Il y a sur la terre des beaux moments
bien tranquilles…
(Jean Giono)
Il y a parfois sur la terre des moments pleins de silence.
Alors je pense à vous, ombres adorées,
alors commencent les orages, tous,
Et vous êtes en moi, présents comme toujours,
Mes grands amours.
Aujourd’hui c’est un de ces jours, avec un de ces merveilleux, silencieux moments.
Une parole sortant d’une bouche comme le parfum d’une fleur,
Je me suis rappelé qu’aujourd’hui c’est ton anniversaire, maman,
Et le silence de l’instant m’a couvert moi et toute la terre,
Je m’y suis endormi, au milieu, comme dans une nuit calme
Sentant le foin et les étoiles en fleurs
Et j’ai pensé à vous :
A toi, mère – ensuite à toi, mon amour,
Et vous étiez deux en une :
Me quittant pour toujours
En restant toujours avec moi.
Rien ne bougeait :
Rien n’a bougé depuis que vous avez disparu, depuis que vous êtes parties,
Et moi je suis resté encore, là où vous m’avez laissé
Et je vous attends,
Et je me souviens :
J’étais un enfant pas très sage,
Mais je t’ai aimé, maman, même quand tu me tirais les oreilles
Et tes paroles dites en beauté et en détail
Comme un fin bruissement, comme la soie de tes vieilles robes,
Je les entends encore, le les écoute encore.
C’est une chose merveilleuse que d’avoir eu une mère, une fois,
Car on ne peut pas l’aimer vraiment que lorsqu’on ne l’a plus
(c’est moi, qui ne l’ai plus, qui le dis !)
Les mères ont le don de vivre en nous avec l’éternité,
Comme les bien-aimées.
Comme toute femme aimée avec le sang, la mémoire et la chair.
J’ai pensé à toi, mon amour absent,
Aux années passées (c’en est à peine un)
Et j’étais content.
Je t’aimais et je te menaçais :
C’est pourquoi tu es partie, pour que je t’aime toujours
Et qu’on soit toujours ensemble.
Oh, combien de belles paroles n’ai-je pas inventées pour toi !
Qui t’a déjà dit autant de caresses en vapeur ?
Qui t’a déjà léché les coquilles de tes oreilles, douces
Qui t’a déjà veillé comme moi, le cœur rempli d’amour, étranglé d’émotion, lorsque j’écoutais ton souffle en sommeil ?
Tout ça c’était à nous, aux deux :
Les nuits défaites, sur les quais,
Soirées jaunes, au gaz, dans des petites tavernes
Et des horizons grandioses, pleins de soleil et des herbes,
A travers les vertes pleines, estivales,
Et d’autres soirées, graves, galantes,
Parmi des tours en ruine, parmi les grands pins.
Mais plus particulièrement il y avait certains moments
Merveilleux, pleins de silence,
Entre la nuit et le jour,
A travers des forêts presque vierges,
Lorsqu’on se couchait dans le feuillage séché, entre les hêtres,
(Tu te rappelles la tour séchée, en vieux bois, de la forêt de Sighisoara ?)
Là, pendant de tels moments,
Entre la lumière du jour et les ombres de la nuit
Que seul le bois les possède ramassées ensemble,
Là-bas, à l’époque, on s’arrêtait entre les arbres
Et je t’embrassais avec amour, comme un chevalier
Et nous courions à travers le silence de la forêt, pleine de légendes,
A travers ses ombres et ses vertes lumières,
Et on ne savait plus si c’était la nuit ou le jour,
Si on vivait ou on rêvait.
Et tu chantais, riais, fleurissais et mourais,
Le silence était profond,
Toi, mon amour, tu mourais et ressuscitais,
Et tu ressuscitais encore et tu mourais,
Encore et encore,
Tu passais avec moi,
Dans une éternité que je ne reconnais pas.
Sauf dans le souvenir des cuisses maternelles
Et, parfois, comme maintenant,
Lorsqu’il y a sur la terre des moments merveilleux, pleins de silence,
Ou toutes et tout chantent en moi
La mort et la naissance du monde jaillissent des ruines.
1941
(traduit du roumain par André PASCAL)
Ce poème fait partie du recueil intitulé Le Vers Libre
(Editura Tineretului, Poèmes 1931–1964)