“Écrire avec la neige / pour un lecteur aveugle”
Dès les premiers vers, Michel Thion nous prévient : la neige est l’écriture, éphémère et vaine, éternelle et fondamentale. Paradoxe ? Non, évidence !
“Elle disparaît, / elle est l’oubli, / reste une trace du passé. // Mais reste t‑il / une trace de l’oubli ?”
Si elle disparaît, comment peut-elle laisser de trace ? Sans doute parce qu’elle s’inscrit dans l’inconscient, s’y imprime. Comme un poème apprit par cœur, à l’enfance, et qui revient en tête sans qu’on y prête attention.
Ou bien est-elle la résurgence d’un temps pas si lointain, d’un lieu pas si éloigné ?
“Elle est / l’écriture de l’exil”
Ce lieu de soi, d’en soi. Ce territoire de l’inconscient, ou du passé dilué par les actions quotidiennes.
Ce parfum. Ce goût. Ce toucher. Cette sensation suspendue à nous, par un désir de ne rien perdre du temps.
“Notre commune mémoire, / une poignée de neige”
La mémoire, oui, de ce qui reste de notre passé, de nos passés. L’enfant qui sommeille en nous.
“Si la neige / est le rêve / d’un enfant nuage, //où ira t‑elle / quand l’enfant se réveillera ?”
Et si l’enfant se réveille, si la mémoire s’étiole… que garde ‑t-on d’elle, de nous ?
“La neige / ne vieillit / pas, // elle devient seulement / lucide.”
C’est alors cette lucidité qui nous rappelle à elle, paradoxalement. On sait qu’on ne peut la perdre, qu’elle vit en nous. Demain et après.
“Les beaux jours venus / la neige / coule encore dans mes veines.”
Quand la couleur de l’été, aveuglante, nous épargne la subtilité des nuances de blanc, on sait qu’elle demeure en nous, malgré tout, malgré nous.
Il suffit de l’écrire. Et on revit.
“Écrire le mot neige / recouvre la page / de blancheur.”
Cette blancheur n’est pas le vide, la pâleur, une sorte de mort, mais bien ce qui comble l’absence, la perte, la fuite de soi, de tous, de tout.
“Elle / efface le vide / entre le ciel et la terre.”
Un sentiment d’apaisement. Une libération discrète. La nuit se couche, et la peur du manque s’endort.
Et si la neige, elle aussi, se repose, s’endort, on sait qu’elle ne meurt pas, qu’on n’oublie pas.
Elle a fait son œuvre, avec nous. Et continue.
“Au lever du jour / elle dort / enfin, // absence de l’absence. ”
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