Entamer la lec­ture de ce Jour­nal des poètes déjà con­sulté par une autre ama­trice de poésie 1Mar­i­lyne Bertonci­ni est une expéri­ence inso­lite. Impos­si­ble d’ignorer les traces man­u­scrites de cette pre­mière lec­ture. Elles font com­pren­dre à quel point cha­cun porte un regard sin­guli­er sur cet univers éminem­ment sub­jec­tif. De ces traces émerge un attrait puis­sant pour le poème, cette « émo­tion que vous ne pou­vez trou­ver que là » (Pierre Reverdy) et qui nous plonge « au cœur de la ren­con­tre » (Philippe Mathy). Un poème qui « transperce en nous/les murs, les os, la pierre et la chair/et nous change » (Yor­gos Thèmelis). Mer­ci de cette porte d’entrée, Mme Marilyne.

Le Journal des poètes, 2, 2017, 86e année, 10€

Le Jour­nal des poètes, 2, 2017, 86e année, 10€

S’abandonner à la quête thé­ma­tique du « dossier » invite à pénétr­er à mots feu­trés dans l’ordre d’une «  lumière » poé­tique à la grecque 2Rap­pelons la sor­tie de trois ouvrages liés à cette terre qui sus­ci­ta tant de pen­sées philosophiques que poé­tiques : Poètes grecs du 21e siè­cle (vol 5) ) choi­sis, traduits et présen­tés par Michel Volkovitch, Le miel des anges; La Grèce de l’om­bre (2), Chan­sons rebèti­ka, traduits du grec par John Tay­lor & Michel Volkovitch, Le miel des anges; et Costas Kary­otàkis, Je veux par­tir (poèmes et pros­es), traduit du grec par Michel Volkovitch, Le miel des anges .. Com­ment se réfracte-t-elle dans l’esprit des trois poètes.ses sélec­tion­nés, présen­tés et traduits par Bernard Gras­set ? Sont-ils ten­tés par une har­monie réc­on­ciliant nature et cul­ture ? par une alliance entre cul­ture grecque « anci­enne et mod­erne » ? par… Il y a d’abord l’évidence des pho­togra­phies en noir et blanc (Y. Verniers) qui ryth­ment le dossier. La lumière dif­fuse pénètre d’abord les failles de l’ombre en des collines chutant dans la mer, puis sur des bar­ques essaimant au hasard des vagues, et enfin entre les colonnes d’un tem­ple au cré­pus­cule (je crois recon­naître celui de Poséi­don dans la magie du cap Sounion). Il y a ensuite les lumi­nes­cences et les brasille­ments inhérents aux poètes.ses qui les inscrivent dans l’Hadès ou sur le Pnyx, et dans la foulée de Tirésias ou d’Eukrate. Ceux d’Olga Vot­si qui, en plein effroi devant un cétacé, perçoit « un Ange de Lumière », tan­dis qu’elle porte seule « le poids » de cette lumière recueil­lie en « flo­con ». Elle qui, dans les « incan­des­cences  de la ver­tu » a des «entrailles » prêtes à « s’embraser » et porte dans le cœur des « traits de lumière » sem­blables aux ailes d’hirondelles. Ses poèmes sont sou­vent han­tés par des ailes d’aigles qui se déploient sur les pages. Pour Yor­gos Thèmelis, c’est la  Poésie qui est lumière, une lumière «d’une autre clarté, puis­sance d’un autre soleil ». Elle « n’est pas lumière », mais est un « poignard bril­lant » qui « sépare la chair de l’âme ». Son irrup­tion « trans­fig­ure » le poète : « Je flam­boie ». Même les aveu­gles « aux yeux qui ne voient pas » se muent en guides – dont Tirésias — « à l’origine de la lumière ». La poétesse Jeanne Tsat­sos  cherche, elle, une vérité. Le soleil « mélan­col­ique » « peine à sil­lon­ner l’univers », « avant de céder la place au silence de la nuit ». Sa lumière est en « notre sang » : elle est poli­tique. Sur la colline du Pnyx, elle la regarde « briller, se voil­er, dis­paraître dans le calme de la nuit ». Sur la stèle d’Eukrate, la foule (dont elle fait par­tie) écrira un seul mot « démoc­ra­tie ». Généreuse, Jeanne dit enfin de « l’amour » qu’il est lumière qui « a transper­cé la nuit».

Ain­si la lumière en ce XXème siè­cle hel­lénique secrète d’autres forces, per­son­nifiées en ange pro­tecteur, ou sym­bol­isant la poésie ou la poli­tique (démoc­ra­tie). Loin d’être un trans­port pur d’énergie sans matière, elle est ain­si trans­fig­urée. Elle devient une vision men­tale du poète ou de la poétesse, l’expression de l’idéal dont il/elle est porteur.se. Ain­si dif­frac­tée, elle se réfracte en nous avec une clarté con­va­in­cante, dans toute l’émotion de la beauté.

image_pdfimage_print
mm

Jane Hervé

Jour­nal­iste aux Nou­velles Lit­téraires, auteure de La femme de lune (édi­tions Gal­li­mard), Née du chaos, et Le soleil ivre  (édi­tions du Guet­teur). Co-auteure de  La femme tatouée et de Neige d’amour avec le pein­tre Michel Jul­liard et co-auteure de pièces de théâtre : La légende de Guritha, femme viking et de Guritha, le retour avec Danièle Saint-Bois. janeherve@free.fr — voir aus­si : http://leguedelange.over-blog.com/

Notes[+]