Le pacifisme combattant de Józef Wittlin ( 1896 — 1976 )
présenté et traduit
par
Alice-Catherine Carls
Józef Wittlin joua un rôle très important dans la vie littéraire polonaise d’entre les deux guerres, puis en exil, après 1945. Pour composer sa trilogie sur les effets de la Grande Guerre en Galicie, Le Sel de la terre, il fit des recherches approfondies dans les archives militaires de plusieurs pays d’Europe, dont l’Autriche et la France. Le premier volume, La Saga du patient fantassin, parue en 1935, lui valut une nomination pour le Prix Nobel – prix qu’il ne reçut pas, le jury d’Oslo préférant attendre la parution des deux volumes suivants. Immédiatement traduit en allemand, publié par chapitres dans Le Temps, le livre dans la traduction de Raymond Henry fut mis au pilon en mai 1940 par les Nazis. Mis sur la liste noire des écrivains juifs proscrits, Józef Wittlin échappa in extremis à la mort en s’embarquant avec sa femme et sa fille sur un navire de guerre anglais à St. Jean-de-Luz. La valise qui contenait toutes ses notes et le manuscrit des volumes deux et trois de la trilogie, fut jetée à l’eau par un marin britannique qui jugeait que la famille avait trop de bagages.
Il n’est pas surprenant que, cette année, deux conférences soient consacrées à son oeuvre en Pologne. La première vient d’avoir lieu à Cracovie sous les auspices de l’Association des Ecrivains Polonais. Intitulée “Les Etapes de Józef Wittlin, elle traita de trois personnages importants pour Wittlin: Saint François d’Assise, Orphée, et Piotr Niewiadomski, le héros du Sel de la terre. La seconde conférence se tiendra à l’Université Catholique de Lublin le 29 mai et traitera de “Józef Wittlin, écrivain de la culture des confins.”
Piotr Niewiadomski, Pierre de père inconnu, Pierre à l’identité indéfinie. Rien que dans ce nom, Józef Wittlin affirmait son refus des stéréotypes ethniques. Piotr symbolise l’Europe orientale plurielle en train de chavirer dans le charnier de la Grande Guerre. Comme les autres héros de Józef Wittlin, Piotr est un homme fort dans la douceur, un homme qui, ayant choisi l’innocence comme philosophie de vie, fut un puissant témoin de son époque et lutta sans faillir pour la paix.
Chantre de la Galicie, Józef Wittlin n’oublia jamais son Arcadie natale. Une fois installé à New York, il travailla pour les programmes littéraires de Voice of America, enseigna à Columbia University, et entretint une volumineuse correspondance avec l’éditeur de la revue Kultura, Jerzy Giedroyc. Malgré les encouragements que lui prodiguait ce dernier, il ne reconstitua jamais les manuscrits des volumes deux et trois de sa trilogie, à part un court texte, “La mort saine,” qui fut publié par Kultura dans le numéro de juillet-août 1972. Tout sa vie, il écrivit des poèmes. Ceux que nous avons traduits sont reproduits avec la gracieuse permission de la fille de l’auteur, Elizabeth Lipton-Wittlin, et celle de Robert Dadillon, qui les publia dans Poésie Première, la revue littéraire qu’il dirigeait alors (No. 7, Spring 1997, pp. 1–29). Les vers en italique sont en français dans le texte original. Nous avons organisé les poèmes par ordre chronologique pour souligner l’évolution de Józef Wittlin comme homme et comme poète.
Hymne pour une cuillerée de soupe
Frère, je t’offre cette cuillérée de soupe chaude,
Toi qui grelottes en terre étrangère,
Qui t’es traîné trois longs hivers,
Qui trois étés brûlants as erré
Par des champs à perte de vue –
Mettant un pied devant l’autre,
Tu as marché et marché sans fin,
Tu as posé ta tête sur la glèbe humide,
Tu as pourri dans les wagons à bestiaux,
Tu as mangé du pain moisi dans les fossés,
Tu as mâché du tabac pris à la litière des vaches,
Tu as bu l’eau de marais puants,
Tu as marché et marché –
Dévoré par les poux
Et mordu par les balles,
Jusqu’à ce que la mort avide t’ait bu.
Oh, elle t’a bu jusqu’à la dernière goutte.
Toi qui suas sous trois aoûts brûlants
Et séchas comme ce silencieux étang
Qui s’assombrit au coucher du soleil,
Je t’offre cette cuillérée de soupe chaude!
Elle t’éveillera peut-être de ton hébétude,
Toi, engourdi dans un abri de tirailleur,
Sans personne pour prendre la relève!
Toi, mon frère, pour quoi t’es-tu battu,
Pour quoi les poux t’ont-ils dévoré,
Pour quoi as-tu traîné sans fin,
Mangé l’ivraie
Et bu l’eau des fossés –
Tu ne le sais pas plus que moi,
Dieu te le dira peut-être un jour.
Mais je sais une chose, une seule :
À l’instant où la mort approchait
Dans son armure de glace,
Sur la pointe des pieds, en silence,
Tu n’appelas ni ta mère
Ni ton père, ni ta femme,
Mais tu imploras de tes poumons déchirés,
Tu appelas d’un spasme de tout ton corps,
Et de tes yeux qui scrutaient la nuit,
Et de ton sang qui se figeait, tu crias:
“Une cuillerée de soupe!” Cette cuillerée de soupe chaude
Qu’en vain aujourd’hui je veux t’offrir.
1918
Prélude
Le cri des bataillons mourants résonne encore en moi
Et le souvenir, et le fracas des trônes renversés.
Mes poumons sont encore emplis de gaz de poudre et de feu
Le monde étrangle chaque mot dans ma gorge.
Un jour noir, tel un noir cauchemar,
M’oppresse encore.
Je me dispute toujours, car en moi s’accuse
L’Europe tout entière! Et une foule de forçats
en moi tend le poing vers le ciel,
Criant et menaçant
Par les croix de tous les cimetières militaires.
Mais demain, émerveillée, elle tendra la main,
Car elle n’a pas frappé aux cieux en vain.
Déjà la manne tombe, déjà la rosée nous rafraîchit
Et adoucit notre amère vie.
Elégie à Homère
(en conclusion à ma traduction de L’Odyssée)
1
Aujourd’hui je te massacre, Homère –
t’arrachant aux devoirs d’école,
Par toi jadis retenu en
détention, je maudissais Ulysse.
Les larmes coulaient.
O mon pauvre barde aveugle –
qui ne peux même pas prouver
Que tu vécus!– avec quel mépris
je me plongeai en toi dans ma jeunesse.
Alors que tes hexamètres
m’étaient rebattus à l’oreille,
Le désir m’arrêtait devant le cinéma,
je voulais du drame au mètre.
Jusqu’au jour, à l’hôpital militaire,
pendant une terrible guerre,
Où tu me parlas calmement
des villes qui brûlaient.
Le sang coulait.
Tu entras dans ma vie abrutie
avec le roi d’Ithaque:
Il me secourut dans mon tourment.
(Je pensai: pourquoi pas te consacrer
Mes derniers sous).
Je t’achetai chez un libraire d’occasion,
ô source lointaine et longue
De mes rêves, ivresses, peines,
triomphes, travaux, et gains.
Le vin coulait.
II
Ô mer! Ô saintes voiles!
Dans les nefs pensives des rues
Je voguai seul, sans ancre,
jusqu’à ce que tu ne m’assujettisses.
Et sept ans sur ta galère
je m’attelai à la rame.
Aujourd’hui libéré – fièrement
je te rends grâces, Homère!
Ne me raille pas d’avoir bu
au sang de ta cithare, moi
Qui suis indigne de nettoyer
tes sandales, vieux timonier!
Téméraire, je contemple ton visage
aveugle d’une terrible clarté.
Une main sur le coeur, je compte
mes chutes dans cet envol.
Ô pauvre barde aveugle, toi
qui ne peux même pas prouver
Que tu vécus! Par le hasard de l’Histoire,
tu m’évites aujourd’hui la faim!
Tu apaise les faims de mon âme et de mon corps
ô Vision!
Toute l’Hellade tremblait
quand vibrait ta cithare!
Aujourd’hui encore, mon Sublime,
les jeunes gens que tu enivres
Et les vieillards que tu berces
ceignent ton front de couronnes neuves.
1921
Epitaphe pour Aristide Briand
Avec ton faux-col amidonné, démodé,
Tes pantalons fripés,
Ton chapeau melon sur ta crinière de lion,
Une Maryland collée aux lèvres
Tu as coulé comme un pêcheur breton –
Sans un mot de reproche.
Pourquoi, vieux chat, plissais-tu tes yeux malins?
Pour ne pas voir les rats déjà prêts à la curée?
Tu ne voulais pas voir le mal?
Coq gaulois tu claironnas avant de mourir:
Tant que je suis là
Il n’y aura pas de guerre!
Tu surchargeas ta barque
D’un fardeau terrible et inhumain.
Toi qui faisais confiance à l’Europe,
Honni tu mords aujourd’hui la terre.
L’étendard de la victoire t’échappa.
Mais le jour viendra,
Où la France exhumera tes cendres,
Et ouvrira tout grand le Panthéon aux vaincus.
1932
Les passagers du tramway
Tous serrés dans le tramway,
Plongés dans les mêmes journaux.
Regardons leurs visages:
En ce moment ils ont tous des gueules
D’assassins.
Tous les cerveaux enregistrent par des yeux froids
Les mêmes mauvaises nouvelles,
Toutes les âmes avalent les mêmes cochonneries,
Tous sont contents,
Qu’on ait tué quelqu’un,
Qu’on ait arrêté quelqu’un,
Que demain matin on pende
Quelqu’un d’autre.
1933
Elégie pour les yeux
De tes yeux méchants, par la torture de tes regards méprisants,
Opinion publique, tu me cloues comme une affiche sur un mur.
Espions, les yeux de mes proches partout me flairent et me suivent –
Ils veulent me saisir, m’attrapper dans ma fumerie secrète d’opium.
C’est là que mon coeur, tel un apache, chaque soir se glisse en secret.
(Dans toutes les tavernes du monde, la trahison se saoûle à la vodka.)
Ici la sécurité, ô mon coeur, dans cette sombre allée sinueuse
Deux belles lanternes éclairent la porte de mon refuge.
Ô doux yeux de ma femme, jadis pressentis en rêve,
Accordez-moi l’abandon et l’odorante cigüe de l’apaisement.
Tels deux chiens incorruptibles veillez sur mon asile,
Yeux qui jamais ne mentez ni ne vous trompez.
De cette foule d’yeux qui m’a battu et mis en pièces,
Vous seuls m’avez offert la goutte d’une larme pure.
De cette larme j’ai frotté ma tempe et j’attends pieusement,
Oint comme un roi, que Dieu y pose la couronne de Vie.
Je sais que vous veillerez chaque jour, chaque soir,
Pour m’épargner de cette couronne la dure étreinte.
Et quand le fourgon noir s’arrêtera devant mon logis,
Les yeux faussement humides ne verront pas vos larmes.
En silence, derrière mon cercueil, vous irez rendre à la terre
Ce corps que vous avez abondamment baigné de larmes.
A la recherche du temps perdu
Pour Tola Korjan
Moi, Anna Csillag à la belle chevelure,
Toujours la même avec mon affable sourire,
Quasi-sainte, depuis trente ans,
Je trône dans les colonnes de tes journaux.
Je tiens un rameau étoilé comme un lys,
Le temps ne change pas mon angélique beauté,
Duveteux, le tapis de mes cheveux épars
Coule en cascade bruissante jusqu’à mes pieds,
Mes pieds nus de déesse du cheveu.
Moi, Anna Csillag, pendant ces trente ans,
N’ai connu ni tristesse, ni douleur;
Mais que t’est-il arrivé, ô mon fils,
Pour que tu pleures en me voyant?
Sur ma tête, même pendant ces annés où
Le monde nageait dans le sang de tes frères,
Où le sang noyait l’encre de l’‘imprimeur,
Et où la mort m’appelait des colonnes voisines,
Pas un cheveu ne grisonna,
Pas un cheveu ne tomba.
Ô Anna Csillag, idole de papier
Des jours disparus de notre jeunesse,
Je vais dans le monde et je ramasse des ordures,
Je serai bientôt un bibelot en souvenir de moi.
Et j’écrirai des poèmes encore plus sots
A la recherche, à la recherche
Du temps perdu.
1934
Litanie
Les événements d’aujourd’hui – je les tais.
Je me tais sur l’humiliation de mes frères.
Je me tais sur la profanation de mes frères.
Je me tais sur la Pologne depuis la mort du Maréchal,
La faim des affamés, la satiété des repus,
Les victimes de combats inégaux.
Je me tais sur la misère des campagnes et du paysan.
Je me tais sur la misère des villes et sur le chômage.
Je me tais sur la noirceur des oppresseurs.
Je me tais sur la noirceur des opprimés.
Je me tais sur les incitateurs à la violence.
Je me tais sur le matraquage des sans défense et des faibles.
Et sur Bereza Kartuska,
Et sur les mains enchaînées du poète.
(Sur toi aussi, Monsieur le censeur, je ne dis rien,
Donc ne confisque pas mon silence.)
Je tais tout ce qui transforme ma conscience
En une plaie sale, sanglante, purulente.
Je me tais sur tout ce qui m’étrangle.
Je me tais sur les cauchemars que la nuit dépose
Sur mon coeur plein d’effroi et d’amertume.
Depuis le gouffre infernal qui s’est entr’ouvert
Mon âme crie par son silence.
Je me tais sur tous les crimes que je vois.
Je me tais sur tous les lâches munis d’armes.
Sur tout le sang versé en vain.
Je me tais sur les guerres en cours.
Je me tais sur celles de demain.
Je me tais sur les enfants à la morgue de Madrid.
Je me tais sur la clémence des bombes et de l’ypérite.
Je me tais sur tous les procès de Moscou.
Je me tais sur le diable qui se promène dans le monde.
Seigneur, toi qui juges mes paroles et mes actes,
Sois clément envers mon silence.
1937
Avant la fin du monde
Avant la fin du monde
il apparut trois anges
à moto.
Le premier ange
était habillé en policier
et portait un casque.
Le deuxième ange
portait haut-de-forme et frac.
Mais le troisième ange
n’en ‘était pas un –
bien qu’il eut des ailes dans le dos
et une grande auréole sur la tête.
1967 (?)
* * *
Salissons, salissons les saintetés,
car il faut qu’elles soient saintes;
ce n’est que souillées,
fouettées, conspuées,
ceintes de couronnes d’épines,
crucifiées entre deux larrons,
abreuvées de vinaigre et de fiel,
fusillées, empoisonnées,
qu’elles peuvent être
saintes.
- — - — - — - — - — - — - — - — - -
Pleurez, ô filles de Jérusalem,
de ce côté-ci et de l’autre côté
du Mur.
1967
Strictement personnel
Déjà mon sang lassé refroidit dans mes veines
et mon propre corps m’est étranger.
Ô, combien me dégoûte le vieux cacochyme
que je suis devenu.
Que me veut cette bille chauve
que je dois regarder en me rasant?
Puissé-je une fois voir mon âme dans le miroir,
puisque de son aigre moelle je suce ces mots.
Toi qui à Ton image et à Ta ressemblance,
nous créas dans un but connu de Toi seul,
regarde-moi maintenant: pourrais-tu avoir
aussi piètre apparence, ô divin Créateur?
Cadavre vivant, ma puanteur me suffoque,
comment ne pas désirer les parfums du paradis,
quand mes fausses dents claquent de peur –
avec quoi mordrai-je la terre nourricière?
Automne 1968
L’arbre de la connaissance
À l’arbre de la connaissance du bien et du mal,
Je ne cueillis pas de fruits, je n’y goûtai pas.
Jamais le serpent ne me tenta du péché
d’impureté, mais l’impureté est en moi
et je sais cela:
le serpent au visage humain était le diable.
Dans les collines d’Ombrie, au paradisiaque
Monteluco, à midi – l’été dernier
je vis un serpent.
Il ne glissait pas dans le pré
entre la menthe odorante et les chardons bleus,
mais à l’affût sur une haute branche de chêne
il se préparait à étouffer des oisillons.
Mûs par une solidarité d’oiseaux
les dindons qui picoraient dans le pré
sentirent la présence du serpent.
Tels les oies du Capitole,
d’une voix altérée ils alertèrent
Pepe, le vieux contadino: accouru,
d’un bâton il délogea le serpent,
et d’une pierre il trancha la gueule au diable.
- — - — - — - — - — - — - — - — - -
Pourquoi, ô Dieu tout-puissant, n’y avait-il pas
un contadino Pepe dans ton paradis?
(Il s’y trouvait sûrement des dindons).
Mais comment aurait-il pu y être si
tu avais condamné les parents de la race humaine
à une pureté inféconde et éternelle?
Ainsi les chérubins, et cette épée de feu,
la police…
Décembre 1968
Lamentation du bélier sacrificiel
Pourquoi moi? Animal,
n’ai-je pas d’âme? Par contre, mes cornes
prisonnières du buisson d’épines
me condamnent au couteau
du vieillard fou de peur.
Leurs sages disent que j’attends sur le mont Moriya
depuis le sixième jour de la création du monde,
que ce couteau coupe
mon cou, et pas celui d’un adolescent,
et que je sois brûlé à sa place
sur ce bûcher.
Mais pour que l’âcre odeur de mes entrailles,
la puanteur de mon outrage crié au ciel,
n’incommode pas Celui qui d’un père âgé
exigeait une si terrifiante offrande,
le vieillard obéissant aspergea le feu
de racines, de résine, et d’encens odorants,
de nard et de myrrhe…
Ainsi la fumée de mon supplice
l’arôme de mon agonie, Lui furent agréables.
Peu importe que je n’aie pas d’âme,
mon corps sent la douleur comme eux,
et mon coeur bat de peur aussi fort
que leurs coeurs transis quand
l’ange de la mort les marque de son aile glacée.
Ce sacrifice était-il nécessaire?
Ne Lui suffisait-il pas de se jouer du coeur du vieillard
pour rassasier son désir d’obéissance aveugle?
Pourquoi n’épargna-t-Il pas ma vie?
Pour ne pas gaspiller le bûcher sacrificiel?
Et ne pas tacher le couteau d’un sang innocent?
Il comptait sur mon ignorance,
puisque je n’ai pas d’âme…
Oui, privés d’âme,
les animaux ne peuvent pêcher.
Du paradis
personne ne nous chassa…
Et vous, qu’avez-vous fait
de votre âme? Un puant cloaque
où fleurit l’injustice. Et aussi:
chez vous, toujours,
l’innocent paie pour le coupable.
Chèvres bipèdes sacrificielles possédant une âme,
des nations entières brûlent dans les fours crématoires,
une fumée malodorante frappe au ciel,
mais les anges n’en descendent pas
pour écarter la main des bourreaux.
Les sages disent que sur le mont Moriya
le feu ne me consuma pas.
Sur mes os – dit-on – on Lui édifia
un très saint sanctuaire, de mes veines
on fit des cordes pour la harpe de David,
et le prophète Elie se vêtit de ma peau,
lui qui soufflera sur le mont Moriya
dans ma corne droite sciée, évidée,
le jour où les descendants du vieillard obéissant
verront enfin le Messie conjuré par leurs prières.
- — - — - — - — - — - — - — -
Ah, soufflez donc dans mes deux cornes
sous le Mur des Lamentations
ma souffrance ne compte pas,
ma peur non plus, car je n’ai pas d’âme.
Une seule fois dans l’histoire de cette terre
un saint homme appela les animaux ses frères.
1968
L’Ascension en 1958
Les anges déchus depuis des siècles
Remontent au ciel – par acte d’homme.
Ils s’élèvent et traversent la stratosphère,
Armés jusqu’aux dents – fusées lunaires, spoutniks.
Ils ont servi l’homme avec leur grande sagesse ,
Ils ont nourri les physiciens de leur science inconnue.
A coups de faucille ils ont coupé
L’arbre de la connaissance du bien et du mal
Et ils retournent – ils retournent – d’où ils sont venus.
Le poète émigré
Il jette d’étranges sorts
autour de lui se fait le vide
et dans ce désert il
proclame d’une bouche libre
la louange des bouches libres.
1975
Postscriptum à ma vie
Que personne ne fasse le sot sur ma mort.
Ma vie fut certes dure – mais celle d’un cadavre
N’est pas aisée non plus – aujourd’hui
Un corps, demain le délice des vers.
Et tout ce que j’ai aimé sur terre,
S’éloigne, s’éloigne à jamais.
— - — - — - — - — - — - -
Ô Toi, en l’existence de qui je veux croire,
Envoie là où sera mon âme – si j’en ai une–
Ton consolateur, Wolfgang Amadeus.
Dernières Paroles
Je regarde les gratte-ciels du dix-septième étage de ma chambre d’hôpital – morts le jour, ravivés la nuit par les éclairages – immenses pierres tombales qui frôlent le ciel. La finitude de ce paysage est sauvée par la publicité lumineuse de PAN-AM ; telle une étincelle d’espoir, elle me promet que je retraverserai encore l’Océan.
Février 1976
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