traduit par Boris Lazić
On a finalement appris à jouer librement
à notre petite ville;
ô, comme cette belle portion de vacarme
quotidien peut réjouir, cette addition des âmes
jointes dans la joie en face de la force,
cette rue d’où nous ne partirons plus
est aujourd’hui le plus beau des théâtres du monde,
(il est un tunnel dans le sifflet
au sein duquel nous nous cherchons)
on se tient par la main en marchant à petits pas
d’à peu près soixante treize centimètres,
ma femme, ma fille et cette véracité
qui, pareille à l’eau, profondément sous terre
façonne avec patience le cristal,
comme nous sommes beaux,
comme nous plaisons à l’univers
en ce crépuscule de janvier,
on ne siffle pas dans un contexte précis,
on danse un tango de l’urgence
suçant sous une étoile quelque chose d’historique.
J’ai revêtu le monde de noir et d’or
Je viens des blancheurs cruelles des cimes montagneuses.
Des loups aveuglés par le soleil, sur les falaises,
lors d’un crépuscule ordinaire,
telles étaient mes jours.
J’ai revêtu le monde de noir et d’or.
Enfant, je lisais dans l’eau claire d’une fontaine
l’ancien testament en hébreu.
Cette vénération profonde que je ressentis
lorsque Dieu dit à Moïse “viens” et que Moïse répondit
“Me voici”, je ne saurais te la retransmettre par l’écrit.
Arthur Rimbaud m’a porté un certain temps sur ses épaules,
puis m’a laissé ici
oublié d’un souvenir inconnu.
En fin de compte, je dominais cette eau.
Le temps d’une ivresse, j’écrasais des lucioles
au ventre d’opale
mais ne pus pénétrer le problème de la lumière.
Oh moi. Jeune poussière d’une chambre froide,
intériorité du néant.
Nouveau-né saluant de son cri la lumière.
Je retirais la barque des roseaux et la repoussais dans l’onde.
J’ai écouté toute la nuit dans l’obscurité les trains
qui arrivaient du lointain pareils aux trompettes de Jéricho.
Un parfum que je ne connais pas m’a dispersé dans le vent.
Seul Mokranjac faisait que les voix de ma tribu
fussent aussi bleues que les blanches cimes exaltées.
Fils de la poussière, puis-je trouver le mot le plus limpide?
Du reste, la grande traversée commence.
C’est l’aube. Aube précédant la naissance, alors que les
sillons se croient aux cieux. Et ma solitude immense
— syllabe dernière.
Parole qui dans sa synagogue a tout additionné.
Nocturne
Et lorsque éclate ma frêle coquille?
Des journées faciles, plus rapides que l’averse.
Des matins nus sous les jupes.
De noires branches en hiver,
le thé avec des amies, des heures sombres.
Ce silencieux courrier d’ombres, prélude de corail,
perles qui flattent la chair.
Et goutte après goutte, j’attrapais des perles
dans mon sein.
Des journées faciles, plus rapides que l’averse.
Les yeux des blancs lapins
sont tristes au clair de lune.
Il est si peu de choses certaines.
Je ne puis t’offrir que ce que j’ai.
Tu ne peux m’offrir que ce que tu as.
Rien au-dessus de cela.
Est-ce que tu écoutes? Tu es belle. Dors.