Entr­er en l’œuvre d’un poète moult fois lu, comme retrou­ver ce ter­ri­toire con­nu, aimé, ras­sur­ant, récon­for­t­ant, du poème ; sen­tir cette force, alors en soi, lampe de la résis­tance, face à la nuit de jours aveu­gles. De Naz­im Hiksmet à Fed­eri­co Gar­cia Lor­ca, en pas­sant par Aragon et bien sûr Yan­nis Rit­sos, cette même inten­sité du vivre, ce même engage­ment de soi, où le poème est un chant adressé tout autant aux oreilles des frères et sœurs, qu’à celles des bourreaux.

Ce chant, comme ces dix-huit chants, cette poésie démo­tique, poésie des chan­sons pop­u­laires qui fleuris­saient en Grèce, bien avant que Rit­sos ne s’en empare, ne se les appro­prie ; poésie démo­tique qui par­lait au peu­ple en résis­tance con­tre l’en­vahisseur, devint alors, dans les vers du poète, cette résis­tance con­tre l’en­vahisseur intérieur, cette dic­tature arrivée avec le général Pan­ga­los, au début des années vingt, jusqu’à la fin du régime des colonels, au milieu des années soixante-dix.

Ces dix-huit chants, brefs et intens­es comme des coups de couteau, à la lame si aigu­isée qu’elle déchire la chair du silence ; écris en respec­tant la forme anci­enne, dis­tiques de quinze pieds  — forme stricte, pour fond de lib­erté ; cette lib­erté qui man­quait tant au poète, alors enfer­mé à Parthéni, dans l’île de Léros ; cette prison insu­laire où, chaque matin, à l’aube, il com­po­sait ses chants, sur tout ce qu’il pou­vait trou­ver pour écrire, des bouts de papi­er, des paque­ts de cigarette.

Ces chants mis en musique, par son ami, le com­pos­i­teur Mikis Théodor­akis, lequel les lui avait com­mandé, comme on demande à un ami de, non pas résis­ter, mais se bat­tre, avec les seules armes de l’e­spoir, les mots.

Extrait :

 

4.Peuple

 

Un petit peu­ple qui lutte sans les sabres ni les balles
pour le pain du monde entier, pour la lumière et la chanson.

Il retient dans sa gorge lamen­ta­tions et ovations
et s’il se risque à les chanter, les pier­res se fendent.

 

 

 

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Vincent Motard-Avargues

Vin­cent Motard-Avar­gues, né le 15 juin 1975, à Bor­deaux ; pho­tographe & musi­cien, a pub­lié quelques livres. Poésie : — “Car­nets d’un plongeur sec”, édi­tions Gros Textes, 2019 — “La chair de la pierre”, édi­tions Incli­nai­son, 2018 — “(im)permanence”, édi­tions Encres Vives, 2015 — “Je de l’Ego”, édi­tions du Cygne, 2015 — “Recul du trait de côte”, édi­tions de la Crypte, 2014 — “À ce qui est de ce qui n’a”, édi­tions Encres Vives, 2013 — “Leurs mains gan­tées de ciels”, édi­tions Encres Vives, 2012 — “Le vil­lage retrou­vé”, édi­tions Encres Vives, 2012 — “Si peu, tout”, Éclats d’en­cre édi­teur, 2012 — “l’Al­pha est l’Omé­ga”, ‑36° édi­tions, 2011 — “Un écho de nuit”, édi­tions du Cygne, 2011 Pho­to : — “Radi­celles”, duo poèmes/ pho­tos avec Murièle Mod­é­ly, édi­tions Tar­mac, 2019 — cou­ver­ture du livre « Je te vois », de Murièle Mod­é­ly, édi­tons du Cygne, 2017”