The dawn
I would be ignorant as the dawn
That has looked down
On that old queen measuring a town
With the pin of a brooch,
Or on the withered men that saw
From their pedantic Babylon
The careless planets in their courses,
The stars fade out where the moon comes,
And took their tablets and did sums ;
I would be ignorant as the dawn
That merely stood, rocking the glittering coach
Above the cloudy shoulders of the horses ;
I would be – for no knowledge is worth a straw –
Ignorant and wanton as the dawn.
William Butler Yeats
(Le poème est daté de 1914)
L’aurore
Je voudrais être ignorant comme l’aurore
Qui abaissa son regard
Sur cette reine de légende mesurant une ville
Avec l’épingle d’une broche,
Ou sur les hommes décrépits qui observaient
Depuis leur pédantesque Babylone
Les planètes insouciantes dans leurs cours,
Les étoiles pâlissant là où se montre la lune,
Et prenaient leurs tablettes et se livraient à des calculs ;
Je voudrais être ignorant comme l’aurore
Qui simplement se tenait là, berçant l’étincelant carrosse
Au-dessus de l’épaule nuageuse des chevaux ;
Je voudrais être – car aucun savoir ne vaut un fétu de paille –
Ignorant et capricieux comme l’aurore.
W.B. Yeats
(traduction Elie-Charles et Obéline Flamand)
L’aurore, ce moment privilégié où la lumière s’éveille, est aussi un symbole de pureté, d’ingénuité et recèle en lui tant de potentialités, même inattendues, devant se réaliser dans le jour à venir. Un tel vocable ne pouvait qu’évoquer dans l’esprit de Yeats maints échos. En effet, dès 1890, il donna son adhésion à The Hermetic Order of the Golden Dawn (L’Ordre Hermétique de l’Aube d’Or), cette importante société initiatique anglaise dont il fut un certain temps le président et même le réorganisateur. C’est pourquoi son œuvre est pénétrée d’ésotérisme, d’alchimie, de spiritualité. N’a‑t-il pas noté dans une de ses lettres : « The mystical life is the centre of all that I do and all that I think and all that I write » (« La vie mystique est le centre de tout ce que je fais et de tout ce que je pense et de tout ce que j’écris »).
La difficulté de traduire la langue anglaise réside souvent dans le fait que beaucoup de mots ont une multiplicité de sens dérivés et aussi dans l’usage fréquent de tournures condensées (qui, dans le meilleur cas, évoquent celles du latin). Certains poètes jouent avec ces ambiguïtés, mais rien de tel dans ce magnifique poème de Yeats : tout y est net, librement enlevé, parfois pimenté d’images insolites (notamment, celle se trouvant dans les quatrième et troisième vers avant la fin anticipe curieusement dans son irrationalité les images qui seront employées par les surréalistes). L’inspiration est ici mise au service d’une pensée profonde. Comme le dit T.S. Eliot, Yeats (1865–1939) « incarne la plus haute expression du lyrisme anglais de son temps ».
Remarque générale à propos des trois poèmes de la chronique “Dans la bouche du poète” :
Bien sûr, les deux premiers poèmes ont été maintes fois traduits, mais souvent par des linguistes qui n’étaient pas poètes, et cela se ressent. Aussi est-il intéressant de donner sa propre version.
Essayer de faire passer au mieux les subtilités poétiques d’une langue dans une autre est un exercice à la fois passionnant et périlleux. On est ici à la limite de l’impossible, et l’impression d’avoir laissé passer quelque chose d’important est souvent présente.