Ecrire la faim… L’un des poèmes du Spleen de Paris de Baude­laire a pour titre “le Gâteau”, et il a pour objet d’évoquer la faim et, par con­traste, la satiété. Cepen­dant, comme si sou­vent dans son oeu­vre, le poète y débor­de sa thé­ma­tique affichée et il en vient à dénud­er, comme au scalpel, cer­taines des modal­ités du désir. Il en advient que nom­bre de ses Petits poèmes en prose peu­vent servir de prisme et de révéla­teur du lien qui unit désir et lit­téra­ture. Quant à la faim, dont l’objet est vital, dont le moins que l’on puisse dir est qu’il est uni­versel. D’où l’envergure du poème : on s’y trou­vera bien­tôt entre vie et mort : sans nour­ri­t­ure pour sus­ten­ter la faim, il faut mourir, si bien que se trou­ve rad­i­cal­isée la ques­tion du désir, — sans compter que cette cristalli­sa­tion du désir en général sur la faim, et sur une tranche de pain dev­enue du gâteau, met au jour de façon par­ti­c­ulière­ment exposée, — sur­ex­posée -, la charnière qui unit le désir et la littérature.

Pour­tant « Le Gâteau » s’ouvre plutôt sur la représen­ta­tion d’une satiété qui est tout à la fois physique, morale et esthé­tique : un voyageur comblé au som­met d’une mon­tagne sub­lime. A l’évidence, le poète se moque de Rousseau. Mais son poème pense, raille, joue, séduit, cha­toie, mais il est aus­si parole autonome, mul­ti­ple et vivante et débor­de de toute part son pro­pos affiché pour faire entr­er le désir dans une sorte de rela­tion néces­saire avec la vie, avec la poésie et avec la littérature.

Pre­mier para­graphe : aus­si éton­nant que cela soit de la part de Baude­laire,  il dit un état de sat­is­fac­tion. Son pro­tag­o­niste juché sur sa mon­tagne, heureux du monde, heureux de soi, heureux des autres, est si heureux même qu’il en vient à ne plus trou­ver si ridicules les jour­naux qui pré­ten­dent que l’homme est né bon. Bref, Rousseau est bien là et il faudrait baign­er avec lui, selon la pen­sée que Baude­laire lui prête, dans une har­monie inno­cente, à ceci près qu’on ne peut oubli­er com­bi­en le poète, qui met si sou­vent le doigt sur ce qui relève de la scis­sion intérieure, se défie de l’innocence.

Pour com­mencer, le texte joue.  Le per­son­nage a‑t-il faim ? Le pain, une tasse de cuir, objet un peu sur­prenant, mais, comme le reste, tout à la fois signe de luxe et d’ironie, et un élixir de phar­ma­cie non moins absurde sont déjà sous sa main. On se croirait dans La Genèse ou au  moment de la décou­verte de l’efficacité de la peau de cha­grin par Raphaël. Quant à la satiété morale, elle trans­porte claire­ment du côté du sub­lime. Il y va même d’un total oubli de tout le mal ter­restre. Ce que le texte ne cesse de laiss­er enten­dre, c’est que nous avons quit­té le sol. Le poète joue, pour le sig­ni­fi­er, de toutes sortes de mar­queurs de doute. Il ne cesse de se dédire, par le ton, de ce qu’il dit, et ces lignes finis­sent par être ravageuses. Tout cela vole trop haut, sans compter les grands mots et les clichés qui le dénonce. Il est, dans Madame Bovary, une rêver­ie amoureuse selon laque­lle des palmiers s’ajoutent aux sap­ins, aux sable des plages et à tant d’autres signes sup­posés d’excellence que les pré­ten­tions amoureuses du per­son­nage en sont ravalées à des facil­ités mesquines. Même bêtise ici : pas­sions  vul­gaires aus­si éloignées que les nuées qui défi­laient au fond des abîmes ou  plus mar­qué encore, un sou­venir des choses ter­restres sem­blable au son de la cloche des bes­ti­aux imper­cep­ti­bles qui pais­saient loin, bien loin, sur le ver­sant d’une autre mon­tagne.  Il est rare que Baude­laire approche à ce point le comique.

Un mot pour­tant, le même, fait œuvre et dénonce tout à la fois Rousseau et ce qui précède :

J’en étais venu à ne plus trou­ver si ridicules les jour­naux qui pré­ten­dent que l’homme est né bon.

En somme le ridicule s’est déplacé de l’exaltation du per­son­nage à l’optimisme men­songer. L’ensemble du poème va lui oppos­er la logique d’un implaca­ble démen­ti. Ridicule, à savoir un seul adjec­tif, aura suf­fi à annon­cer la décep­tion  qui suiv­ra. Car le vers est dans le fruit. C’est la lutte de deux enfants qui le confirmera. 

 Le poème, en effet,  con­tient aus­si un apo­logue. L’ironie s’y accom­pa­gne d’une fable et elle est sec­ondée par un réc­it. Le sec­ond para­graphe  racon­te un événe­ment. L’homme s’est coupé une tranche de pain. Il l’offre à un enfant affamé.  La con­voitise du petit pau­vre est indiquée d’un trait aus­si ferme que la satiété du nar­ra­teur. Comme le rat devenu le jou­jou du pau­vre aux yeux d’un enfant riche, la tranche de pain est dev­enue à ses yeux « gâteau » et le réc­it se noue. Plus de dou­ble lan­gage alors. On notera sim­ple­ment qu’afin que le motif en soit clair, le poète s’abstient de ne plus rien dire des sen­ti­ments de son  pro­tag­o­niste, si ce n’est son amuse­ment et son rire devant la trans­for­ma­tion du pain qui lui paraît pit­toresque. La faim sur­git donc sans accom­pa­g­ne­ment, à ceci près cepen­dant, que l’enfant a des gestes de bête apeurée qui le font reculer aus­sitôt son butin à la main et qu’il sait d’emblée, et d’instinct, qu’il doit le défendre et se défendre. A l’inverse du voyageur, lui con­naît le mal.

         Un autre enfant paraît. Tout pareil au pre­mier. Comme il arrivait dans « Le Jou­jou du pau­vre », entre l’enfant riche et l’enfant pau­vre, leur gémel­lité, gémel­lité de nature, gémel­lité dans le besoin, dans la faim, et dans le désir, est frap­pante. Les deux enfants, dis­ait cet autre poème, se riaient l’un à l’autre avec des dents d’une égale blancheur, et son élab­o­ra­tion repo­sait sur la même idée, presque sur le même matériel, même appétit de vivre et même blancheur des dents. Pour­tant la fra­ter­nité, cette fois, n’entraîne pas au partage. Dans « Le Gâteau », les deux enfants se dis­putent leur pain jusqu’à ce qu’il s’éparpille en miettes et même en miettes sem­blables aux grains de sable aux­quels il était mêlé.  Quant à la descrip­tion de leur lutte, elle est épique, — le poème dit hideuse. Joue alors mag­nifique­ment la dis­pro­por­tion entre enfance et vio­lence, entre tout petit et énor­mité mon­strueuse de la bagarre. Il faut assuré­ment en déduire, et l’âge des enfants en témoigne, que l’homme n’est ni bon ni bon. Force est bien de con­stater d’autre part que la beauté du paysage ne les incline pas davan­tage à la man­sué­tude. Au bout du compte, rien de con­ven­able n’aura eu lieu, ni entre eux, ni de la part du nar­ra­teur, spec­ta­teur absent qui ne conçoit même pas l’idée de couper une sec­onde tranche de pain.  L’événement aura démen­ti, comme l’ironie, l’idéal de con­fec­tion du départ du poème. Au bout de ce com­bat, ne restera rien : plus de pain, même plus de bel­ligérants, car les enfants sont épuisés. Pire encore : plus  d’enfance, puisqu’ils sont  devenus de petits hommes. C’est le dénoue­ment d’une triste affaire. Une boucle est bouclée, cette his­toire ter­minée. Baude­laire cepen­dant ne saurait en rester là. 

 Le poème n’est pas clos et, comme il arrive si sou­vent  dans cette oeu­vre, son dernier rebond en retourne le sens.  Ici, pré­cisé­ment, sur­git ce qui m’y intéresse au plus haut point : l’apologue est pure­ment et sim­ple­ment quit­té pour sa sig­ni­fi­ca­tion. Pour une sig­ni­fi­ca­tion plus abstraite que je vais oser penser anthro­pologique.   Je vois là le rap­pel de l’empan, — le mot est de Claudel – du grand empan même des poèmes qui impor­tent. Ici, les mots pour­tant sont restés simples :

Il existe donc un pays superbe où le pain s’appelle du gâteau, frian­dise si rare qu’elle suf­fit à engen­dr­er une guerre par­faite­ment fratricide.

  Je veux bien con­sid­ér­er que le pro­pos puisse être enten­du de deux façons. Ce pour­rait être un pays sim­ple­ment superbe, mais j’y entendrais alors la red­ite du pre­mier para­graphe. Quant à cette guerre dite frat­ri­cide, elle con­stituerait alors, autre reprise, un résumé exact de ce qui a précédé. Il ne me sem­ble pas cepen­dant que ce soit dans la manière de Baude­laire. Il lui faut plus d’invention. Plus d’intelligence aussi.

Il préfère donc car­ré­ment chang­er de logique, comme à la fin de « La Vie antérieure », comme à la fin de « L’Irrémédiable ».  Plus per­ni­cieux qu’on n’eût pu le penser, le poème bifurque. Il bifurque, pour situer délibéré­ment sa donne entre vie et mort.  Bien au-delà de la décou­verte de l’existence de la néces­sité et des néces­si­teux, bien au-delà de l’incommunicabilité pos­si­ble entre rich­es et pau­vres,  le poème va désor­mais mon­tr­er désor­mais que la vio­lence, mortelle, est vitale.  En tout cas, tout aus­si vitale que mortelle.

 Dans cette per­spec­tive, deux mots sont dotés d’une sorte de ray­on­nement rétro­spec­tif : ce sont superbe et frat­ri­cide. Par­faite­ment frat­ri­cide même. C’est la polar­ité qu’ils recou­vrent qui est sig­nifi­ante et elle sup­pose plusieurs paliers de réflex­ion. Cette lutte des deux enfants est en effet vitale pour une rai­son qui les dépasse l’un et l’autre, comme elle dépasse la satiété du nar­ra­teur. C’est que la faim et le désir dont le car­ac­tère est d’être vital du fait de leur lien à la vie et à la mort,  ont une inten­sité supérieure à tous les autres liens, y com­pris ceux de gémel­lité. C’est le pre­mier des retourne­ments opérés.

Il en est cepen­dant un sec­ond, lui aus­si cap­i­tal : il  tient au fait que le pays qui a char­mé le nar­ra­teur est dit superbe. Je ne peux ni ne veux enten­dre ici un rap­pel du  paysage du pre­mier para­graphe, mais un retourne­ment en grand de la vision. Loin de revenir sur ce qui a été dit, le mot inau­gure en effet le fran­chisse­ment d’un seuil. Ce pays superbe n’est  tel que parce que c’est celui où l’on désire encore. C’est celui de la faim, et, au-delà de la pénurie que cela implique, c’est celui où le désir existe. Le pays de la faim, le pays du désir, voilà bien le pays superbe dont le nar­ra­teur a pu indi­quer, d’un mot, la décou­verte, la sur­prise et la nos­tal­gie. Comme les petits pau­vres désir­aient pour se sus­ten­ter du pain, il décou­vre le désir de désir­er. Autant dire une autre néces­sité, aus­si instante que celle qui précé­dait. A l’inverse du héros de La Peau de cha­grin, qui, du fait de sa ter­reur du désir, désir­ait para­doxale­ment ne pas désir­er, lui va décou­vrir non pas le lien comme chez Balzac qui unit le désir à la mort  mais celui qui unit l’appétit et la vie. C’est appren­dre que bien qu’elle procède d’un manque, là où manque la faim, et le désir avec elle, rôde la mort. Mieux vaut alors se bat­tre à mort et sauver son désir que s’ennuyer comblé sur un som­met. Je n’invente pas : un autre poème du Spleen de Paris con­firme cette lec­ture. Dans «Por­trait de maîtress­es», un homme dit avoir tué la sienne parce que, à la let­tre et comme dit pré­cisé­ment la langue, elle ne lui lais­sait rien à désir­er. L’alternative, selon ses pro­pres mots, était de vain­cre ou mourir. Se défendre de la per­fec­tion mor­tifère de sa maîtresse par­faite, autre com­bat mor­tel, l’avait donc en droite logique obligé à la tuer.

C’est du nerf de la guerre, mais c’est aus­si du nerf de la vie, que ren­dent compte ces para­dox­es. Or le nerf de la guerre et celui de la vie sont ceux-là même  de la lit­téra­ture et « Le Gâteau » en cristallise la prise de con­science.  Le poème a donc bien pris pour trem­plin l’antipathie de Baude­laire à l’endroit de Rousseau, mais c’est pour en ouvrir aus­sitôt l’argumentation raison­neuse à ce qui touche au désir, à la satiété impos­si­ble, autant dire aux pos­si­bles et aux impos­si­bles de l’expérience exis­ten­tielle. En une page, le poème jette alors le jour le plus cru sur la vie comme elle va. Ce mou­ve­ment de bas­cule à la fois me touche et m’éblouit.

Un autre poète le dirait plus tard en d’autres mots :

Toute vie qui doit poindre
achève un blessé …

         Mais une fois encore, c’est ici le pou­voir poly­sémique de la propo­si­tion, si sim­ple dans son argu­ment, si rassem­blée, si syn­thé­tique, qui me séduit.  Il y a du reste encore un autre aspect du poème de Baude­laire pour me combler. C’est son recours au réc­it. Au réc­it, à la nar­ra­tion, qui est si absente de la poésie d’aujourd’hui. Les enfants, mangeront-ils ou ne mangeront-ils pas ? Quant au nar­ra­teur, y gag­n­era-t-il ou non son droit au désir ? Et nous voici pour cha­cun d’eux trois, aux pris­es avec la représen­ta­tion d’êtres désir­ants en quête du dénoue­ment qui couron­nera, ou non, leur attente de suc­cès.  Certes, ici, il y va plutôt de ratages. Tout se passe comme si le poème priv­ilé­giait la représen­ta­tion du manque à celle de la satiété repue, mais il me paraît pour cela même argu­menter en faveur de cela qui se passe partout ailleurs dans la lit­téra­ture. La fable dont il est con­sti­tué met en lumière l’un de ses ressorts  uni­versels. Même dans la prose, même dans le con­te de fée qui se tait tou­jours après avoir nar­ré les dif­férentes étapes du rap­proche­ment de ses princes et de ses princess­es, la lit­téra­ture con­sacre moins d’espace à la fig­u­ra­tion du désir sat­is­fait qu’à celle de la pour­suite de sa sat­is­fac­tion. Tout se passe comme si elle priv­ilé­giait partout, non for­cé­ment le mal­heur au bon­heur, mais la représen­ta­tion du pre­mier à celle du second. 

Mes faims, c’est des bouts d’air noirs;
L’azur son­neur;
- C’est l’estomac qui me tire.
C’est le malheur.

Comme Baude­laire, Rim­baud le savait. Dans l’absence de l’objet du désir, il y  plus à faire et, par­tant, plus à dire. Et il y a plus à dire, parce qu’il y a à racon­ter pré­cisé­ment ce que l’on fera pour approcher son objet, — ain­si la lutte des deux enfants, tan­dis que la sat­is­fac­tion qui mèn­erait au sur­place lais­serait sans voix, ain­si, encore l’immobilité du voyageur sur son som­met et l’ironie qui l’accompagne. En don­nent du reste la preuve la lit­téra­ture amoureuse et la lit­téra­ture mys­tique dont la final­ité déclarée devrait être de célébr­er la réu­nion des parte­naires du désir et qui, si fréquem­ment, en rem­place la ren­con­tre par la quête qui y mène. Liée au désir, et, pour autant, à l’inaccompli autant qu’à un espoir de  dénoue­ment qui con­vi­enne, la lit­téra­ture se fonde sur ce que j’ai appelé ailleurs le désir en souf­france. Mais c’est parce qu’elle est liée par ce biais à ce qui vit dans la vie qu’elle est affaire si sérieuse. Il en advient que ses réti­cences, ses prétéri­tions et ses silences comptent autant que ce qu’elle dit.

Que je m’aventure encore. Cette fois franche­ment pour de bon. Péguy a pu affirmer que les dieux d’Homère man­quent du manque. A pouss­er cette idée un cran plus loin, peut se laiss­er induire que, si la lit­téra­ture est bien faite de l’étoffe dont nous sommes faits, ce manque qui man­querait aux dieux d’Homère, pour­rait n’être pas aus­si négatif qu’il y paraît. Voici, après une leçon de pes­simisme, ma leçon d’optimisme, que je reporte, du reste, sur Baudelaire. 

C’est qu’en effet, ce manque pour­rait bien être la place vide où autre chose pour­rait dépos­er. Autre chose. Une marge, en somme, un lieu vacant et libre, la place tou­jours vide d’une espérance non pronon­cée. Serait-ce que la parole d’art veuille aus­si désign­er les hommes non pas seule­ment par ce qui leur manque mais par leur effort pour l’obtenir ? En somme, par une allure ? Serait-ce qu’elle pos­tule que rien ne sus­tente suff­isam­ment son désir et qu’il ne se nour­rit pas seule­ment de pain ? Serait-ce qu’elle indique qu’aucune soif n’est jamais étanchée par aucune des eaux du monde. Serait-ce encore que ce manque qui man­querait aux dieux d’Homère est une chance, et que cette chance est la déf­i­ni­tion d’une voca­tion d’être homme ?

C’est que toute faim peut en cacher ou en  révéler une autre. Il en advient que d’objet en objet, par­fois même d’objet en objet plus mineurs que le pain, la lit­téra­ture ouvre ain­si à tous les domaines du pos­si­ble. Plus encore, sa plas­tic­ité étant infinie, elle ne se prive pas ce faisant de met­tre en juge­ment les désirs qu’elle met en scène. Désirs justes ou injustes, indus, exces­sifs, pas assez intens­es, trop intens­es, minables, leurs représen­ta­tions peu­vent s’assortir de doutes, et même de doutes non pas seule­ment rel­a­tive­ment aux objets qui les sus­ci­tent, mais au désir lui-même. La lit­téra­ture le passe au crible, au nom d’autant de hiérar­chies de valeurs dites et non dites que l’on voudra. Elle en scrute même non seule­ment les élans, mais les retombées et les pannes, qui la met­tent par­fois elle-même en panne jusqu’à se représen­ter elle-même, ain­si chez Paul Celan, dans sa ten­sion vers la parole.  Sem­blable lucid­ité indique certes que les délices ne sont pas durable­ment de mise dans la nar­ra­tion, qui ne peut les sup­port­er longtemps.  Mais elle en agrandit le champ d’autant.  Elle l’agrandit même infiniment.

C’est peut-être ce que pose aus­si « Le Gâteau ». Le génie que je crois car­ac­téris­tique de Baude­laire, y est à mes yeux de trans­muter ses fables, jouis­sances et douleurs com­pris­es, en fig­ures de l’effort de vivre. C’est par là qu’il atteint, au-delà de la don­née si con­crète et sai­sis­sante dont ses fastes sont faits, à une sorte de puis­sance sec­onde où se donne à lire comme un chiffre ou une algèbre de l’existence humaine. Dans « Le Gâteau », il a jeté son dis­crédit sur la satiété, physique, morale et spir­ituelle. Qui s’en éton­nerait de la part de qui asso­cie si fréquem­ment l’extase char­nelle à la charogne et déporte si volon­tiers ses par­adis du côté de vies antérieures, de futurs improb­a­bles ou de l’irréalité impliquée par des con­di­tion­nels qui en con­tre­dis­ent le pro­pos. L’oeuvre en son entier fore si pro­fondé­ment le lien qui relie le désir à son objet qu’elle en transperce l’occasion et le pit­toresque. Comme dans le Rim­baud d’ « Aube » ou de « Veil­lées », la fig­u­ra­tion du meilleur est bif­fée, le rêve quit­té, le réveil tou­jours dur. Baude­laire oblige ain­si à pass­er dans le « Le Gâteau” d’un pays apparem­ment superbe dont il a dénon­cé la fal­si­fi­ca­tion à un autre expressé­ment dit superbe parce que la néces­sité y oblige à se bat­tre pour sauver son désir.

 

 

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