Le beau livre de poèmes de Marc Baron est la résolution d’un paradoxe. 53 poèmes, composés sur une année, chacun commençant par ces mots : “Ma page blanche”. Il y a une dimension a priori paradoxale à creuser la légendaire angoisse de la page blanche en s’adressant directement à elle. Mais peut-être, plutôt que de parler de paradoxe, serait-il plus approprié de le considérer comme une mise en abîme.
Nous comprenons immédiatement la logique à l’œuvre dans cette mise en abîme ontologique : écrire sur la page blanche, littéralement et profondément, c’est relier la présence à l’absence, c’est tenter de révéler l’essence invisible qui y est inscrite comme à l’encre sympathique. On ne peut pas être plus au cœur de ce qu’est le mystère du poème qu’en dansant avec cette métaphore même, front contre front, de la page blanche.
Une année. 53 poèmes. Une cadence théorique d’un poème par semaine. Bien entendu, ce rythme ne sera pas réellement celui du poète mais le résultat est symboliquement celui là. Ainsi, au départ de ce livre, une discipline : un an. Et une contrainte : commencer chaque poème par “Ma page blanche”. Cette discipline et cette contrainte ont à voir avec l’ascèse du moine, avec la rigueur de l’athlète, avec le jeûne du stylite. Elles en marquent le “résultat” de leur vérité propre : les poèmes sont d’une nudité merveilleuse, l’écriture précise et sans scorie, le rythme celui du cœur serein.
Cette œuvre donc, depuis son projet initial de s’adresser à la page blanche – métaphore de la création – pour dire au plus près le mystère de la parole, jusqu’à sa forme réalisée, révèle une vérité comme tout vrai livre devrait le faire. Forme et fond, rythme et essence, style et sujet, ici, font un. Il parait impensable de parvenir à un autre résultat que celui découvert par Marc Baron – et d’autres avant lui sans doute (son écriture est fraternelle de celle des Charles Juliet, Roger Munier, et peut-être même Jean Grosjean) – lorsqu’on veut être fidèle à l’essence de la page blanche.
Bien sur, on peut tout imaginer, tout tenter, tout vouloir transgresser mais le cœur de cette métaphore et la fidélité à son rythme profond, c’est-à-dire à sa voix silencieuse, interdit apparemment tout clinquant, tout bruitisme, tout formalisme, tout avant-gardisme éculé. La chair même, ici, est bure. Et cette bure chatoie d’une exubérance concentrée.
Un livre qui parvient à être essentiellement une vérité, c’est quelque chose.
Un livre de poèmes incarnant la vérité du poème en sa profondeur, voilà qui est bien davantage que quelque chose. C’est un phare. C’est une émergence. Un signe silencieux dans le contre-jour ou nous vivons.
Chaque poème de Ma page blanche mon amour, est coiffé d’une citation, fruit des “lectures librement orientées faites pendant l’année d’écriture de ce livre” nous dit Marc Baron, avant de préciser : “J’ai lu ou relu des centaines d’ouvrages de ma bibliothèque, m’appliquant à relever uniquement ce qui avait à voir avec l’écriture, la page blanche, l’attente amoureuse. Les poèmes terminés, j’ai disposé, selon mon désir, page par page, ces bribes moissonnées qui donnent une sorte d’acquiescement à mon travail.”
Et de fait le livre forme un chorus fraternel, une chambre de miroirs où les voix du silence des grands anciens semblent adouber le poète engagé dans la voie juste.
C’est ici, notamment, que la bure fait miroiter ses chatoiements, que le désir résonne. Nous entendons Claude Louis-Combet, André du Bouchet, Thierry Metz, Paul de Roux, Georges-Emmanuel Clancier, Dupin, Reverdy, Max Alhau, pour n’en citer que quelques uns.
Le livre commence le 9 avril 2004 et se termine le 9 avril 2005, ayant recueilli un cycle de saisons comme un précipité de la vie entière.
Il y aurait beaucoup à dire sur ce joyau forgé par le poète Marc Baron tant il contient de richesses et de soulèvements du voile. Nous ne déflorerons rien, ne commenterons aucun poème. Nous extrayons seulement deux poèmes de l’ensemble, comme une main fractale tendue vers le lecteur et contenant le principe de l’ensemble. Car Marc Baron, entre autre victoire, a réussi ce tour de force. Ses poèmes de la page blanche forment le poème du désir de la parole. Chaque éclat contient le joyau entier. Ce joyau, c’est le sceau de l’absence venu imprimer son essence sur la page ainsi révélée.
***
J’écris dans l’ortie, pas dans une rose. Pas encore mais j’y viendrai. La prochaine étape, si elle a lieu : c’est le tournesol.
Thierry Metz
Le journal d’un manœuvre
16
Ma page blanche, je suis éclairé de toi comme le lilas blanc dans le ruisseau et je vais, emporté par l’impérieux besoin de savoir un peu
Y a‑t-il une fleur de connaissance, une fleur inquiète et travailleuse que j’écrirais dans l’épanouissement à l’air libre, un mot vivant sur sa tige et lumineux pour le passant ?
Ma page blanche, ma lampe, tu me reçois dans ton domaine illimité, je m’avance un peu plus dénoué chaque jour, je m’abandonne ici, je me désire
2 juin 2004
***
Il respire avant d’écrire… Puis il écrit sans respirer, toute une nuit, un autre respirant pour deux.
Jacques Dupin
L’embrasure
21
Ma page blanche, je te délivre la bonne nouvelle et le ciel éclairci se change en force vive
Même les fleurs du jardin sont fortes de leur lucidité
Elles écrivent leur montée intransigeante dans l’atmosphère à travers le souffle inconnu qui les angoisse
Ma page blanche, je sens ta lente respiration, ta sève brûlante, ton désir lié à la naissance du lieu universel
8 juin 2004
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