Abderrahmane Djelfaoui, l’insolation d’Empédocle

 

je l ’imagine solitaire ((philosophe et poète grec du Ve siècle avant J.C. Né et mort en Sicile.))
pieds sur le sable nus
écouter  battre l’ouïe des fonds

je l’imagine  se signer d’un doigt
aux mouettes, aux lèvres denses du ciel
observant l’aurore
Levant d’écailles merveilles

en alchimiste d’avant même
l’alchimie des vents
lui l’inspiré d’un bonheur

sans compagne
ni horizon

mais pouvait-il savoir
avant de plonger dans la gueule
de l’Etna

pouvait-il imaginer
pressentir même
qu’en deux millénaires d’instant

des désespérés
brûleurs de mer
consumant leur passé
oseraient affronter  l’inconnu terrible des détroits
que Lui  connaissait si bien

sur de dérisoires esquifs
à en laisser la mémoire de la mer aussi muette
que lave de volcan mal éteint  

aujourd’hui
n’aurait-il pas souci
que l’inattendue voracité
d’un moineau
pour d’illusoires miettes

(celles-là mêmes qui servent d’assise
aux plus vieux oliviers de nos ombres)

n’arriverait même pas à émouvoir
la plus minime parcelle
des îles, des plages
souillées de gas-oil
et contrebandes inavouables

en deçà de Messine dit-il

je ne suis  qu’Asie qu’Afrique
en leur détroit
bandant l’air qui me reste
enfilant un voile de souffre
fait de vagissement
de gémissement
et vertigineux ululement
des femmes

il aurait aussi pu dire

que les fonds des mers
des plus légers
aux plus lourdement dallés
semblent parfois
mais parfois seulement onduler
nuage au mascara

que la chance d’être ailleurs
ne recommencera plus l’être
ici

qu’un cri qui va se taisant
est vent dans sa nuit

que jamais la complaisance à l’obscur
ne permet  à l’œuf cru
de gober son écume

et murmurer

on frôle le mensonge                            
à chaque ongle du kalame
même si l’on continue à broyer
peau de cette vérité entre les dents

*

flagelle-toi d’air
en attendant de t’asperger
de cendres

fragments épars

mon destin est d’être une pierre
espoir de trop quand l’espoir  rase
semelle de sa poussière

*

la pitié de moi-même
est un souffle sourd qui va
tonnant l’inconnu

*

fils de l’anonyme
l’aède n’est que mer
en flux
enfermé pensée
dans sa conque percée
d’un fil d’aube

un détroit sans lune
un disjoncteur non fiable  

sous un figuier vert

monte un chant de cigales
brûlure d’une âme
qui s’en va feuille à feuille

la Méditerranée est cette insolation
d’ ombres et d’ hospitalité dans la douleur
que nos yeux sommeillent
et sommeilleront longtemps
au cou d’une étoile  

elle
énigme première et dernière
aux lèvres de l’aveugle

elle
filant feuillage au ciel
pour le plaisir des hirondelles

elle
mer cirrus que la langue
seule entend

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