Bien avant que mes yeux ne se dispersent
dans la mer, ta main aura dans la pierre
inscrit ma présence.(17)
« Votre chemin est rocailleux et vivant (…) C’est un chemin fait de chutes et de relèvements », écrit Jean-Pierre Lemaire dans la lettre-préface qui ouvre ce court ouvrage, qui est une des sections d’un plus long recueil La vie longue à venir, et se présente comme un tiré à part, agrafé. Petit livre de colportage, poèmes qu’on peut emporter par devers soi, dans la poche du manteau, pour les lire au hasard d’un rai ou d’une averse.
Trois dessins d’Aka Bagot ponctuent ces pages : drapés d’anges qui regardent la terre ? Peut-être des rochers qui vont se mettre à parler ? Car cette parole est comme une larme, de joie ou de peine, sourdie à tes pieds ou du ciel tombée dans ton oreille :
Avant que tu ne sois,
ce papillon clair qui passe
d’un monde à l’autre en un clin d’oeil
t’accompagnait déjà sans répit (…)
Celui que nous connaissons comme traducteur, notamment de Bergamín et ses sagaies pointues parfois drolatiques, livre des textes dont l’identité est peu cernable : élégies, satires, invocations, prières ?
Dans tes yeux, Christ obscur, seul, j’en finis, douleur
trouble, avec cette absence qui m’avait
si longtemps tenu comme ta mère serrant
ton corps dans ses bras en sueur.(…)
Le mot de berceuse est sans doute à prendre au premier degré. Le poète chante en chuchotant presque mais en détachant bien chaque syllabe. Sur un rythme de couplets populaires, les liens se font, une main sur l’épaule, à l’exemple de cette comparaison, discrète, modeste, vertigineuse : les houles qui t’agitent…
… le souvenir du premier âge des poètes, quand la langue était, supposons-nous, translucide, presque transparente et qu’elle donnait directement sur la vie.
Cloître haut, forme de corbeille d’où
aveugle surgit un papillon. Ainsi
voudra-t-il toujours me faire
signe, toujours à la paix de l’âme d’un zigzag
d’ailes se donner.(…)