Quand et comment as-tu rencontré la poésie ?
Une première rencontre eut lieu à l'âge de 13 ou 14 ans avec les poètes romantiques que je découvrais à l'école et par mes lectures vagabondes. J'y étais sensible, je tentais de les imiter mais je sentais confusément que cela ne passait pas, je pense que j'en avais conclu qu'on ne pouvait plus écrire de poésie...
La révélation est arrivée en classe de 1°, nous avions un professeur un peu vieillot mais qui était un très brave homme et qui avait compris qu'il fallait interesser la classe par un apport de sang neuf. il avait donc sollicité de jeunes étudiants qui préparaient de CAPES afin qu'ils puissent s'entrainer devant nous. Ces jeunes futurs profs nous ont fait découvrir Apollinaire, Supervielle, Ponge, le surréalisme...Ce fut un véritable choc pour moi ! D'emblée je compris que les véritables clefs qui me manquaient se trouvaient bien là, que la poésie n'était pas morte et qu'elle devait se vêtir d'une autre manière pour parler au monde contemporain. À partir de ce moment la poésie ne m'a plus quitté, elle est entrée dans ma vie et l'a bouleversée au point que je puis dire sans hésiter que je vis en poète 24h/24.
Peux-tu nous parler de ton parcours poétique et de ton engagement ? (en lien avec ton activité professionnelle, ton action politique, ton insertion géographique....?)
Dès mes 17/18 ans j'ai donc commencé à écrire une poésie que je qualifierai de "contemporaine" débarrassée des pesanteurs du "classicisme" (mètre régulier, rime, sujets traditionnels...). J'ai eu l'immense chance d'être présélectionné pour le Prix François Villon qui était, à l'époque, un prix prestigieux fondé par José Millas-Martin. Je n'ai pas obtenu le prix mais cela m'a conforté dans l'idée que j'avais trouvé ma voie (voix ?).
Mon premier ouvrage date de cette époque, il s'intitulait SOLEIL ENTROPIQUE et avait été publié par José Millas Martin. Je dois dire que mon engagement pour la poésie cohabitait avec un engagement politique très fort (je vivais à Paris et mai 68 n'était pas très loin). L'un de mes livres de chevet était : OUVREZ LE FEU de Tristan Cabral. Il y avait dans ses écrits toute la révolte de cette époque et j'y étais particulièrement sensible.
À l'époque, j'écrivais en langue française, l'idée d'écrire en langue corse ne m'a même pas effleuré mais ayant découvert les premiers ouvrages de Marie Ange Sebasti (qui me paraissait une vieille dame puisqu'elle devait avoir une trentaine d'années lorsque je n'en avais même pas 20...), je me suis demandé pourquoi, alors qu'elle célébrait la Corse, elle n'avait pas tenté décrire dans la langue de l'île. De cette langue, dont j'avais la maitrise orale, je n'en savais pas grand chose et je connaissais encore moins la production littéraire insulaire mais j'ai, de suite, tenté de combler mes lacunes. Je fus largement déçu par mes premières lectures : la poésie que je découvrais me renvoyait à une conception archaïque de cette dernière où "le temps d'avant" était magnifié d'une manière traditionnelle qui m'ennuyait très fortement. Mais, quelques temps après, je découvris les textes des fondateurs du Riacquistu (mouvement de réappropriation culturelle) : Jacques Thiers, Jacques Fusina, Lucia Santucci...Tous, avec leurs personnalités diverses, pratiquaient une poésie en langue corse qui, d'une certaine manière, cassait les codes anciens et ce fut une nouvelle révélation : je me devais, pour participer au combat pour la reconnaissance de la langue, écrire moi aussi en langue corse !
Si je ne connaissais pas encore la graphie de cette langue, je la possédais parfaitement car j'ai passé ma prime enfance avec mes grands-parents et que, par la suite, mes parents l'utilisaient au quotidien. Je ne l'ai pas "apprise", c'est elle qui m'a pris et depuis bien longtemps...
Vinrent ensuite les premiers textes, les premières plaquettes, les prix et les distinctions diverses qui ont confirmé que mes choix étaient les bons : ne pas céder aux slogans venus de la tribune, conserver ma liberté de jugement et de ton, justifier les nobles causes et l'élévation de la pensée sans tomber dans l'angélisme....