Il y a der­rière le noir de la cou­ver­ture la couleur du sang qui gicle, comme giclait la pâte col­orée du pinceau de Van Gogh, dans le recueil Vivre à la Hache de Nico­las Rozi­er, paru aux édi­tions de L’arachnoïde en avril 2017.

Il y a aus­si jusque dans le titre cette force de frappe poé­tique émail­lant et éraflant le recueil, qui se com­pose de trois tableaux : « Scalp de Vul­cain », « L’enfer est mort », « Je t’aime au feu ». Le poète s’est ain­si emparé du geste de l’artiste qui dans l’instant où il trace ses mots, con­duit à l’expression d’un con­flit : entre ordre et désor­dre, « vivre est une pein­ture de larmes », corps et cœurs s’écorchent au fer du langage.

La poésie, c’est de la mul­ti­plic­ité broyée et qui rend des flammes

Vivre à la hache, Nicolas Rozier, Ed. L'arachnoïde

Vivre à la hache, Nico­las Rozi­er, Ed. L’arachnoïde

Dans la lignée d’Artaud, qui fig­ure en exer­gue du recueil, Nico­las Rozi­er met le lecteur à l’épreuve de la destruction :

Les mots sont tombés comme des hommes.

La geste du poète con­siste à extraire au prix du sang une énergie inhérente à la matière, rejoignant l’auteur de L’Ombilic des limbes dans l’obscure matéri­al­ité qui est celle tan­tôt de la langue tan­tôt des choses elles-mêmes :

Je pense comme le fer
une pierre de fer.

Matéri­al­ité aux lim­ites mêmes du lan­gage, épou­sant la rhé­torique du chaos :

Mais pour le fer qui pousse à vue
au fond de l’os martelé

Il ne faut rien.

Saisi dans cette triple dimen­sion, cor­porelle, épique et cos­mologique, le poète devient l’incarnation ter­ri­fi­ante de la fig­ure qu’on sac­ri­fie et qu’on assas­sine, n’ayant « qu’un trou pour les yeux et la bouche/et il par­le avec ça » — le motif de l’abattoir venant s’associer à celui de la croix

Le FIN MOT des clous de la croix
en bois de ciel.

Vivre requiert l’incorporation absolue du mal ; un des poèmes induit dans l’ironie de son titre cette injonc­tion tragique :

Vous repren­drez bien un peu de potence ?

Mais le froid de la lame et l’effroi soli­taire ne sont pas les maîtres mots du recueil. Il y a une autre puis­sance à l’œuvre con­vo­quée par le poème, alchim­ique, fémi­nine, minérale et sen­suelle, hors du lieu comme hors du temps, et qui donne force de chair au Nous :

Nous sommes nus quelque part sur l’île rouge du cœur
Et nous exerçons nos lumières
comme des foudres amantes
essayant toutes les bourrasques

Cette « fig­ure de soie cisail­lée », à la fois « beauté impos­si­ble » et instance guer­rière, offre à celui qui la saisit un pos­si­ble ren­verse­ment : « je suis tes yeux nus ».

Alors « JE » et « TU » s’élèvent, dans ce pou­voir trans­mué du Verbe, au rang des majus­cules, et nous avons un véri­ta­ble vis­age, ce « VISAGE D’ÉTOILES COUCHÉES DANS / LEUR NUIT ».

Alors l’éternel retour n’est plus con­damna­tion à vivre : nous pou­vons voir la révo­lu­tion d’un soleil « fort jusqu’à l’envers de l’abîme » et qui, au terme de sa course, fait émerg­er dans « le poème cloué à l’état de rêve » ce « OUI POUR TOUJOURS ET TOUJOURS OUI ».

Ain­si à l’heure où le regard con­tem­po­rain s’épuise en spec­ta­cle, Vivre à la hache est un recueil qui pos­sède cette dimen­sion rare de la pro­fondeur, et qui nous exhorte de façon magis­trale à trem­bler comme à polir, à tra­vers les épreuves d’un héraut brûlé par le feu sacré, notre dia­mant intérieur.

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Sophie Brassart

Sophie Bras­sart, poète et pein­tre, tra­vaille le geste poé­tique à l’en­cre. Elle vit à Montreuil.