A l’heure où nous nous apprêtons à rendre compte d’un beau livre de poèmes, de multiples possibilités s’offrent à nous pour introduire à cette note. Et si nous suivons la voie du cœur, alors il nous faut entrer dans nos profondeurs, là où se dissipe la brume pour laisser place à quelque clairvoyance, et nous avouer à nous-mêmes le rôle qu’a eu la lecture de ce livre dans la semaine que nous avons traversée.
Le livre : il s’agit d’Arcanes, publié par les éditions du Cygne, et signé Andreea-Maria Lemnaru.
La semaine : l’information continue nous a imposé le lot de décisions indiscutables : interdiction des crèches sur les lieux publics au nom du principe de laïcité, vente par l’état, à 49.9 %, de l’aéroport de Toulouse-Blagnac aux chinois. La “normalité” s’établit partout, et hors du cadre orthonormé de ce qui tend à vouloir régir l’intégralité de toutes nos vies, de toute la vie, point de salut.
Ces nouveautés, décidées par le peuple des orcs à la tête du pouvoir, au nom de principes tels que celui de précaution, de la gestion à court terme pilotée par un vieux trentenaire dynamique dont le nom — c’en est fascinant — est Macron, ne sont évidemment pas des détails et nous renseignent profondément sur ce qui se joue actuellement, et depuis un long moment déjà, et continue de s’accélérer, à savoir la contrainte du Vivant par la Norme. La vie fait peur. La liberté fait peur. L’accident, les accidents, font peur. La grande évolution que nous incarnons, nous autres homo sapiens, n’a strictement rien à envier à l’homme des cavernes qui avait peur des animaux sauvages, désirait trouver un abri pour se protéger, luttait pour manger à sa faim et pour se reproduire. A la différence près que l’homme des cavernes avait, lui, l’espace, le temps, et la liberté. Quelle évolution !
On préfère aux accidents offerts par la Vie — ces hasards miraculeux que tout le monde a rencontré une fois dans sa vie et permettent des routes inattendues, des rencontres fondatrices, des situations inespérées une fois la crise absorbée et dépassée — la Norme, celle issue de l’interdiction d’interdire chère aux fameux orcs progressistes (pléonasme) installés sur les ors de leur trône barbare.
Mais, nous autres, qui n’avons à priori que le vote pour moyen d’action, le préférons-nous véritablement ? A force de nous vendre, au profit de principes intérieurement destructeurs, il se pourrait que quelque étincelle issue de nos réflexes pariétaux soient accidentellement projetée sur quelque mèche attendant son feu.
Cette étincelle, à Recours au Poème, nous savons la nommer : elle se nomme Poème.
Et pour rétablir un équilibre vital au sein d’un monde qui a décidé seconde après seconde de détruire tout l’humain et toute son aventure, nous orientons nos cœurs vers cet élan vital.
Pour ce qui nous concerne, en cette semaine dévastatrice, le Poème s’est incarné par la lecture du beau livre d’Andreea-Maria Lemnaru, Arcanes et son arche de poèmes a su instaurer dans ce quotidien mortifère que chacun souffre en secret, une conjuration guérisseuse.
On entre dans ce bel opus par le mitan nocturne, l’heure où règnent les sorcières, où les “gitans gardent la porte du temps”, où “une femme brûle dans le miroir”, l’heure des mendiants, des ombres, l’heure où “l’aube s’est enfuie”.
C’est dans l’ombre, se dit-on, que se révèlent les secrets contenus dans les arcanes. Et cette ombre, nous y sommes tous aujourd’hui. Nous sommes donc, yeux attentifs, aux plus près de la solution. Car la vie, arcane majeure, ne se domestique pas. A trop vouloir la contraindre, elle déferlera sur ses dresseurs tyranniques.
L’arche de Lemnaru nous emporte vers la Galaxie des horloges (magnifique poème), vers le Mariage du pendu et L’appel du phénix.
Une image se fait voir, celle du phénix et de son cortège de significations. Si la parole est “essoufflée”, que la “tyrannie” a pris possession du monde, que tout ce qui nous fonde décline, l’oiseau renaissant de ses cendres est-il appelé à renaître en nous pour la Refloraison du monde (formule que nous empruntons à un tableau de Roberto Mangú), ou est-ce lui-même, le phénix, qui lance un appel pour que nous préparions le chemin de sa résurrection ? Si tel était le cas, la situation serait plus grave encore car les rêves seraient étouffés.
Mais la vie — et ce savoir nous garde en joie — ne peut se contraindre… le poète le sait. “L’Inconnue/Celle de toujours/Sainte” prononce Andreea-Maria Lemnaru comme une incantation discrète. C’est elle qui aura toujours le dernier mot, cette Inconnue. Sa présence inaugure déjà une Nouvelle Ere (somptueux poème) dans le cœur du poète, donc dans le coeur d’une fractale incarnée par un individu qui, en soi, est alors un macrocosme, chaque partie contenant le tout, ici de l’humain et de l’Univers.
L’avenir semble engendré, sorti des ornières imposées par l’économie des orcs, par le désir déjà, et l’attente active, autrement dit par l’espérance, celle qui fait advenir toute neuve réalité, toute métamorphose.
Le régime des orcs est appelé à finir par un geste de chacun.
On entend des échos de Baudelaire, de Lautréamont dans les lignes de ces poèmes, assumant par moments des rimes croisées et les rythmes traditionnels, lignes de force qui assoient la provenance de ces Arcanes affranchis de tout esprit suranné.
Car Andreea-Maria Lemnaru nous murmure que dans le cœur de l’homme réside le firmament, et qu’à manger son propre cœur, chaque matin, l’homme…
La suite dans son beau livre, contre la barbarie des orcs.
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