Intro­duc­tion et tra­duc­tion du hon­grois par Maria Maïlat.

Atti­la Zsolt Papp est né en 1979 à Lugoj (en roumain) ou Lugos (en hon­grois) en Tran­syl­vanie (Roumanie), près de la fron­tière avec la Hongrie.

 

 

Il a fait ses études à Cluj. De nom­breuses revues hon­grois­es et roumaines ont pub­lié ses poèmes. Il représente une des voix de la jeune poésie de Tran­syl­vanie cher­chant des passerelles entre les arts et entre les cultures.

 

 

Nom­mer la planète

Celui qui sait nom­mer les mers mortes
et allumer les réver­bères dans les villes muettes,
il s’en va loin, tel l’enfant incon­nu de l’automne,
il fouille les endroits où per­son­ne ne peut le voir.

Dans l’enfer des noms oubliés,
sur les ruines du Sud, un autre monde se prépare.
Il s’approche en silence, plein de doutes,
L’enfant l’observe, mais sait-il ce qui se passe.

On dirait que le paysage vide se rem­plit de vie :
« Vien­dra un étranger aux apparences changeantes,
tu te sou­vien­dras des anciens noms inventés,
et les lieux te sem­bleront davan­tage habités. »

Quand le jour férié est ter­miné, il retrou­ve ses esprits lentement.
Apercevoir enfin un vis­age, regarder éton­né tout autour,
ne rien exprimer pen­dant que le chaos domine.
Impos­si­ble de dire ce qui est pour­tant le plus important.

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Sta­tion

Le mar­tyre marche avec la croix.
Sur son pâle pro­fil le soleil brille par à‑coup.
Des sol­dats robots l’escortent
et des oiseaux mécaniques passent sans bruit.

Le mar­tyr s’arrête avec la croix.
Au-dessus de sa tête la mort ricane.
Il essuie son front en sueur,
il s’envoie un coca et s’empiffre d’hamburgers.

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Les chevaux, les réver­bères à l’aube

Les chevaux char­gent tes rêves
un beau jour, par dizaines,
noirs pro­fonds, aux yeux de feu, les chevaux.

Leurs yeux bril­lent dans la nuit,
tels les réver­bères sur les places de Prague,
Ils galopent à tra­vers les rues pavées.

Leurs sabots réson­nent con­tre tes tempes,
ils envahissent tes brefs rêves agités
— noirs pro­fonds, aux yeux de feu, les chevaux.

Le lit grince quand tu te réveilles,
sur la table de chevet, tu cherch­es de l’eau.
A moitié endor­mi, il te sem­ble entendre
leurs hennissements.

Ils se tien­nent de l’autre côté de la fenêtre fermée,
ils respirent bruyam­ment et attendent :
ain­si on te garde en observations.

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Le cinquième point cardinal

Ne pas être dans la mau­vaise humeur
nébuleuse de ce début d’après-midi,
ne pas séjourn­er dans aucun des lieux
où ce même après-midi se trouve;
pré­cisé­ment être là où tu es à l’instant,
mais quel serait cet endroit peut-être
Prague, Cra­covie, l’Adriatique un peu
ou les côtes au Sud de la France…
Mais la suite ne se racon­te que de moi à moi.

Ce temps, ven­teux, nuageux
ne cor­re­spond à aucune saison
et ne donne pas envie d’exister;
nous avons froid, le vent souf­fle à l’intérieur de nous.
Même si on s’embrasse, on se fige comme ça,
grelot­tants, immobiles -
tu ver­ras, même le chien ne nous recon­naî­tra pas.

Il nous reste un seul point de chute:
l’insubmersible continent
loin­tain que per­son­ne ne pour­ra découvrir,
là où l’obligation d’être ne s’impose pas, comme si …
— mais tu le sais aus­si bien que moi.
Ici, dans ce paysage inconnu
il faut sup­port­er en claquant des dents toutes
sortes de saisons inutiles et maudites;
bien sûr, ce jeu de patience exige
d’attendre que les années s’envolent par centaines.

Tu me regardes, je sais que tu vois aussi
le monde tel qu’il existe et son effondrement
— « comme un livre qui se referme » -
les vraies villes, Prague, Cra­covie, tombent en ruines
et les côtes français­es aussi…
Nous sommes les seuls à enten­dre le désastre
mais de très loin.

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La ten­ta­tion du Midi

Nous étions heureux : dans le Midi.
Les fruits, la lumière du soleil et la mer
sans même nous apercevoir nos jours
furent pleins de vie,

les couch­ers de soleil, les crépuscules,
nos heures idylliques sur la plage,
le sable col­lant à ta peau,
je rassem­blais tout dans une romance

pour les ranger et pour con­tin­uer quelque chose
qui n’est qu’une ques­tion sans fin
— crois-tu qu’aurait pu exis­ter pour nous
un autre pays que le Midi,

dif­férent de l’éclair qui rendait la vie simple,
et de ce château de cartes occupé
que la rai­son met­tait en pièces
quand l’été se trans­for­mait en automne

ain­si la forme arraisonne le fond.
L’âme craint le moin­dre mouvement
dans ce nord som­bre et froid.
Elle ne bouge pas, le corps, rien qu’un engin,

tan­dis que le Midi sous les fiers palmiers
ne nous envoie même pas un dernier adieu.
Nous devenons aigres comme le lait, le vin.

Amour.
Bave d’escargot.

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Maria Mailat

Maria Maïlat est poète, cri­tique de théâtre et d’art, écrivain et anthro­po­logue roumaine. Elle est diplômée en soci­olo­gie et psy­cholo­gie de l’U­ni­ver­sité de Iași (1972–1976). Pen­dant son début de car­rière en Roumanie, Maria ani­ma une chronique men­su­elle dans la revue “Vatra”, pub­liant des entre­tiens avec des per­son­nal­ités de la cul­ture roumaine et hon­groise, ain­si que des chroniques de théâtre et d’art plastique.