Bernard Grasset , Et le vent sur la terre des hommes

Si longtemps j’avais marché
A travers la plaine des années
Quand jaillirent les flèches d’espérance

Ces vers ouvrent le recueil.

Bernard Grasset est un poète marcheur, un pèlerin des mots en quête de mystère. Comme il le disait déjà dans son recueil Brise : « partir s’arracher /… marcher ». Marcher, c’est se tenir au plus près de la nature et des lieux, c’est s’inscrire dans un espace- temps comme dans son autre recueil La Fontaine de Clairvent.

En ce nouveau recueil, troisième volet d’un triptyque de poèmes de voyage, le poète nous invite à cheminer avec lui en Italie, en Allemagne, en Ecosse, des bords de Loire à la Provence, des Vosges à la Bretagne… Ce recueil est un journal en poésie, un condensé de ce que l’on rencontre en voyage et : « Dans l’humilité du poème, le temps du voyage, ramène à l’essentiel ».

Voyager, c’est s’exiler, ne pas être touriste, mais se faire messager d’humanité : « Le poète qui voyage en quête de l’aube cachée par l’agitation du quotidien, ressemble plus à un pèlerin, messager d’humanité, qu’à un touriste, impatient de mirages. »

Comme pour Sylvain Tesson ou Arthur Rimbaud, ce marcheur éternel aux semelles de vent, la marche est source d’inspiration, de l’asphalte aux chemins de terre. La marche est un art, un art que Henry D. Thomas porta haut : « Au cours de ma vie, je n’ai rencontré qu’une ou deux personnes qui comprenaient l’art de la marche . » (Marcher), un art que vit et comprend Bernard Grasset.

Si la marche est une constance dans l’œuvre de Bernard Grasset, le vent l’est aussi comme l’indique le titre de ce dernier recueil : Et le vent sur la terre des hommes, titre qui fait écho au titre d’un autre de ses recueils : Brise. Le vent souffle de la poésie, de l’esprit poétique ; le vent messager poétique : « Sur le chemin des poètes sonne le vent. »

On est frappé en lisant ces poèmes par leur rythme, les phrases le plus souvent nominales correspondent parfaitement au rythme de la marche et de la pensée qui l’accompagne. Une pensée fragmentaire par petites touches impressionnistes, une pensée qu’éclaire tout ce que le regard embrasse.

Marcher, regarder, les sens en éveil sentir le temps qui passe quand la pensée se vit au présent. En refermant le recueil, nous vient cette expression de Lao Tseu : « Le bonheur c’est le chemin ».

Présentation de l’auteur

Bernard Grasset

Poète, penseur et traducteur, Bernard GRASSET, régulièrement publié en revues depuis 1985, est l’auteur d’une vingtaine de recueils inspirés librement de la Bible, des peintres et des musiciens ou de ses voyages. Expérimentateur d’une écriture poétique bilingue à travers des recueils écrits en hébreu – français et en grec – français, il est également le premier traducteur de la poétesse Rachel en français. Tout en poursuivant la traduction de l’œuvre de cette poétesse, il s’est tourné plus récemment vers la traduction de trois poètes grecs contemporains de la lumière.

Associant la poésie à la pensée, il a publié plusieurs essais sur la Bible et sur Pascal dont il est devenu spécialiste, ainsi que des articles philosophiques ou littéraires en France et à l’étranger.

Écrire, pour Bernard Grasset, c’est comme remonter aux sources, à travers les langues et les cultures fondatrices, pour dégager la voie d’une autre modernité, d’un nouvel humanisme.

Dernières publications : Brise, J. André, 2020 ; Ainsi parlait Blaise Pascal, Arfuyen, 2020.

 

crédit photo © Wikipedia

Poèmes choisis

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Luca Ariano, Demeures de mémoire

L’art de la traduction change rapidement ces jours-ci sous l’immixtion délibérée de mots étrangers dans les textes. Comme il est loin, le temps de la guerre froide où en cours de langues étrangères il était interdit aux potaches de finir une phrase par un mot d’une autre langue, signe d’ignorance et de pollution. Au siècle dernier, on avait oublié que les langues s’acceptent depuis toujours, affirmant la fluidité des frontières culturelles.

Le mot « sucre » n’a-t-il pas fait le tour du monde sous une multitude de versions qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau, confirmant une nouvelle réalité dans des espaces culturels où elle n’existait pas ? À cette tendance linguistique universalisante est venue s’en ajouter son contraire, soit sauvetage de mots du terroir, dialectes et expressions familières ; leur singularité de clan, de village, ou de région les a cachés au nom d’un classicisme national dont la contrainte fut dénoncée dès les années 1930 par Ramuz, Giono, et Mistral. Aujourd’hui, devant la disparition croissante des langues et dialectes, la revalorisation de ces mots rares bat son plein, en contrepoint et en complément de la mondialisation linguistique.

Luca Ariano souscrit à cette double tendance. Ses poèmes qui se situent en Emilie-Romagne et en Lombardie, sans oublier le Piémont, Rome, et la Marche, saupoudrent ses poèmes de mots anglais (smile, low-cost) et de mots du terroir (fiulin, enfant, à Pavie, arzdora, ménagère en Emilie-Romagne, et fontanarri, infiltrations d’eau sur la partie extérieure d’une digue lors des crues). Marilyne Bertoncini, dans sa traduction, a choisi la fidélité. Elle a laissé les mots anglais et les mots italiens du terroir dans le texte, en italiques ; les mots anglais n’ont pas reçu de commentaire, tandis que les mots du terroir ont reçu des notes explicatives en bas de page. Qu’on ne s’y trompe pas : ces notes rapides sont étayées par une solide connaissance du sujet, comme le montre la note sur Pasolini, le « corsaire » de la p. 25 et le « professeur de la p. 57. Elle nous donne, avec ce mini-séminaire de traduction, une vraie rencontre avec les personnages et les situations des poèmes dans un contexte vivant. De plus, en laissant aux poèmes leur double dimension universelle et locale, elle a préservé la juxtaposition de l’ancien et du moderne qui caractérise la poésie de Luca Ariano.

Luca Ariano. Demeures de mémoire. Poèmes choisis et traduits de l’italien par Marilyne Bertoncini. Postface de Raphaël Monticelli. Editions Douro, 2025. 64 p. ISBN 9782384064670. 16 euros.

En effet, Demeures de mémoire est dominé par le thème du passage. Même Parme a un saint de passage, Saint Ilario. À pied, en vélo, ou en Vespa, dans le présent et dans ses souvenirs, le poète traverse les villages, arpente les ruelles urbaines et va de chaine montagneuse en plaine fluviale, parfois dans des raccourcis saisissants : « Plus personne ne se souvient du cours du fleuve, / enseveli après une éruption / ou peut-être sous des mains avides de ciment » (15). Ces trajets de Petit Poucet dans les régions de la plaine du Pô se parsèment de nombreuses allusions et références locales qui font ricochet : ainsi le Dolcetto, vin de la célèbre région vinicole de Montferrat évoque Umberto Eco, le chanteur Vinicio, la ville de Hanovre, la chanson Ma l’amore no, un film de Mario Mattoli. Ces indices et effleurements, ces prénoms, ces noms de rue, seraient amputés sans les notes en fin de page, un peu comme si Luca Ariano jouait à cache-cache avec le lecteur. Toujours dans la lignée universelle/locale, certains poèmes utilisent des citations de poètes européens comme clés de méthode poétique (« Transaction » p. 19, « Calendrier julien » p. 26) ou comme avertissements pour un avenir plutôt sombre (« Contrat à durée indéterminée » p. 45, et « Nuovi contratti » p. 53). Les menaces pesant sur l’avenir sont symbolisées par les nombreuses allusions à des « coups de feu » et à des assassinats célèbres (Pier Paolo Pasolini, Aldo Moro). Tout cela forme une intertextualité multiple dont les contrepoints montrent la nécessité de « demeures de mémoire » intangibles capables de nous ancrer tout en nous désamarrant.

Le passage du tu au il dans les poèmes a retenu l’attention des critiques. Par contre ils parlent peu d’« elle, » l’Aimée anonyme aux multiple identités qui apparaît souvent. Plutôt qu’une perte d’identité, ces deux effacements permettent au narrateur de composer une fresque qui rappelle celle de La Montagne de l’âme par Gao Xingjian. Au cours de ses pérégrinations à travers la Chine, Gao Xingjian note ce qu’il voit quand il marche : un défilé rapide d’images entrevues, une sorte de toile de fond impressionniste, constituée de multiples réseaux tissés dans le quotidien et nourris par les affleurements du passé. Pour Luca Ariano, c’est une symphonie urbaine et rurale, un portrait de rues et de routes qui se forme sous l’impulsion des sensations du poète, le « brouillon non écrit des misères provinciales » (p. 46). C’est infiniment plus que le « courant de conscience » en vogue au siècle dernier, » c’est  un foisonnement sensuel et savoureux, nostalgique et exubérant. C’est celui du poète et celui du passé collectif populaire auquel ont appartenu ses parents et grands-parents, c’est aussi celui des opprimés de tout bord, dont il joue pour mieux faire ressortir le mouvement de la vie : « Ces matins à la maison – sans école / avec la fièvre, ils sentaient le lait / et le miel, la terre du jardin rapportée / à la maison sous les pantoufles. »

Présentation de l’auteur

Luca Ariano

Nato a Mortara (PV) nel 1979, Luca Ariano vive ora a Parma. Ha pubblicato la raccolta di poesie Bagliori crepuscolari nel buionel 1999. Numerose sue poesie sono apparse su riviste, blog e siti letterari su internet. Collabora con le riviste «Atelier», «Racna» ed è redattore de «Le Voci della Luna». Nel 2005 è uscita una sua plaquettene La coda della galassia(Fara) e la sua seconda raccolta di poesie Bitume d’intorno, con la prefazione di Gian Ruggero Manzoni, per le Edizioni del Bradipo di Lugo di Romagna. Con Enrico Cerquiglini ha curato per Campanotto l’antologia Vicino alle nubi sulla montagna crollata(2008). Nel 2009 una parte della sua plaquette Contratto a termineè stata pubblicata ne La borsa del viandantecurata da Chiara De Luca (Fara). Sempre nel 2009 ha curato con Luca Paci l’antologia Pro/Testo(Fara). Nel 2010 per le edizioni Farepoesia di Pavia è uscita la plaquette Contratto a terminecon una nota di Francesco Marotta. Nel 2011 con Marco Baj per Officine Ultranovecento ha pubblicato il libro d’artista Tracce nel Fango. Sempre nel 2011 con Ultranovecento all’interno del cofanetto Mappeper un altroveha pubblicato Tempi sospesi - Temps suspesos(4 poesie di Luca Ariano, traduzione in catalano di Imma Puig Cuyàs e 1 Fotolitografia da originale pastelli su carta di Gabriella Di Bona) e 5 gradi prima del ritorno con Martino NeriNel 2012 per le Edizioni d’If è uscito il poemetto I Resistenti, scritto con Carmine De Falco, tra i vincitori del Premio Russo – Mazzacurati. Nel 2014 per Prospero Editore ha pubblicato l’e-book La Renault di Aldo Morocon una prefazione di Guido Mattia Gallerani. Nel 2015 per Dot.com.Press-Le Voci della Luna ha dato alle stampe Ero altrove con una postfazione di Salvatore Ritrovato e note di Ivan Fedeli e Lorenzo Mari, finalista al Premio Gozzano 2015. Nel 2016 presso la Collana Versante Ripido / LaRecherche.it è uscito l’e-book di Bitume d’intornocon una nota di Enea Roversi. Sue poesie sono tradotte in francese, spagnolo e rumeno.

 

 

 

Poèmes choisis

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Gérard Leyzieux, T’empresse

Voilà une poésie qui donne à penser. Non pas la pensée dite rationnelle mais l’autre, celle que François Jullien, dans son magnifique essai : Puissance du pensif, ou comment pense la littérature, nomme la « pensée pensive », celle qui ne refuse ni l’évasif, ni l’imaginaire, ni la sensation. Voilà dans quoi nous plonge Gérard Leyzieux.

Il s’agit dans ce poème de penser le temps, alors qu’il est compté. Longtemps on avait vécu dans l’éternité, voilà que ce mot, éternité, prend un autre sens : elle serait juste après la fin… Voilà que

Les bruits d’éternité t’emplissent d’inconnu

Devant le temps presse, avant il se trouve enfoui

Tant de temps étendu
Recouvre le limon lissé de tes ans

Comme souvent chez Leyzieux on balance du moins au plus

À quinze heures le vent s’élève sur la vie
Un baiser très léger et une simple caresse
Un moment de tendresse
Une seconde pour toujours

Peut-être fallait-il

La découverte du néant
Qui engloutit les jours, les ans
Sans s’émouvoir de rien, de rien

pour comprendre que si dans la joie il y a de la peine, dans la peine il y a de la joie…

Terre t’appelle, dit-il. Si le mot paraît ambiguë, le vers suivant nous rassure : Tu t’y répands au régal charnel total. Encore que, au vers suivant, est évoqué une immersion au plus profond du magma. Ainsi chez ce poète passe-t-on sans cesse du recto au verso… tout en usant de formules si belles comme : Une fleur fane face à frayeur de l’oubli, ou encore Temps m’arche et me boute hors de tout. Et aussi : Fuir en sa chair lui révèle la terre entière… Il faudrait toutes les citer ! Mais ce serait priver le lecteur de ses propres découvertes.

Ce recueil paraît en même temps que Je(u) d’avatars, du même auteur. Il faut croire que Jean-Claude Goiri, l’éditeur de Tarmac, l’apprécie particulièrement. Il lui a réservé deux beaux livres en papier texturé vergé qui rend la lecture très agréable. L’incarnation du texte, cela compte !

Gérard Leyzieux, T’empresse, éd. Tarmac, 2025, 60 pages, 15 €

Présentation de l’auteur

Gérard Leyzieux

Gérard Leyzieux écrit principalement de la poésie mais il écrit aussi de la prose. Ses textes poétiques ont été publiés dans des revues papier en France ainsi qu’à l’étranger (Canada, Roumanie, Belgique). Il publie également régulièrement ses mots modelés à l’émotion dans diverses revues électroniques.

Bibliographie 

 

  1. Aux éditions Stellamaris :

  • Et langue disparaît, poésie, 2018

  • Gestuaire, poésie, 2019

  • Et l’attente attend, poésie, 2019

  • L’Européelle, roman, 2020

  • Tes mots dits et tu/s, poésie, 2020

  • …À distance, roman, 2021

  • Basile le bienheureux, roman, 2022

  • Décortiqué, poésie, 2022

  • Basile n’est pas heureux, roman, 2023

  1. Aux éditions Tarmac :

  • Impression vide devant, poésie, 2022

  • Passage, poésie, 2023

  • Aux éditions Z4 :

  • Qu’en flue l’incertitude…, poésie, 2023

Autres lectures

Gérard Leyzieux, Tout en tremble

Le livre s’ouvre avec ce premier mot : TOUT. Que j’ai tendance à considérer comme un mot valise pour l’ensemble du poème, lequel nous décrirait une ouverture vers la liberté de s’inventer. [...]

Gérard Leyzieux, Je(u) d’avatars

Ce qui frappe d’abord chez Gérard Leyzieux, c’est l’attention qu’il porte à chacun des mots qu’il dresse sur la page. Au point de les désosser parfois, comme on la fait d’une poupée pour [...]

Gérard Leyzieux, T’empresse

Voilà une poésie qui donne à penser. Non pas la pensée dite rationnelle mais l’autre, celle que François Jullien, dans son magnifique essai : Puissance du pensif, ou comment pense la littérature, nomme la [...]




Christophe Esnault, Lettre à la liberté, extrait de Pistolet à bouchon sur la tempe

Je ne suis libre de rien, mais je pourrais l’être bien davantage. Pour te penser un peu, en mon esprit défile ce qui s’oppose à toi ou te renforce dans des êtres parfois plus libres que je ne le suis et ne le serai jamais. Sujétions, oppressions, enlèvements, séquestrations, détentions, sévices, actes de torture. Je ne te connais pas puisque je n’ai eu à peu près de tortionnaire que moi-même. Je m’observe en asservi volontaire ordinaire. Rivé à ma paresse sans savoir la fendre. Je pense que tu concernes exclusivement des personnes de courage. Je n’ose devant toi jouer le grand romantique. Homme transparent ou éthylique. On écrira peut-être à la chance.  Ai-je été libre de sucer ma névrose, d’aimer, de créer ou de me droguer ? Je pressens que les grands sursauts du vivre sont derrière moi. Reste l’écriture. L’amour a parfois été une réécriture de qui on a été sans savoir l’être véritablement. Une femme m’aidait à naître à quelqu’un que je pouvais aimer. Liberté / courage. Je revendique la confusion. Mon corps est assis devant un ordinateur. Je peux jouir du silence. Si j’en éprouve l’urgence, il m’est possible d’appeler une amie et de lui grappiller un peu d’attention. La questionner pour me sauver de n’avoir parlé à personne de la journée. On est libre aussi d’aimer ou de haïr et de percevoir un écart. D’admirer, d’atomiser ou d’insulter copieusement qui on voudra en théâtralité et en invectives dans notre cuisine. Ou d’être blessé et triste d’avoir investi pendant des années une relation qui tombe dans la vase et en a le goût. Mal dormir pour les raisons qui seront les nôtres. Se croire en lucidité brûlante, même si on est en déni ou en angle mort. Libre de choisir ses addictions. De s’inventer une raison de vivre ou de s’occire. Aller chercher une deuxième bière à la supérette, me prendre une pizza si j’ai encore faim, ma liberté ne va pas au-delà. Je ne crie pas ton nom, ne le murmure même pas. Être vivant ouvre des simulacres de possibilités ou de choix. « Le suicide est la seule preuve de la liberté humaine » nous confiait Stig Dagerman, nous habitons cette phrase. Qui sait te vivre ? Se cacher parmi des milliards de pleutres. S’enrober d’une valeur à notre convenance. Maudire ou décrier l’existence pour se donner consistance. Prétendre et affirmer que l’on est arrivé au bout et qu’on ne peut pas aller plus loin depuis déjà trente années fleuries de ridicule. Reste toujours une prochaine phrase. On est très indulgent avec ces phrases que l’on écrit. Notre liberté à nous, puérile, la seule, c’est de leur trouver une certaine tenue. Une certaine puissance. Regarde comme on est libre de se raconter une histoire rassurante. Et qui nous revigore. Ou nous rabougrit. Le corps tout entier.             

Christophe, presque poète,

Présentation de l’auteur

Christophe Esnault

Christophe Esnault ne dort pas la nuit. Presque poète et fragmentiste. Il écrit comme un damné une œuvre qui tend vers le texte testamentaire ou le rire. Ses livres sont parus chez Les Doigts dans la prose, Tinbad, Conspiration, Publie.net, Le Cactus inébranlable, Milagro, Des Rues et des Bois, Louise Bottu, Ars Poetica, Æthalidès, La nage de l'ourse, et dans de nombreuses revues. 

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

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Editions Tinbad : l’horizon d’un futur poétique

La Mythologie personnelle de Christophe Esnault Le sujet de ce livre, et son enjeu, sont énoncés dès l’avant lecture. En manière de propos liminaire, le lecteur a donc un horizon d’attente qui se [...]




Goéland poésie n°3 automne 2024

La revue Goéland éditée à Bordeaux par les éditions Nouvelles Traces, consacre son troisième numéro de 150 pages à Kenneth White, le père de la géopoétique, décédé en août 2023. Il s'agit d'un hommage de la part de celles et ceux qui l'ont connu, apprécié, qui ont été inspiré par lui.

Chacun des rédacteurs et rédactrices se souvient bien de l'instant de la rencontre avec celui qui à jamais marquera leur vie. Iels s'accordent toutes et tous pour décrire un auteur passionné, passeur pédagogue d'une grande intelligence, d'un caractère bien trempé d'Ecossais devenu Breton.

Mais sa vision de la géopoétique n'a rien d'un nationalisme ni même d'un régionalisme. Il s'agit pour lui d'approfondir la pensée de Hölderlin pour mieux habiter poétiquement la terre non pas autour du triptyque "Le moi, le mot, le monde" mais plutôt exclusivement orienter la pensée vers une poésie sur le monde. "Landscape / mindscape / wordscape" intitulait-il un de ses ouvrages. Ressentir les lieux, la puissance d'un paysage, selon le pouvoir des règnes minéral et organique.

Mais la encore, aucun message politicien, encore d'écologie politique. Le poétique considéré comme un dynamique de la pensée. Le géographique pour mieux s'arrimer à notre planète.

Kenneth White exprimait régulièrement ses points de vue dans divers colloques et conférences. S'y mêlaient géologie, philosophie, géographie, biologie, ethnologie, économie, etc. dans des débats au bouillonnement intellectuel très riche. Lui qui dénonçait "une civilisation dénuée de culture" s'efforçait à partager la sienne enrichie de multiples lectures.

Kenneth White n'est plus, mais sa pensée ne s'efface pas, elle se poursuit et s'approfondit au sein de l'Institut international de géopoétique présidé désormais par Régis Poulet.




Dissonances n°47 hiver 2024

Après l'orage, tel est le thème central de cette revue animée par Jean-Christophe Belleveaux, Jean-Marc Flapp et Côme Fredaigue. Les belles photos de Cédric Merland apportent le sombre puissant à ces pages souvent dénonçant les travers du monde actuel et l'explosion qui pourrait s'ensuivre.

Une telle thématique est forcément source de poésie et cette revue en multiplie les formes en une dissonance de formes agréables entre proses, poèmes (courts ou longs), calligraphies, et photographies bien sûr.

Beaucoup des auteurs de ce numéro s'interrogent comme Mathieu Le Morvan : "quelle couleur aura le monde après l'orage ?"

Dans le "Tic Tac Tic Tac Tic Tac" qui rapproche de la mort,  Joseph Lantier essaye de "tenir l'équilibre autant que possible. Tenir" Philippe Malone lui, voit "Au fond des gorges / un minerai de cri". Thibault Marthouret fait le décompte de ce qui restera "si on se fait la guerre" et pour lui "seuls les œufs durs résisteront" à la chute. Dans le même ordre d'idée, Laurence Fritsch liste les conséquences de la guerre 14-18 "Après les orages d'acier".

"Après l'orage, le temps n'existe plus. Il tourne en boucle, plonge, replonge, toujours dans la même eau qui n'en finit pas de cracher rouge." (Élise Feltgen)

La solution trouvée par Benoit Toccacieli est de "Baisser les yeux. S'effacer. Inexister. Mais ça suffit rarement à éviter l'orage."

DISSONANCES #47 APRÈS L’ORAGE, octobre 2024, 64 pages, 8 euros.

Christine Guichou imagine dans sa "rêverie post-apocalyptique" que "tout est devenu forêt depuis". Le mythe du déluge est également très présent. Anne-Marie Jorge Pralong-Valour voit que "La mousson dégueule des jarres joufflues / Alignées en  nurses-soldats". Idem chez Marion Maignan :"il avait plu, pendant des jours et des jours. jours-gris jours-plats jours-crasse jours-froids, jours bouffis, demi-jours, nuits-jours."

Mais l'orage peut également être intérieur  "ce matin / j'avale une tornade par la bouche / et ma gorge habite / des cargaisons entières de cris"  (Rachel Boyer)

A noter également dans cette revue, la rubrique distinctions - nos auteur.e.s ont aimé, avec pour chacun.e des auteurices au sommaire : un livre, un film, un disque pour mieux cerner ces personnalités

Corinne Le Lepvrier, poète finistérienne, répond à un questionnaire en vingt-quatre points et nous livre sa définition de la poésie : “où la parole est déséquilibrée, une sincère nécessaire déclaration.”

Dissonances est une revue dense et riche qui offre un panorama intéressant sur ce que peut être la poésie actuelle.




Contre-Allées n°49, automne 2024

Amandine Marembert et Romain Fustier sont poètes, ils sont aussi éditeurs à Montluçon de la revue Contre-Allées. Ils œuvrent inlassablement depuis 1998 à faire découvrir la poésie et les poètes contemporains.

Le numéro 49 de cette revue honore plus particulièrement Christiane Veschambre, poète qui ne cesse de s'interroger sur l'acte d'écrire. "on disait : / écrire sauve / là où on n'écrit pas / on était perdu / condamné / / mais écrire ne sert (à) rien / de rien n'est le serviteur / (l'instrument) / / ne se met pas à votre écoute / est toujours là / où on n'écrit pas"

Valérie Linder a illustré la première page en interprétant avec sensibilité les mots de Christiane Veschambre.

Mais cette revue ouvre également ses pages à des auteurs reconnus car ayant publié chez des éditeurs exigeants tels Isabelle Sauvage, Les Lieux-Dits, Tarabuste, Le Castor Astral, etc. Elle interroge aussi des poètes avec cette question existentielle unique : La poésie vous aide-t-elle à vivre ? Dans ce numéro c'est Henri Droguet et Nimrod qui s'y attellent...

Contre-Allées permet également de découvrir des éditeurs de poésie contemporaine. Dans ce numéro, Pierre Manuel présente ses éditions Méridianes de Montpellier. Il est bon de donner de la visibilité à ces éditeurs qui œuvrent dans la discrétion et la modestie pour diffuser les auteurices de poésie loin du cirque médiatique des best-sellers.

 

La poésie est vivante, elle se renouvelle, elle est moderne. Les revues sont une source de belles découvertes pour qui aiment les mots. Loin des autoroutes du livre que sont les grandes surfaces, venez arpenter les contre-allées et petits chemins qui mènent à la poésie.

 




Jacques Merceron, L’Écart des six ifs & autres fatrasies, Ombreuses fratries

La fatrasie est un genre poétique daté, né au moyen-âge et disparu au XVI°, dans lequel le sens cède sa prééminence au son, avec notamment des répétitions de syllabes et des accumulations de phrases aux sonorités étranges qui peuvent dissimuler des critiques, moqueries ou pamphlets. Genre d’autant plus virtuose qu’il est encadré par une forme fixe :  nombre de vers avec six premiers de cinq pieds et les cinq derniers de sept, souvent construite sur deux rimes, selon une disposition stricte. Ceci donna une poésie souvent amphigourique, à la fois drôle, même franchement burlesque, apparemment sans queue ni tête ou en tout cas difficilement intelligible.

Depuis la fin du XX° siècle le genre s’est trouvé réinvesti, plus dans l’esprit que dans sa forme précise, par un certain nombre de poètes chanteurs, ou auteurs de « comptines » et autres « fatrasies », souvent pour enfants, entendez textes poétiques un peu loufoques, sans trop de sens ni de forme canonique. On pourrait peut-être d’ailleurs y rattacher aussi les « Chantefables » et « Chantefleurs » de Desnos ? Recueils posthumes parus bien longtemps avant que le terme fatrasie se trouve réinvesti par nos contemporains dont la plus connue est sans doute Brigitte Fontaine, artiste inclassable que l’on ne présente pas, qui, à propos de son dernier recueil de poésies intitulé « Fatrasie » proclame fièrement « les expliqueurs et les expliqueuses de textes devraient tous être passés par les armes ».

Jacques Merceron, lui, en plus de poète (nombreuses revues et ici même sur « Recours au poème »), est un érudit : universitaire, docteur en littérature, mythologue et médiéviste, auteur de plusieurs monographies savantes sur le Moyen Âge, la mythologie, les traditions et savoirs populaires (contes, légendes, médecine magique), un Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux (Seuil, 2002), un Florilège de l’humour et de l’imaginaire des noms de lieux en France (Seuil, 2006)… auteur également de nombreux articles et  études pointus publiés dans des revues spécialisées, notamment dans la « Nouvelle mythologie comparée ».

Jacques Merceron, Ecart des six ifs et autres fatrasies, éditions Douro, coll. bleu turquin, Chaumont, 2023, 86 p. – 16,00 €.

Ces précisions ne sont pas inutiles pour éclairer l’imaginaire et l’univers poétique de Jacques Merceron car, au diable le CV de l’œnologue ou du vigneron si le divin breuvage nous apporte l’ivresse et ici le tanin est si particulier que le tasteur est amené à se poser la question : Ces objets d’études ont-ils déteint sur sa vie ou sont-ce ses goûts, déjà « facétieux », qui l’ont amené à cette profession de « savant » ?

Toujours est-il que pour écrire cette poésie-là il faut avoir un grand Fin amor des mots et de la langue, mais pas que…  tous les poètes ont de ces amours-là, celui de la langue, des mots (du sens et des sonorités) mais ici c’est un amour à la fois frivole et réfléchi, fou et posé, irrespectueux et révérencieux, passionné et sensé, bricolé et professionnel,… ; amour reposant  sur une sérieuse érudition (au sens de solide) doublée d’un goût pour le facétieux, le burlesque, et autre « mot que rit », l’humour populaire, l’éclat de rire rabelaisien, la farce (telle celle de « Mètre patte lin » dirait J Merceron ! ) et l’on pourrait multiplier les adjectifs : insolent, irrespectueux, coquin, malin, espiègle (Jean passe et dé meilleurs) ; toutes ces qualités (ou des faux ?), sont servies par une connaissance fine de la langue : répertoire argotique ancien, inactuel ou récent, expressions et proverbes populaires désuets ou actuels, histoire de la langue et des jeux de langue d’avant-hier à aujourd’hui : menteries, contes et légendes, comptines, refrains, proverbes et dictons, folklore du Moyen-âge, sorcellerie et médecine de rebouteux, langues de métiers et vocabulaires anciens et/ou professionnel (menuiserie, cavalerie, marine…). L’auteur butine à tous les dictionnaires, tous les répertoires et registres pour élaborer un miel poétique des plus originaux, surprenant, incongru ou alterne non sens, absurde, humour et lyrisme (p 43), babelisme assumé (p33, 35), hommages ciblés (Boris Vian p 45, 47, Valéry ou Villon), saynètes granguignolesques à base d’amis-mots, rire rabelaisien voire délicieusement grivois (Oh ! nanisme oh ! /« Trombone aboyeur en gorge profonde »)

Jacques Manceron est un alchimiste de la langue, un saltimbanque de la phrase, un jongleur du vocabulaire, bref : au jeu des mots, un As ! Sous le grand chapiteau bruyant du cirque des Amimots ce serait un Monsieur loyal dompteur et régisseur qui manie à merveille tous les registres et procédés poétiques de langue : assonances et allitérations (le gris grain de nos jours / et vers le vin de vigueur) comme des jeux de mot (homophonie, calembour, contrepèterie, pastiche de proverbes et dictons, trompe-oreille et virelangue,…)

Sous le sourire complice, le rire, in fine le jeu gratuit, mais pas toujours, affleure, ça et là, « les mots scions » comme p44 « À la toute fin des fins pour jouer encore / mon destin à la roulette je reviendrai lancer/mes dés sous les sabots de mes voyelles/et consonnes cavalières espérant secrètement/leur échappée belle pour une dernière/pirouette sur le remblai des étoiles. » ; ou encore la « raie flexion » ironique, mi-figue mi-raisin, que forme cette magistrale définition de la poésie (p40), où sur une page « à découper suivant les pointillés - l’auteur nous livre - un petit pense-bête à l’usage de ceux et celles qui réclament toujours une définition de la poésie.  Elle est  …  et suit une liste de 76 qualificatifs les plus variés et inattendus, à mémoriser en toute simplicité, à réciter en solo duo ou trio au choix »… Avis aux diseurs, lecteurs, performeurs et Chœurs parlés : voilà une pièce de choix à ajouter à votre répertoire !

Cette moqueuse définition de l’indéfinissable ne rejoint-elle pas, sur le fond, mais par l’humour, la lapidaire sentence guerrière de Brigitte Fontaine citée plus haut ?

Cri tique fête le plus saint serre ment et sans brosse à relire !

Celles et ceux qui n’auront pas été étourdi par la virtuosité tournoyante du grand « écart des six ifs et autres fatrasies » pourront suivre l’aventure langagière avec « Ombreuses fratries » (Encres vives, n°547) où, de cavalcades en escalades, Jacques Merceron vous fera « Descendre en rappel/jusqu’au tréfond des mots/Nobles ou infâmes […] ou bien remonter/En varappe risquant/Chaque pointe de pied/Dans l’échancrure friable des mots/Dans leurs frêles crevasses/Dans leur éclat sans pareil/Ou dans leur glaucité/ /Au risque de lâcher prise.

Une mise en garde toutefois : impossible de « faire rendre gorge aux mots… une lettre et c’est tout un monde qui bascule… à nous faire perdre l’esprit sain » Les mots auront toujours le dernier mot : Gare à la vire tue oh cité !

Présentation de l’auteur

Jacques Merceron

Né à Paris en 1949. Fut professeur de littérature médiévale aux USA (Bloomington, IN). Habite à présent à Montpellier. A publié livres et études sur le Moyen Âge, la mythologie, les traditions et savoirs populaires (contes, légendes, médecine magique…), un Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux (Seuil, 2002), un Florilège de l’humour et de l’imaginaire des noms de lieux en France (Seuil, 2006). Par goût, en poésie, aime et pratique le grand écart, du « merveilleux » au « facétieux ». Aime par-dessus tout Nerval, tout Nerval, et les poètes rémouleurs du rêve. Leiris et Michaux aussi, en tant qu’équarisseurs du langage, Rabelais, les films de Tati, Jacques, la musique humoristico-rosicrucienne de Satie, Erik… Poèmes récents en revues papier (Décharge, Nouveaux Délits, Arpa, Verso, Diérèse, Motsà Maux, La Nouvelle Cigale Uzégeoise (haïkus) ; Éphémérides feuilles détachées. Une anthologie, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? (haïkus) et en revues en ligne (Recours au poème, Le Capital des Mots, Lichen, Le Jeudi des Mots). Recueil récent : Par le rire de la mouche (haïkus), avec des dessins de Jacques Cauda, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? (janv. 2022).

Autres lectures




Afrique, une écopoésie active ! Entretien avec Samy Manga

Samy Manga, poète, musicien et performeur né en 1980 dans la forêt équatoriale camerounaise, est une voix majeure de la poésie africaine contemporaine. Fondateur du mouvement des Écopoètes du Cameroun, il construit une œuvre multidisciplinaire où se croisent poésie, sculpture et musique, profondément attentive à la biodiversité, aux héritages coloniaux et aux enjeux sociaux. Son parcours autodidacte et son engagement artistique illustrent une écopoésie à la fois sensible et critique, profondément ancrée dans les réalités locales tout en dialoguant avec les enjeux universels. Des œuvres comme Chocolaté : le goût amer de la culture du cacao témoignent de cette démarche, mêlant conscience sociale et sensibilité poétique.

Cet entretien s’inscrit dans le cadre de l’anthologie hors-série de la revue Les Haleurs, consacrée à l’éco-poésie africaine francophone, dont Samy Manga est l’initiateur. De l’idée à la sélection des voix et à la coordination éditoriale, il a façonné le projet, définissant les grandes lignes de cette anthologie unique. La discussion qui suit permet de comprendre non seulement son œuvre et son parcours, mais aussi la vision qui a conduit à réunir ces voix africaines contemporaines, révélant un engagement poétique à la fois individuel et collectif.

Pourquoi publier aujourd’hui une Anthologie d’Écopoésie Africaine ?
Pour éveiller les consciences sur le bien-fondé de la préservation des ressources naturelles, source d’équilibre du Vivant et de la planète, au regard des dégradations climatiques et environnementaux liés à l’ordre mondial actuel. Les catastrophes écologiques sont actées sur tous les Continents : la pollution liée à la surconsommation, aux extractions minières, l’accumulation de déchets toxiques, les extinctions d’espèces animales et végétales sont autant de défis auxquels seuls l’éducation, la sensibilisation populaire et le respect des normes peuvent pour assurer un développement durable efficace. De mon point de vue, les solutions à ces crises environnementales doivent être globales.
En tant que militant, artiste engagé avec l’association Écopoètes International, mon idée était de rassembler toutes les voix d’Afrique à la fois pour célébrer le Vivant sous toutes ses formes, mais aussi pour la nécessité de sa préservation. Cette Anthologie d’Écopoésie est un cri d’alerte international contre le climato-scepticisme. Une insurrection Écopoétique face au consumérisme planétaire. Je voulais qu’en tant que poètes, écrivains, artistes de tout bord, citoyens et citoyennes d’Afrique et du Monde, nous nous mobilisions poétiquement avec un regard lucide sur l’avenir de notre planète.
Cette anthologie est présentée à la fois comme une anthologie de la poésie africaine et de la poésie écologique. Pourriez-vous expliquer comment ces deux dimensions se conjuguent dans votre projet ?
Si ce projet d’Anthologie a été initié avant tout pour répondre à l’urgence environnementale de notre époque. L’Afrique comme on le sait est une terre de culture, d’écriture, d’oralité, de poésie et surtout de transmission. La poésie fondamentale africaine n’est pas dissociée de l’écologie ni des autres espèces qui forment la Biodiversité, au contraire, par sa puissance, sa créativité, et sa sagesse, la poésie africaine a toujours lié tous les éléments et les aspects de la vie humaine.
Ses traditions animistes, ses pratiques mystiques, son alimentation, son rapport à la matière, à l’invisible, et à la Terre sont autant de spécificités traduites par l’Écopoésie comme vecteur des valeurs du NOUS NATURE.
Quelle est la littérature africaine contemporaine réellement représentée et traduite en France ? Pourquoi la poésie africaine est-elle si peu présente ?
 Je ne suis spécialiste ni en tendance ni en statistiques littéraires, et mon champ de bataille n’est pas de m’efforcer à faire traduire la littérature africaine en France. Il nous faut sortir de cette centralisation franco-française qui restreint notre présence dans l’espace poétique. La littérature africaine existe et doit exister pour ce qu’elle est, pour la puissance de son imagination, de son histoire, et son apport à la culture universelle. La littérature africaine ne peut prétendre exister par procuration pour espérer une forme de reconnaissance. La poésie africaine est de plus en plus présente sur le Continent et ailleurs, elle a le mérite d’être nourrie par sa diversité linguistique, ses coutumes et ses traditions. En l’espace de trente ans, nous avons vu l’éclosion de milliers d’auteur.e.s édités ou auto édités dans tous les domaines de la littérature.
Malheureusement dans certains pays d’Afrique francophone, nous faisons encore face à des politiques culturelles peu visionnaires qui engendrent des problèmes de diffusion, de droits d’auteurs, de mobilité des poètes – poétesses, peut de maisons d’éditions capables de mieux porter les voix de la poésie africaine à l’intérieur comme à l’extérieure du Continent.
 Pourquoi certains pays africains sont-ils si peu représentés dans votre anthologie ?
Pour la réalisation de cette première anthologie d’Écopoésie nous avons choisi uniquement les pays francophones pour uniformiser nos voix face aux crises environnementales qui menacent la survie des espèces vivants. Sur les 32 pays francophones d’Afrique, 23 sont présents dans l’ouvrage. 

Comment avez-vous choisi les poètes ? Quelle démarche avez-vous suivie pour cette sélection ?
Pour assumer une géographie éditoriale typique, il nous a fallu faire des choix stylistiques ancrés dans les traditions d’Afrique et de ses îles afin de proposer une anthologie collective inspirante et ouverte au monde, tout en reflétant notre vision en matière d’écologie et notre rapport à la Terre.
Vous avez évoqué le rôle du chant et de la traduction dans la poésie. Pourriez-vous préciser ce point ?
En réalité le chant et la poésie sont issus de la même matière, de la chair des mots, du même tissu de respiration alliés à l’expérience humaine. Habités par le feu de la parole poétique, les mots chantés, lus, peints, déclamés ou sculptés se traduisent sous des formes diverses pour atteindre le domaine des émotions. D’ailleurs vous qui êtes Tunisienne, votre question me fait penser à un des grands noms, l’incantatrice de la poésie arabe, Oum Kalthoum.
Dans votre anthologie, certaines notes expliquent des mots issus de langues ou dialectes africains. Comment avez-vous pensé ces notes pour aider le lecteur à comprendre ces termes…
Toute traduction est une trahison. Cela dit nous avons voulu ouvrir la compréhension des lecteurs en mettant quelques notes de bas de page qui permettraient de mieux sentir, de mieux imaginer, de mieux saisir les oracles qui traversent la beauté des langues locales associées au français.
Quel rôle la poésie joue-t-elle dans cette approche de médiation linguistique et culturelle ?
Seule la poésie sauvera le monde. Le rôle de la poésie comme de toute expression artistique est d’exprimer des émotions, de peindre des sensations, et de dire le monde à partir d’un soi collectif ou personnel. Par le canal des identités, des particularités, et des expériences qui habitent les mots de l‘existence, la poésie permet d’instaurer des ponts, des mises en dialogues, et des regards croisés entre les cultures.

Pourquoi avoir choisi la maison d’édition Les Haleurs pour publier cette anthologie ? Quel rôle cet éditeur a-t-il joué dans le projet ?
Après plusieurs années de recherche de partenaires pour la publication de ce projet, j’ai rencontré David Dielen à Paris en 2023, grand passionné de littérature verte, auteur végétal avec une grande sensibilité poétique, et surtout, responsable d'une maison d'édition ayant pour ligne éditoriale : l'Écopoésie. Vous l’aurez compris, la graine est tombée en bonne terre. Les Haleurs Édition s’est donc avérée être une belle opportunité de collaboration. De 2023 à 2025, nous avons enrichi ce projet de littérature verte publié officiellement le 10 octobre 2025 à l’occasion de la 35e édition du Salon de la revue de Paris.

Présentation de l’auteur

Samy Manga

Écrivain, ethno-musicien, militant écopoète, Samy Manga travaille actuellement à Lausanne. Né dans un petit village à 45 km de Yaoundé au Cameroun, où il révèle son engouement pour les Arbres et la création littéraire. Initié ‘’ Enfant écorce ‘’, à l’âge de 14 ans il écrit son tout premier recueil de poèmes intitulé, Terre de Chez Moi. Écopoète engagé pour la littérature verte. Activiste décolonial et promoteur de l’Écopoésie, entendez : l’Écriture en Faveur de l’Écologie et de la Biodiversité. Par ailleurs, Samy Manga est le Fondateur de l’Association Écopoètes International, co-fondateur et directeur artistique de l’espace culturel ArtViv Projet de Lausanne. Finaliste du Prix des Cinq Continents 2023, finaliste du Prix Amadou Kourouma 2023, lauréat du Prix MILA du livre Francophone ‘’ Meeting International du Livre et des Arts Associés-MILA ‘’ 2025. Il a également reçu le Grand Prix de poésie Africaine d’Expression Française du Festival International du FIPA, Abidjan- 2021.

Bibliographie 

4 degrés celsius entre toi et moi, pour une littérature climatique, Collectif. Édition Point, 2025.

La Dent de Lumumba – régicide contre la colinie, Éditions Météores – Bruxelles, 2024.

Choco trauma – le goût amer de la culture du cacao, Éditions La Croisée des Chemins, Casablanca, 2023

Chocolaté - le goût amer de la culture du cacao, Éditions Écosociété, Montréal 2023.

Opinion poétique, Coécrit avec Caroline Despont. Éditions L’Harmattan, Paris, 2018.

Les Hirondelles de Mebou, coécrit avec Faustin Embolo. Maison des Savoirs, Yaoundé, 2012.

Les Acapella du bois, sculptures sur poésie, Éditions ArtDéclic. Paris -Yaoundé.

Poèmes choisis

Autres lectures




Entre Plovdiv et le monde : Rencontre avec Anton Baev

Anton Baev est l’une des voix les plus importantes de la littérature bulgare contemporaine. Poète, romancier, essayiste, il explore les passages entre mémoire individuelle et mémoire collective, entre la Bulgarie et le monde. Il est aussi un passeur, fondateur d’un festival littéraire à Plovdiv et traducteur attentif des autres.

Pour commencer, pouvez-vous nous donner une sorte de carte du territoire : à quoi ressemble aujourd’hui la littérature bulgare ? Quels en sont les grands courants, les voix qui comptent, les tensions ou les enthousiasmes ?
Sur la carte de la littérature mondiale, la Bulgarie, bien sûr, est un très petit segment, probablement passé inaperçu jusqu'à récemment - non pas à cause de la littérature elle-même et de ses principaux auteurs, mais à cause des longues années derrière le rideau de fer, dans lesquelles le pays s'est retrouvé après la Seconde Guerre mondiale. À ce jour, la littérature bulgare n'a pas eu de prix Nobel, à l'exception d'Elias Canetti, un Juif bulgare né à Roussé mais émigré enfant. Cependant, Canetti revient lui aussi à Roussé dans sa prose. Comme le dit le dicton, où que l'on aille, on rentre toujours chez soi. Mais dans la langue, ce voyage est différent, bien sûr.
Par littérature bulgare d'aujourd'hui, vous faites peut-être référence à la période postérieure à l'an 2000 ? Si oui, je dirais qu'elle est probablement en quête d'identités européennes, d'une part, et qu'elle connaît, d'autre part, une forte vague historique, un tournant vers une nouvelle lecture du passé.
Le passé qui a le plus souffert de la propagande communiste et de la censure, car il n’a pas été éclairé de manière factuelle ni enseigné de manière objective dans les écoles et les universités.
Georgi Gospodinov est l'une des voix européennes les plus reconnues de la littérature bulgare contemporaine, et se situe précisément dans le paradigme littéraire européen. La traduction est plus complexe pour les écrivains qui explorent les aspects historiques et psychologiques du folklore ; pour eux, la traduction représente un véritable défi, tant pour les traducteurs que pour les lecteurs.
Mais à mon avis, c'est là que réside la littérature authentique de chaque nation - celle qui n'est pas destinée à une lecture rapide, ni à une traduction rapide, mais à une lecture tout au long de l'histoire de l'humanité.

Entretien autour du roman roman d'Anton Baev Maria d'Ohrid, qui coïncide avec la Journée du souvenir des victimes du communisme. 

Vous écrivez à la fois de la poésie, des romans, des essais. Pourquoi ce besoin de traverser les genres ? Qu’est-ce que cela vous permet d’explorer différemment ?
Question intéressante. Elle est liée à la genèse des genres, je pense. Pourquoi écrivons-nous de la poésie ? Ma réponse est : pour préserver l’instant, l’émotion. Pouvons-nous écrire le même poème aujourd’hui et dans une semaine, un mois, un an, des années ? Non, bien sûr que non. Nous pouvons écrire mieux ou moins bien, mais jamais pareil.
Avec la prose – la nouvelle, la nouvelle, le roman – c'est différent. La plus courte des nouvelles peut contenir même la vie la plus longue. Le roman le plus long peut réduire le temps à une journée ou même à une heure.
Mais quel est l'essentiel pour qu'elles se produisent ? À mon avis, construire un monde possible mais imaginaire, un monde qui nous attire, ne serait-ce que le temps de la lecture, qui nous arrache à l'ici et maintenant, sans attaquer directement le cœur, à mon avis, le but principal de la poésie.
En ce qui concerne les essais, ce sont des tentatives de lecture, c'est l'écrivain qui a chaussé les lunettes du lecteur, changé d'optique, essayant d'expliquer ce que la poésie capture dans l'instant et ce que le roman construit comme monde réfléchi.
À mon avis, un écrivain sérieux doit souvent franchir cette ligne : écrivain/lecteur.
Et bien sûr, est-il nécessaire de citer des exemples ? De Baudelaire à Eliot, de Flaubert à Fowles, si l'on se limite au sud et au nord de la Manche. À la naissance de la littérature mondiale se trouvent des poètes-philosophes tels que Lao Tseu, Confucius en Orient, le Pentateuque et les tragédiens grecs, sans qui, me semble-t-il, la littérature européenne ne serait pas ce qu'elle est.
Mes intérêts pour les études littéraires et, plus généralement, pour les sciences humaines, sont, je dirais, professionnels, même s'ils n'en sont jamais devenus une profession. Mais il arrive parfois dans la vie que la profession s'écarte des objectifs professionnels.

Anton Baev présente son nouveau roman.

Dans vos livres, on sent souvent une attention à la mémoire, à la ville, au mythe, au sacré. Quelles sont, selon vous, les grandes thématiques qui traversent votre œuvre ?
Merci pour votre observation extrêmement précise. En écrivant, nous ne nous faisons probablement pas une idée précise de la force centrifuge de notre écriture. C'est pourquoi je disais il y a un instant qu'il est bon pour l'écrivain de se mettre à la place du lecteur, de changer de perspective. Si je peux recommander quelque chose au jeune écrivain, c’est de passer plus de temps à lire ses propres écrits qu’à les écrire. Ce franchissement du seuil d’un côté à l’autre n’est pas seulement disciplinant, il m’a aidé à comprendre ce qui me manque, ce que je ressens mais que je ne peux pas encore exprimer. Bien sûr, il existe des auteurs bien plus importants qui peuvent vous raconter quelque chose de complètement différent. Je partage ici mon expérience. Au fait, j'envie le lecteur, pas l'écrivain. Le lecteur est la figure pure de la littérature. L'écrivain est celui qui est le plus inventé, le plus fabriqué, le plus médiatisé, etc. Je me considère comme un lecteur intelligent et doué. C'est pourquoi j'écris des essais, des articles, des études et des monographies littéraires. Et peut-être parce qu'il n'y a personne pour les écrire (rires). Cela demande une préparation bien plus sérieuse que d'écrire un best-seller.
Je ne suis pas sûr qu’une poésie significative puisse naître sans mythe et légende, mais je suis sûr que sans mythe et légende il n’y a pas de poète significatif.
Ce sont deux choses différentes. Vibrer autour du mythe, de la légende, de l'historique dans les textes poétiques, et créer un mythe et une légende sur soi-même. C'est difficile à expliquer dans une interview ; j'ai consacré une monographie entière à ce sujet. Mais en résumé, la formation romantique se fonde sur la grande poésie et la figure mémorable du poète. En fin de compte, nous nous souvenons de deux types de poètes : les prophétiques et les romantiques. Mais bien sûr, vous pouvez me réfuter.
En ce sens, la mémoire est importante, non pas comme souvenir fugace, mais comme fusion, comme saut dans le temps. Dans nos rêves (d'ailleurs, le sommeil le plus long dure entre 5 et 8 minutes), nous faisons exactement cela : nous nous libérons du temporaire, du temps linéaire. Ce transfert/saut n’est possible que dans les rêves et dans la poésie, plus généralement dans l’art, bien sûr. Mais de la même manière, le mythe ne se réfère pas à une époque spécifique, la légende non plus, même si elle est historiquement fondée. Et tout ce qui n’est pas quotidien est sacré, c’est en quelque sorte au-delà et a décidé de nous toucher à travers ce livre, à travers cette peinture, cette pièce, cette musique, cette danse. Il s’agit d’ailleurs d’une sublimation de notre instinct suicidaire, mais j’ai essayé de l’expliquer en détail dans une autre de mes monographies. Il me semble que, pour l'instant, cet instinct est établi chez les humains et les dauphins. Il nous reste à découvrir l'art des dauphins pour confirmer cette thèse.
Quant à la ville, vous le dites parfaitement, mais j'aimerais ajouter quelque chose. Je m'intéresse à la ville non pas en tant que géographie, mais en tant qu'êtres humains, en tant que citoyens, et il me semble qu'ils sont très différents dans chaque ville. C'est pourquoi j'utilise beaucoup de villes dans ma prose. Dans ma poésie, les villes sont plutôt des symboles.
Mais la ville est mouvement, la ville est mouvement – ​​y compris d'une ville à l'autre, changeant d'histoires, de cultures, de personnages. Dans un de mes romans, l'action se déroule dans la ville natale de mon père, Yambol. Je n'ai pas mentionné le nom complet de la ville, seulement sa première lettre – Ya. C'est aussi la dernière lettre de l'alphabet bulgare. Voici comment fonctionne le symbole, par exemple.

 

Festival international de poésie « ORPHEUS » – PLOVDIV 2025, et son directeur Anton Baev. https://orpheus-plovdiv.eu/about/?lang=en

Quel rôle la poésie joue-t-elle aujourd’hui dans le paysage littéraire bulgare ?
Minime, je dirais, si l'on en croit la diffusion des recueils de poésie. Et énorme, si l'on en croit les tentatives de poésie sur les réseaux sociaux. Et c'est le plus étrange. Des centaines de personnes qui ne lisent pas de poésie, même de la bonne poésie, essaient d'écrire de la poésie, de la mauvaise poésie, bien sûr, pas de poésie du tout. Pourquoi le font-ils ? Probablement pour s'exprimer à un moment précis. L'instant – c'est l'aimant de la poésie, il peut vous tuer, en fait, il vous tue, mais dans un cas, il vous tue, et dans le meilleur des cas, plus lentement, vous laissant l'espoir d'une suite. Et peut-être que je vais me répéter, mais je vais souligner que l'auteur doit aussi être un lecteur, ce n'est qu'alors qu'il trouvera la bonne dioptrie dans l'écriture. La situation en Bulgarie en matière de prose n'est pas différente. Nombre de livres sont morts-nés. Mais si l'on établit un parallèle avec le romantisme en Angleterre, par exemple, un mouvement entier est identifiable grâce à six ou sept auteurs et une quarantaine d'ouvrages, parmi des centaines d'autres tombés dans l'oubli. Sans compter que certains emblèmes n'ont pas été émis du vivant de leurs auteurs. Rien de nouveau donc.
C'est comme si la poésie d'aujourd'hui (à un moment donné) n'avait d'importance que pour les générations suivantes, elles la découvrent.
Qu’est-ce que la poésie vous permet de dire que la prose ne permet pas?
Je crois avoir partiellement répondu à cette question. Mais je le dirai brièvement : la prose ne peut sauver l'instant, ni le sentiment. Seule la poésie le peut.

Vous êtes aussi l’un des organisateurs d’un festival littéraire. Pouvez-vous nous en parler ?
C'est avec grand plaisir que je l'ai créé il y a neuf ans, mon épouse Elka Dimitrova, directrice de l'Institut de Littérature de l'Académie bulgare des sciences, et moi-même. Nous avons créé le Festival international de poésie « Orphée ». À ce jour, il a réuni exactement 100 participants venus de plus de 30 pays. Nous avons choisi le nom d'Orphée - un roi thrace légendaire, poète et chanteur, tué, selon la légende, par les Bacchantes, selon l'histoire, par les Grecs, en tant que figure culturelle mondialement reconnaissable de l'Antiquité. Le festival publie chaque année deux livres multilingues : l'un avec de la poésie et l'autre avec des essais des participants, dans leur langue maternelle et traduits en anglais et en bulgare. Le festival décerne également plusieurs prix dans différentes catégories, annoncés à l'avance sur le site www.orpheus-plovdiv.eu
Si vous me permettez de souligner que les participantes à la première édition du festival en 2017 étaient les poétesses françaises Nicole Barrière et Laure Cambeau, félicitations à elles! J'ai vraiment envie de continuer avec les participations françaises, la France, surtout depuis la modernité, a été un phare dans la poésie européenne. Personnellement, j'ai toujours vu ce phare.
Les portes d'Orphée sont grandes ouvertes, mais chaque année, douze poètes de différents pays y participent. Les douze apôtres de la poésie, pas besoin d'exagérer leur nombre, n'est-ce pas?
Quelle est votre vision du rôle d’un festival aujourd’hui : promouvoir la littérature nationale, créer des ponts, inventer des formes de rencontre?
À vrai dire, les efforts déployés pour créer et maintenir un festival international de poésie sans interruption sont considérables, du moins pour la Bulgarie. Notre équipe se compose de quatre personnes. Je n'inclus pas les traducteurs, bien sûr.
Et puisque je suis le père d'« Orphée », je me permets de l'admettre : l'objectif est de réunir en un même lieu, dans une même ville historique et à une même époque, des poètes qui sont aux mains de l'histoire. Ce que sera leur histoire dépend de l'histoire elle-même, y compris de la petite histoire du festival, je l'espère.
Mais surtout - de nouvelles amitiés, écouter de la poésie, car la poésie est avant tout rythme, musique, la première métaphore est la danse du sauvage, ainsi que la peinture rupestre, donc la poésie est possible non seulement dans n'importe quelle langue, mais même sans traduction, si l'interprète est bon. Contacts continus, traductions, publications dans des revues étrangères, livres, et qui sait ce que la vie nous réserve encore... Mais si je dois être précis, je ne souhaite en aucun cas promouvoir une littérature nationale. C'est pourquoi les participants bulgares à chaque édition de mon festival sont au maximum deux. En Bulgarie, nous avons pour tradition de valoriser nos invités plus que nous-mêmes tant qu’ils sont nos invités.
Vos œuvres ont été traduites dans plusieurs langues. Qu’est-ce que cela représente pour vous, être traduit ?
Tout d'abord, permettez-moi de remercier mes traducteurs. Sans eux, nous restons enfermés dans nos propres langues, et le bulgare est l'une de ces langues marginales. La traduction est un pont vers un autre rivage, vers une personne qui ne connaît pas votre langue, une tentative de franchir une frontière en général. Mais le plus important, tant dans l'original que dans la traduction – du moins en poésie – est de toucher un cœur. Que Dieu y pénètre, s'il l'a dit. Tout le reste n'est que tentative d'atteindre quelqu'un que nous ne connaissons pas, mais dont nous espérons qu'il nous aimera. Heureux les traducteurs! Ils essaient de préserver notre moment pour d’autres époques et d’autres régions du monde.
La traduction est-elle une forme de recréation ?
Je ne pense pas. Je pense que c'est une question d'empathie, s'il s'agit d'un texte poétique.
Quelle est, selon vous, la responsabilité d’un écrivain contemporain ?
Le rôle de l'écrivain dans la société s'amenuise hélas. Les auteurs à succès n'ont aucune influence, et même une influence inverse : ils minimisent l'écrivain, l'ostracisent.
C'est pour cela qu'on a inventé le best-seller, les charts, le happy end. Il n'y a pas de fin heureuse dans la vie, c'est évident. Et c'est là, me semble-t-il, la tâche de l'écrivain : dégriser, poser, opprimer, si vous voulez. L'écrivain européen, me semble-t-il, devrait se lancer dans le journalisme, le publicisme. Oubliez l'opposition de Goethe selon laquelle le journaliste est un chien. Qu'il soit un chien, mais qu'il aboie. Il ne veut pas rester dans sa tour d'ivoire. Il y est probablement plus à l'aise, il n'y perdra pas les lecteurs qui ne partagent pas ses positions politiques et sociales. Mais les temps ont changé. Ce n'est plus l'époque de Goethe.
Nous sommes dans un nouveau 1968. Et nous avons besoin d’écrivains à suivre, pas seulement à lire au lit le soir.
Que voudriez-vous que le lecteur garde, en refermant vos livres ?
L'émotion, l'univers dans lequel je les ai transportés. Et si le livre est bon, il sera relu. C'est un test infaillible pour savoir si c'est un bon livre.
Au fait, il y a deux autres tests : le livre doit être adapté à la lecture rapide et lente.
Merci pour ces questions intéressantes !
Recours au poème vous remercie cher Anton Baev.

Présentation de l’auteur

Anton Baev

Anton Baev (1963) est né à Plovdiv, en Bulgarie. Il est l'auteur de 24 ouvrages publiés (poésie, romans, nouvelles, monographies scientifiques).
Il est titulaire d'un doctorat en littérature bulgare de l'Institut de littérature de l'Académie bulgare des sciences (2009). Il s'est spécialisé en journalisme régional dans le cadre d'un programme de l'Iowa State University et de l'Agence d'information des États-Unis (1994) aux États-Unis.

Ses livres et ses œuvres individuelles ont été traduits en anglais, allemand, français, turc, italien, espagnol, grec, roumain, danois, tchèque, slovaque, serbe, macédonien, hébreu, albanais et russe.

Bibliographie

Plusieurs de ses livres sont publiés à l'étranger. Parmi eux : Dunya Nimetleri. Istanbul : Yasakmeyve, 2011) ; Victor Bulgari. Traeumen in Berlin. Roman. Berlin : Anthea, 2017 ; Holy Blood. Skopje : Antolog, 2018 ; The Gifts of the World. Skopje : Ziga Zaga Books, 2018 ; Mary from Ohrid and the Holy Conception. Bitola : Vostok, 2021 ; Babam ve Ben. Istanbul : Ben8isu, 2025.

Lauréat de nombreux prix littéraires nationaux et internationaux.

Anton Baev vit à Plovdiv et a travaillé comme bibliothécaire, critique, reporter, chroniqueur, observateur de la politique étrangère et éditeur. Il est directeur du Festival international de poésie ORPHEUS depuis sa création en 2017, le plus grand festival de Bulgarie. Il gère également quatre sites d'information régionaux en Bulgarie et un site littéraire multilingue, www.plovdivlit.com .
Pour le contacter : baev_a@hotmail.com

 

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