tra­duc­tion Eliz­a­beth Brunazzi

 

La Chanson du réfugié

 

 

Envers la Pénin­sule Bleue
L’heure de mois­son des ténèbres
Réjouis­sez-vous, ô langues rachetées
Leurs por­tails sont démolis

 

Mais non leur appel s’éteint
Les lions ram­p­ent dans la brume au-dessus de la Mer Noire
Leurs bouch­es sont noires ils ava­lent notre souf­fle
Ils par­lent de sang ils par­lent de mort

 

La langue des Balka­ns a été rachetée
La langue des Balka­ns est dev­enue noire
Les Gar­di­ens de la Gråce met­tent le feu aux bûch­ers funéraires
Les murs aux langues de feu se sont dressés

 

Nous sommes par­qués à la Jun­gle de Calais
Pour vivre par­mi les mon­ceaux d’or­dures et de crânes
Les scarabées courent ici et là
La Pénin­sule Bleue est dev­enue noire

 

On entend pour­tant tou­jours son appel
L’ap­pel de la Pénin­sule Bleue
La démo­li­tion du mur
Nous rêvons encore des pétales flot­tantes qui en descendent

 

 

 

Song of the Refugee 

 

 

 

Toward the Blue Peninsula
Har­vest­ing the darkness
Rejoice, ye ran­somed tongues
Their por­tals are thrown down

 

But no the call is blunted
Lions roam the mist above the Black Sea
Their mouths are black they inhale our breath
They speak of blood they speak of death

 

The tongue of the Balka­ns has been ransomed
The tongue of the Balka­ns has turned black
The Gate­keep­ers of Mer­cy are strik­ing pyres
Walls have risen with tongues of fire

 

We are shunt­ed to the Jun­gle of Calais
To live in heaps of garbage and skulls
Bee­tles scut­tle here and there
The Blue Penin­su­la has turned black

 

But we still hear the call
The call of the Blue Peninsula
The tear­ing down of the wall
We still dream of petals float­ing down

 

 

Jan­u­ary 17, 2017

 

*

 

 

Quand

 

 

Quand tombe la nuit
Quand s’ou­vrent les bouches
Figées au parox­ysme d’un cri
Quand regar­dent fix­e­ment les yeux creux
Quand les enfants de pierre osse­ments des­tinés au fourgon
Sans ordre par­ti­c­uli­er tombent lour­de­ment à terre

 

Quand des blocs d’osse­ments aux angles inconnus
Déchargés dans une fos­se les mem­bres déchiquetés
Quand les bras (ou ce qui fut des bras)
Quand les jambes (ou ce qui fut des jambes)
Et les côtes et les hanch­es et les chevilles
Une mon­tagne écorchée jusqu’aux étoiles muettes

 

Quand les cheveux sont arrangés soigneuse­ment en sacs
Quand les râte­liers les dents placés en rangs
Quand les poupées et les trains minia­tures et les alliances
Sont placés en rangs pour le prochain
Et le prochain pour nul ne sait

 

C’est quand nous

 

C’est quand

 

C’est

 

Ce

 

yis­gadal veyiskadah shmey raba…

 

 

 

 

When

 

 

When night falls
When mouths open
In taut pitch frozen
When eyes stare hollow
When chil­dren of stone bone for the boxcar
In no spe­cial order slump to the floor

When slabs of bone in angles unknown
Dumped into a pit limbs akimbo
When arms (or what once were arms)
And legs (or what once were legs)
And ribs and hips and ankles
A raw moun­tain to the mute stars

When hair is care­ful­ly arranged in sacks
When den­tures teeth placed in rows
When dolls and small trains and toy soldiers
And spec­ta­cles and bracelets and rings
Are placed in rows for the next
And the next for no one knows

 

This is when we

 

this is when

 

this is

 

this

 

 

yis­gadal veyiskadah shmey raba…

 

Feb­ru­ary 11, 2015

 

 

*

 

 

Où s’asseoir

 

 

 

Je suis assis sur un bloc de glace 

à gauche et à droite les années

tour­bil­lon de confettis

 

Je touche quelques livres qui s’éloignent

flot­tant de plus en plus minces

Armadas minia­tures se dissolvant

 

Je suis assis dans une caverne

Les ombres pren­nent vie;

Elle est der­rière moi, chuchotant

Est-ce que je me retourne?

 

Je suis assis dans ma pro­pre conscience

Jusqu’à ce que je disparaisse

 

Je suis assis sur une colonne de bois

Mar­quant d’un signe le bateau pour retrou­ver l’épée engloutie

Revenant encore une fois à la glace

Le courant bouil­lon­nant au-dessous

 

 

 

 

Where to sit

 

 

I sit on a block of ice

left and right the years

whirling con­fet­ti

 

I touch a few books floating

thin­ner as they go

Tiny armadas dissolving

 

I sit inside a cave

Shad­ows quickening;

She is behind me, whispering,

Do I turn?

 

I sit in my own mind

Until I disappear

 

I sit on a wood­en pillar

Mark­ing the boat to find the sunken sword

Return again to the ice

Roil­ing cur­rent beneath

 

 

*

 

L’Île des morts 

 

 

le petit bateau avec sa charge silencieuse

le port cein­turé de rochers se dresse au loin

les eaux clapo­tent sans bruit

 

un seul pas­sager endeuil­lé, peut-être, ou un prêtre 

partage l’esquif avec le passeur

et le cercueil

il glisse vers la brume grise

les eaux se refer­ment tranquillement

ne lais­sant aucune trace de

son arrivée ni de son départ

 

 

 

Isle of the Dead 

 

 

the lit­tle boat with its silent cargo

the rock-girt har­bor looms in the distance

waters lap­ping noiselessly

 

a soli­tary mourn­er, per­haps, or priest

 

shares the skiff with the ferryman

and the coffin

 

It glides by to the grey mist

the waters close quietly

leav­ing no trace of its

com­ing or going

 

 

Jan­u­ary 20, 2016

 

 

 

*

 

 

yugen, un mot japonais

 

 

regarder le soleil se coucher 

der­rière une colline en robe de fleurs

 

errer de plus en plus loin dans une som­bre forêt

sans pen­sée de retour

 

s’ar­rêter sur une rive et du regard suiv­re un bateau

dis­parais­sant au-delà d’ îles lointaines

 

con­tem­pler le vol d’oies sauvages

aperçues puis per­dues par­mi les nuages

 

 

 

 

yugen a Japanese word 

 

 

 

to watch the sun sink 

behind a flower-clad hill

 

 

wan­der on and on in a dark forest

with­out thought of return

 

 

stand upon the shore and gaze after a boat

dis­ap­pear­ing beyond dis­tant islands

 

 

con­tem­plate the flight of wild geese

seen and lost among the clouds

 

 

Jan­u­ary 21, 2016

 

 

French Trans­la­tion, by Eliz­a­beth Brunazzi 

avec l’aide de Mar­i­lyne Bertoncini

 

 

 

 

 

 

 

 

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