.             Tra­duc­tion Mar­i­lyne Bertoncini

L’écran.

 

1 -

Elle écrit : Je tra­vaille main­tenant pour un cen­tre de recherche. Je suis stagiaire.
Pas payée, mais une référence pos­si­ble et un plus pour le CV.
J’ai mon pro­pre badge. Je le présente au scanner.
Les grilles s’ou­vrent d’elles-mêmes.

 

Les vit­res sont tein­tées et la lumière filtrée.
Tout la journée,  nous pous­sons le long des couloirs de gazon
syn­thé­tique des char­i­ots débor­dants d’im­primés : sécheresse,
Kiri­bati sub­mergé, Bangladesh inondé.

 

Il y a un écran qu’on peut touch­er, froid comme une hanche d’amant,
et qui peut prédire le futur.

La fatigue de ce tra­vail dépasse l’entendement.

 On télécharge la mod­éli­sa­tion de la fonte des Himalayas,
du Gange et du Yalu, qui irriguent un mil­liard de cultivateurs,
qui s’épuisent à grat­ter la poussière.

Il y a d’autres pré­dic­tions, mais on n’y a pas accès.

Par­fois, même ici on peut percevoir la rumeur du trafic.

Une fois, je jure que j’ai enten­du un moineau. Peut-être
un indice numérique dans la musique d’ambiance.

 

2 -

 

Quand j’é­tais enfant, je fai­sais un rêve récurrent.
Je m’ha­bil­lais  pour l’é­cole méthodiquement.
Je venais d’ap­pren­dre à bou­ton­ner dans le miroir des grands
où cha­cun de mes gestes me fai­sait face.

Ma mère m’avait mon­tré com­ment atten­dre au feu
et croire que le bus sur  le panneau
allait vrai­ment arriv­er, bruyant et plein d’étrangers.
J’ar­rivais aux portes cloutées de cuiv­re juste pour la sonnerie.
J’aidais le maître à bat­tre les effaceurs, la poussière
m’é­touf­fait, sauf que non, je comprenais
que j’é­tais encore dans le rêve. J’avais oublié de me réveiller.
Il fal­lait que j’y retourne pour trou­ver com­ment, pas d’indice
sauf la souf­france, ou la main douce de ma mère
qui sen­tait l’échalotte et l’eau de cologne.

Mais main­tenant, si je retourne, c’est aux simulations
et au vent qui bouge à tra­vers l’écran
à trois miles par minute.

 

*

 

The Screen

 

1


She writes: I work at a think tank now. I’m an intern.
No pay, but a pos­si­ble ref­er­ence and resumé credit. 
I have my own badge. I hold it to the scanner. 
The gates open of their own accord.

The win­dows are tint­ed and the light filtered.
All day down the astro-turf cor­ri­dors we wheel
carts over­flow­ing with print-outs: drought,
Kiri­bati over­whelmed, Bangladesh flooded.

There is a screen you may touch, cold as a lover’s hip,
and it will tell you the future.

The fatigue of this labor is beyond belief.

We down­load the mod­el of the Himalayas melting, 
the Ganges and Yalu rivers, that irri­gate a bil­lion farmers,
peter­ing out to a scratch in dust.

There are fur­ther pre­dic­tions, but we can’t access them.

Some­times even here you can sense the hum of traffic.

Once I swear I heard a spar­row. Perhaps 
it was a dig­i­tal cue in the back­ground music.

 

2


 

When I was a child, I had a recur­ring dream. 
I dressed for school methodically. 
I had just learned to but­ton in the grownup mirror
where each of my ges­tures coun­tered me.

My moth­er had shown me how to wait at the sign
and trust the bus embla­zoned on the shield
would actu­al­ly arrive, loud and full of strangers.
I came to the brass-shod doors just at the bell.
I helped the teacher beat the erasers, the dust 
choked me, except it did not, I realized 
I was still deep in the dream. I had for­got­ten to wake.
I had to go back and find out how, no clue
except suf­fer­ing, or else my mother’s gen­tle hand
that smelled of shal­lots and cologne.

But now if I go back it is to the simulations
and the wind that moves across the screen
at three miles per minute.

*

 

 

 

image_pdfimage_print