Il était né le 11 décembre 1937 à Avignon. Après avoir vécu à Paris, Oran, Hambourg, Marseille… c’est à Avignon qu’il est revenu et s’est éteint le 25 mars 2021. D’abord journaliste de 1962 à 1965 — il participa à la création de l’un des premiers quotidiens de l’Algérie indépendante — il fut un infatigable acteur et passeur de culture, il fut directeur adjoint, responsable de l’action culturelle et de l’information, du Nouveau Théâtre National de Marseille de 1975 à 1977, il créa les Rencontres Poétiques de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, et fonda la Maison du Livre et des Mots, qu’il dirigea jusqu’en 1985, et fut aussi responsable de la Maison du Livre et des Écrivains à Montpellier, du Centre Régional des Lettres du Languedoc-Roussillon, et Président de la Fête du Livre d’Aix-en-Provence (créée en 1977 et dirigée jusqu’en 1979).
Sans compter les très nombreux échanges littéraires en France et à l’étranger, les expériences de résidence d’écrivains (il avait créé les premières, à Villeneuve-lès-Avignon, en 1982) – et la collaboration à de nombreuses revues, notamment : Action Poétique, Argile, Exit, Arfuyen, la Revue de Belles Lettres, Sud, Solaire, Alphée, In’hui, Port-des-Singes, Autrement, Vagabondages, Grande Nature, Limon, la NRF, Caravanes, Recueil, Voix d’encre, il est l’auteur de plus de cinquante ouvrages appartenant à divers genres (le plus souvent inclassables ( le seul roman étant Les Roses blanches). on lui doit nombre d’études, de préfaces, d’articles.…
Ces dernières années, il publiait régulièrement sur Facebook des extraits d’une quête autobiographique, suivie par de nombreux lecteurs.
« insatiable curieux », «personnalité observatrice et tolérante, bienveillante et étonnée », « d’une gentillesse de terrien conscient des manques et valeurs de chacun », « il aimait la vie, les livres et tous ceux qui les font » disent quelques-uns parmi les mots nombreux laissés sur sa page par ceux qui l’ont connu – c’est ainsi que nous choisissons de penser à lui comme l’un des derniers humanistes du XXème siècle — un “honnête homme” comme le fut Montaigne. C’est pour cette raison que nous donnons ici la parole à Eric Poindron, qui l’a bien connu et qui nous donne également un poème en son honneur. (La Rédaction)
GIL JOUANARD, L’INSPIRÉ DE BORD DES ROUTES
Par Eric Poindron
Gilles Jouanard, l’homme livre, le nomade casanier, s’en est allé, délicat et discret, ainsi qu’il était.
L’écrivain, le poète, l’homme du Centre régional du livre – et de tous les structures qu’il avait dirigées ou imaginées -, le comparse d’Elisée Reclus le géographe, de Jean-Henri Fabre l’entomologiste, de Buffon l’encyclopédiste, de Jean Follain, de Dhôtel oui de Pierre Béarn – et j’en oublie, tant la cohorte fraternelle est longue — entretenait des camaraderies à travers les siècles et nourrissait sa vie d’amitié avec les vivants.
Gil était ainsi, homme de peu et homme de bien, ami et protégé de René Char et compagnon fidèle des écrivains débutants. Gil était un pont solide et modeste qui ne payait pas de mine, comme ses ponts cévénols qui connaissent les pas des grands hommes et le murmures des ondes et des eaux.
Chaque matin et chaque jour, Gil enchantait ses lecteurs – une société discrète – de ses fragments de mémoire ou de littérature. Il convoquait les siècles de jadis, les madrigaux ou la chanson française de Fréhel ou Damia, les poètes de bords de route, les dédaignés ou les peu lus et les lumières de l’enfance.
Piéton insatiable de Paris comme Restif de la Bretonne ou Jacques Réda, il était aussi pérégrin des petits chemins de France, s’extasiant là d’une lecture du paysage ou dressant le portrait d’un quidam minuscule mais essentiel.
Je dois beaucoup à Gil : ses livres – chez Anatolia, Phébus, Verdier, Fata Morgana — éditeurs essentiels et de qualité, son sourire de bonté, son enthousiasme et ses encouragements. Je relis nos correspondances, nos partages d’écrivain comme on se refile des billes dans la cour de récréation de l’enfance.
Je relis ces mots de modestie qu’il m’avait envoyés, un jour d’échange, encore, dès l’aube qui nous était chaleureuse : « N’ayant jamais su comment vivre en poète, si cela se peut, j’ai toujours plutôt tenté de faire vivre la poésie en moi. Celle des autres, qui n’aura jamais cessé de chercher la mienne, une bougie au bout du moindre mot, ainsi que fit Diogène “cherchant un homme”. Des gens comme toi, moi, Pierre – Michon -, se situent hors du champ à la fois étroit et envahissant de la narration romanesque. la vie continue et je te coopte à titre…personnel ! »
Et m’arrive ces mots de Pierre Michon, le juste : « Je t’embrasse bon Phrère, je pleure Gil. » Aussi, comme le sait Cocteau, faisons semblant d’être triste puisque les poètes font semblant d’être morts.
Ici ou presque, dans l’Aube chère à Bachelard qui est si cher à Gil, ombragée où sourde la Seine gracile et encore minuscule, chemin faisan & faisant sauvage, le géographe des modestes sentiers et pérégrin « botanis » aux humeurs serpentines joue à la marelle sur les ronds dans l’eau.
Ce géographe amateur et inspiré, c’est Gil, je le sais.
Il marche d’un bon pas avec ses bons compagnons, Jacques Lacarrière, Gilles Lapouge, Claude Mettra et Marcel Béalu.
Bon voyage ami fidèle, Phrère humain, camarade précieux.
Cher Gil.
Dans Comme un bal de fantôme, j’avais offert ce poème à l’ami, comme un pont traversé. Aujourd’hui, mon pont est dévasté. Alors il faut franchir encore et encore. Et célébrer l’ami qui monte dans la diligence qui nous emmène chaque jour dans nos voyages au pays de panache et d’en-vie.
SINUEUX LÉGER / INSECTE COMME UN HOMME
À Gil Jouanard, l’honnête homme
« Eh bien voilà ; les naturalistes comme les frères Reclus, Maeterlinck, Michelet, dont les livres sur la montagne, l’oiseau, les insectes, ainsi de suite sont souvent plus beaux que la plupart des livres de poésie autodésignés, et avalisés avec quelque hardiesse, par leurs auteurs… »
Gil Jouanard
Oui élevons des monuments aux astronomes aux créateurs aux fantaisistes aux poètes qui détachés de l’utile et de l’immédiat agrandissent l’univers et célèbrent le charme et l’idéal des mondes inconnus
Je voyage sinueux Léger / rêvassant aussi
À tire‑d’aile / dans le métropolitain
Je voyage dans le métropolitain
Petit lointain / Sinueux /Avec Jean-Henri Fabre
Heure de pointe / Heure de peine Sans peine
Jamais de peine Avec un savant poète
Les stations aériennes défilent
Les téléphones grésillent
Et les mendiants mendient
Les nuages ne se prononcent pas
Le bonhomme Fabre est là tout entier
Sur mes genoux Grand ouvert
Comme un beau et grand livre
Fabre Bel ami vieille branche Vieil ami belle branche
Je l’aime celui-là
Comme j’aime mes camarades d’admiration
Grimod de la Reynière Saint François d’Assise Le grand Buffon Geoffroy Saint-Hilaire
Élisée Reclus le géographe L’anarchiste Non le géographe Non les deux
Et ses frères Géographes et anarchistes Et poètes aussi
Et Pierre-Joseph Redouté le peintre des roses délicates
Et Jean-Jacques Audubon le naturaliste l’ornithologue
Ambroise Paré le sage Bernard Palissy le poète aux émaux
Et je n’oublie pas Jamais
L’homme simple & d’exception L’homme avec un grand H, et un O, et un M, et encore un M et un E aussi Johann Heinrich Pestalozzi Qui déclarait
« J’ai vécu moi-même comme un mendiant pour apprendre à des mendiants à vivre comme des hommes. »
Et tant d’autres Une cohorte de joyeux camarades Des inspirés qui ne me lâchent jamais la main
Mes chuchotements et mes lanternes Mes cailloux blancs
Je voyage léger dans le métropolitain Jean-Henri Fabre sur les genoux Et à mes côtés
Je parcours les planches comme des herbiers Je sympathise avec les insectes
Ses amis Qui deviennent mes amis
Et voilà un camarade qui monte
C’est Gil Jouanard le poète délicat le lecteur le bon-homme
« Je peux monter avec des amis
Je dirai au hasard Bachelard Élie Faure par exemple
Et pourquoi pas Reverdy »
Ça commence à faire du beau monde
Les téléphones ne grésillent plus
Les insectes font plus de bruit, de beaux bruits
Quels bruits d’insectes dans ce wagon !
Mes lectures sont des pas à pas de sept lieues
Les mendiants continuent de mendier
Et si Fabre intervenait Et Pestalozzi Et les autres
Les grands hommes Et les hommes tout simplement
À mes côtés Point de Fabre
Mais une jeune femme Multiple comme une collection d’insectes
Sourire de papillon Yeux de nuage
Nocturne en plein jour Et cochenille comme personne
Elle lit au-dessus de mon épaule
Je la regarde lire
Et si nous étions des insectes Et si nous sauvions des hommes
Je descends Elle s’envole À tire‑d’elle
À demain Jolie demoiselle Comme un insecte
Je te souhaite le bon jour Ma nouvelle amie Chrysalide
Notre « Histoire naturelle »