Thurston Moore (ex-Son­ic Youth)…, faisant la part belle à l’improvisation et l’expérimentation sonore des mots.

Steve Dalachin­sky a lu sa poésie (poet­ry read­ings et/ou con­certs) dans de nom­breux endroits à New York, dont le Poet­ry Project, la Knit­ting Fac­to­ry, ou la plu­part des édi­tions du Vision Fes­ti­val, fes­ti­val de musiques d’avant-gardes et d’improvisation.

Il a don­né aus­si de nom­breuses lec­tures aux USA, au Japon et en Europe.

En France, il a joué notam­ment avec Joëlle Léan­dre, Itaru Oki, Didi­er Petit, Abdel­hai Ben­nani, Didi­er Lasserre, Syl­vain Kas­s­ap, Ben­jamin Duboc, The Snobs…

Bibliographie

- Tri­al and Error in Paris (Loud­mouth Col­lec­tive Press, 2003).

- Are­na (en col­lab­o­ra­tion avec la poétesse Yuko Oto­mo, Sisy­phus Press, 2003)

- Insom­nia Poems (Sisy­phus Press, 2004), d’après les dessins de Louise Bourgeois.

- Lautrea­mon­t’s Laments (Fur­ni­ture Press, 2005).

- In Glo­ri­ous Black and White (Ugly Duck­ling Press, 2005).

- St. Lucie (King of Mice Press, 2005).

- Dream Book (Avantcu­lar Press, 2005).

- The Final Nite & Oth­er Poems : Com­plete Notes from a Charles Gayle Note­book 1987–2006(Ugly Duck­ling Press, 2006, lau­réat du PEN Award), réu­nis­sant l’ensemble des poèmes écrits en écoutant le sax­o­phon­iste Charles Gayle en con­cert sur près de vingt ans.

- Logos and Lan­guage – a post-jazz metaphor­i­cal dia­logue, co-écrit avec le pianiste Matthew Shipp (RogueArt, Paris, 2008).

- Le livre de col­lages Christ Amongst the Fish­es (Oil Can Press, 2009)

- Inva­sion of the Ani­mal Peo­ple (Alter­nat­ing Cur­rent, 2009).

- The Man­tis – for Cecil Tay­lor 1966–2009 (Iniq­ui­ty Press / Vendet­ta Books, 2011)

- Reach­ing Into The Unknown (RogueArt, Paris, 2009), une col­lab­o­ra­tion avec le pho­tographe français Jacques Bisceglia.

- The Man­tis : col­lect­ed poems for Cecil Tay­lor 1966–2009 (Iniq­ui­ty Press, 2011)

- A Superintendent’s Eyes (Unbear­able Books / Autono­me­dia, 2013)

- Fool’s Gold (poèmes et col­lages, The Fer­al Press, 2014).

Ses poèmes ont été pub­liés dans de nom­breuses anthologies :

Beat Indeed, Writ­ers Beyond the Mar­gin, The Haiku Moment, Down­town Poets, Resis­tance, A His­to­ry of Jews and the Low­er East Side, The Unbear­ables Antholo­gies: Help Your­self and The Worse Book I Ever Read, Up is Up but So is Down, vivip­a­rous blenny, Ragged Lion, Off the Cuffs, In the Arms of Words, Hur­ri­cane Blues, An Eye for an Eye Makes the Whole World Blind, La Ten­ta­tion du Silence, DOC(K)S (“Leçon d’amour”), Le Petit Mer­cure, Le Goût du Jazz et The Out­law Bible of Amer­i­can Poet­ry.

Il a longtemps col­laboré avec le Brook­lyn Rail et a égale­ment été pub­lié dans de nom­breuses autres revues, cer­taines en ligne :

Big Bridge, Milk, Unlike­ly Sto­ries, Xpressed, Rat­a­pal­lax, Ever­green Review, Long Shot, Alpha Beat Soup, Xtant, Blue Beat Jack­et, N.Y. Arts Mag­a­zine, Tribes, The Helix, 6x6, Can­not Exist, Home Plan­et News, Polisz, Unarmed, The GW Review, Gare Mar­itime, Alter­nat­ing Cur­rent, Bath­tub Gin, 88, The Wan­der­ing Her­mit Review, Mima’a­makim, Lost and Found Times

Il écrit des notes de livrets de nom­breux CD’s, pour les musi­ciens Antho­ny Brax­ton, Charles Gayle, Derek Bai­ley, James Blood Ulmer, Rashied Ali, Roy Camp­bell, Matthew Shipp, Roscoe Mitchell…

Par­mi ses CD’s de poésie enregistrée :

- Incom­plete Direc­tions (Knit­ting Fac­to­ry Records, 1999), une col­lab­o­ra­tion mul­ti­ple avec de nom­breux musi­ciens comme William Park­er, Matthew Shipp, Sabir Mateen, Thurston Moore de Son­ic Youth et Ver­non Reid de Liv­ing Col­or.

- I thought it was the end of the world then the end of the world hap­pened again (Live à la Knit­ting Fac­to­ry, 577 Records, 2002), avec le bat­teur Fed­eri­co Ughi.

- Thin Air (Sil­ver Won­der Record­ing, 2001), avec la gui­tariste Loren Maz­za­cane Connors.

- Phe­nom­e­na of Inter­fer­ence (Hop­scotch Records, 2006), avec le pianiste Matthew Shipp.

- Mer­ci Pour la Vis­ite (Amor Fati 2007), avec le bat­teur Didi­er Lasserre et le sax­o­phon­iste Sebas­t­ian Capezza.

- Mas­sive Liq­uid­i­ty — an unsur­re­al post-apoc­­a­­lyp­tic anti-opera in two acts (Bam Bal­am Records, Paris, 2011), avec le groupe de rock psy­chédélique français The Snobs.

- The Fall­out of Dreams (RogueArt, Paris, 2011), avec le sax­o­phon­iste Dave Liebman.

- The Bille Has Been Paid (Dark Tree Records, Paris, 2015), avec la con­tre­bassiste Joëlle Léandre.

- ec(H)o — sys­tem (Bam Bal­am Records, Paris, 2015), avec The Snobs.

- Pret­ty in the Morn­ing (Bisou Records, Paris, 2019), avec The Snobs.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

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Franck Andrieux

Franck Andrieux, acteur et met­teur en scène instal­lé à Lille, ren­con­tre le poète et per­former new-yorkais Steve Dalachin­sky en 2004 à l’occasion d’un con­cert en duo avec le pianiste Matthew Shipp, lors du fes­ti­val Sons d’Hiver, à Vit­ry-sur-Seine. Dès lors, les textes du poète vont rapi­de­ment nour­rir sa pra­tique de la lec­ture scénique avec le groupe Poet­ryp­tich, que Franck Andrieux vient de créer avec le sax­o­phon­iste Michel Staw­ic­ki, mêlant poésie à voix haute et musique impro­visée. Il appro­fondi­ra l’expérience en 2006 avec The Dalachin­sky Project, cen­tré notam­ment sur le cycle Insom­nia Poems. Ici aus­si, les poèmes sont lus en anglais, en duo avec un con­tre­bassiste. À par­tir de 2006 et pen­dant près de douze années, Franck Andrieux invit­era régulière­ment à Lille, Steve Dalachin­sky et sa femme, la poétesse japon­aise Yuko Oto­mo, pour des lec­tures-con­certs avec de nom­breux musi­ciens lil­lois issus des musiques impro­visées. Steve encour­age Franck à traduire ses poèmes en français, afin de pou­voir don­ner des lec­tures bilingues en partageant la scène ensem­ble. En 2011, Franck Andrieux retrou­ve Steve Dalachin­sky et Yuko Oto­mo lors d’un séjour à New York, et assiste aux per­for­mances du poète lors du Vision Fes­ti­val 16th (au Clemente Soto Velez Cul­tur­al Cen­ter dans le Low­er East Side). L’occasion d’approfondir la con­nais­sance de son écri­t­ure et de resser­rer les liens d’amitié. En 2014, Franck Andrieux crée à Lille le Fes­ti­val Poet­ix (poésie & musique impro­visée), dont l’unique édi­tion aura pour invité d’honneur Steve Dalachin­sky. La même année, Franck Andrieux crée le groupe Spring avec le vio­lon­cel­liste Tim­o­th­ée Couteau et le trompet­tiste Chris­t­ian Prévost, et enreg­istre en pub­lic plusieurs poèmes de Steve Dalachin­sky, Bob Kauf­man, Lawrence Fer­linghet­ti et Amiri Bara­ka (album Amer­i­can poet­ry & Spon­ta­neous music). Après la dis­pari­tion soudaine de Steve Dalachin­sky en 2019, Franck Andrieux lui rend hom­mage l’année suiv­ante avec Steve’s Blues, dans lequel il donne à atten­dre unique­ment ses pro­pres tra­duc­tions en français. Il invite pour l’occasion le con­tre­bassiste Ben­jamin Duboc et le clar­inet­tiste Syl­vain Kas­s­ap, parte­naires réguliers de Steve lors de ses venues en France. Un recueil de ses tra­duc­tions doit paraître en Jan­vi­er 2025 chez L’Appeau’strophe (Mont­pel­li­er), offrant ain­si pour la pre­mière fois aux lecteurs fran­coph­o­nes une édi­tion bilingue de cette fig­ure unique de l’underground new-yorkais des quar­ante dernières années.

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