Je connais le poète Bernard Grasset depuis des années. Je ne connais pas l’homme. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Je connais ses livres et ses poèmes, ayant identifié la lueur qui y brille dès la première fois que j’eus la chance de croiser sa voix dans une anthologie collective. Un nom dès lors retenu précieusement dans ma mémoire. Pour “plus tard”. Ce “plus tard” est maintenant advenu, avec le projet de Recours au Poème et c’est alors tout naturellement que je me suis tourné vers le poète pour le convier à notre magazine.
C’est ainsi l’esprit affamé que j’ai ouvert son dernier livre de poèmes, Au temps du mystère…, augmenté de cette dédicace que je veux partager tant elle constitue une porte à sa maison de mots : “Et si le voyage dans les langues des origines rapprochait l’homme du Pays”.
Bernard Grasset ne pouvait m’offrir plus beau signe tant cette notion de territoire constitué par la langue maternelle m’est source fondamentale. Il y a une famille d’esprit. Je me sens en fraternité avec la voix de Bernard Grasset.
Son projet avec Au temps du mystère… est, me semble-t-il, sans équivalent : écrire des poèmes bilingues, français-hébreu puis français-grec. Attention : il n’est pas question ici de traduction. Le poète n’a pas d’abord écrit en français puis ensuite traduit en grec, en hébreu. Inversement, il n’a pas d’abord composé en grec, en hébreu puis traduit en français. Non. Il s’agit de bien autre chose, relevant du dévoilement, de l’abolition du temps linéaire pour entrer, le temps de l’inspiration créatrice, dans l’espace du Temps éternel. Ces 16 poèmes français-hébreu puis ces 16 autres poèmes français-grecs ont été composés “simultanément” en leur langue respective. Comment un tel exercice – au sens ignatien du terme – est-il possible ? Cela relève justement du mystère auquel le poète, dans cette entreprise, précisément en appelle. Le poète a tourné sa langue vers les sources grecques et hébraïques et la langue française s’est trouvée comme imprégnée par l’essence des langues originelles. Ainsi “la mémoire du plus lointain” peut-elle “ouvrir l’horizon d’une nouvelle modernité” pour reprendre les mots de la quatrième de couverture.
Il s’est donc agi de boire à la source des origines sémantiques, celle, profonde, de l’hébreu et celle, claire, de la pensée grecque afin d’augmenter la tessiture française d’accents neufs.
S’opère ainsi un mouvement de métamorphose du poème français sur les bases d’une structure essentiellement originale. L’œuvre mise au monde tend alors à relever d’un “être inédit” ou d’un “français inédit”, reconstitué sur les bases de ces structures anciennes.
Voici pour l’intention d’Au temps du mystère… Mouvement de l’intériorité même, vision de la profondeur pour nos temps de surface.
Pour ce qui est des poèmes eux-mêmes, ils portent la marque, en leur corps, de ce bain originel :
Saules et blessure
Dans le crépuscule.
Penser, semer
Au bord des nuages.
Silencieux, en paix,
Le joueur de lyre veille.
On le voit – je ne puis retranscrire ici que la face française du poème – le poème est le lieu d’une contemplation intérieure d’une densité confinant à la méditation. Le vers révèle. La voix enseigne discrètement. Comme par exemple cet accouplement verbal “Penser, semer” au sein d’un vers lapidaire dont la portée ne laisse pourtant de propager son onde en nous… La syntaxe semble heurtée. Elle est simplement la marque d’une concentration sereine.
Source et brûlure
Dans la hutte du temps
Creuser encore les signes
Voilà ce que conquiert, à mon sens, cette parole du poète : le faire signe.
Qu’un poète aujourd’hui se lève et se trouve entièrement mu par cette quête de la composition du poème bilingue, voilà qui fait signe. Il tâche de penser le mystère en se rapprochant des sémantiques initiales. Faisant ainsi, il déploie un chant de semailles pour le renouvellement de la surface de la langue, donc du monde.
Ce signe indique une direction. Cette attitude dans laquelle est plongé le poète ouvre le chemin qu’elle emprunte. Cette conception de la poésie relève de la résistance et de l’acquiescement. Résistance à l’effacement des traces du sacré par la discipline de l’apprentissage et de la pratique. Acquiescement à la force du mystère qui réclame le don de nos vies, le service de nos êtres pour trouver une forme, passer à l’existence intelligible par le pouvoir alchimique de l’œuvre réalisée. N’est-ce pas là l’une des plus hautes possibilités humaines, traduire l’ineffable de l’essence universelle en beauté pourvue de sens ? Je le crois, au seuil de la parole lumineuse de Bernard Grasset.
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