Après CeeJay, après Jeannine Burny, Rio di Maria et tant d’autres… Jude Stéfan nous a quittés le 11 novembre, à l’âge de 90 ans.
Poète sans concession autre que celle qu’il a accordé au langage, à sa dissolution dans l’infini du sens, Jacques Dufour dit Jude Stéfan, né à Pont-Audemer le 1ᵉʳ juillet 1930, poète et nouvelliste, est un poète français. Son pseudonyme évoque Thomas Hardy (Jude l’obscur) et James Joyce (Stephen, personnage de Dedalus) Après des études de droit, de philosophie et de lettres, il a été professeur au lycée de Bernay où il a enseigné le français, le latin et le grec. Il vivait à Orbec. Il a publié de nombreux livres et a reçu le Prix Max Jacob en 1985 et le Grand prix de Poésie de la Ville de Paris en 2000.
Photo © Gallimard.
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éd. La Table Ronde, 1996
Jude Stéfan fuyait les mondanités, fâché de tant de tapage autour de lui lorsque la municipalité d’Orbec lui rendit hommage à l’occasion de son 80ème anniversaire. Dans sa maison, qui était déjà celle de sa mère, les livres ont fini par prendre plus de place que les meubles : il y vivait avec Evelyne, sa fidèle amie, sa muse, une bonne fée qui l’a assisté jusqu’au dernier jour avec tendresse et fascination.
Il laisse une œuvre importante — poèmes, nouvelles, essais… De cette dernière catégorie, moins connue, on retiendra les Chronique catoniques, paru en 1996, recueil de notes et études critiques écrites avec la véhémence du Romain Caton, exhortant à détruire Carthage : il y relit Sartre, Derrida, Flaubert, Svevo… et s’interroge, dans la deuxième partie, sur les questions, les apories et les ouvertures de la poésie contemporaine, et sur la question du sens. Ces pages éclairent une poétique originale, portée par sa voix labyrinthique et profonde, proche d’aucune autre.
« La poésie n’est pas de la Littérature mais de l’Écriture. C’est là le grand malentendu ».
ce Crâne n’a plus mal à la tête
ne sourit plus avec ses yeux
mais sa mâchoire
car ses dents dureront plus que les œuvres
il a perdu ses oreilles charnues
sa grasse langue plus ne déblatère
vidé de son cerveau à pensées
ne hume plus les petits matins
par ses trous
jadis trépané
ce Crâne ne résonne plus des folies
ce Crâne va rouler sur le sable jeté
comme d’un homère à Ios
« Les casquettes », dans Prosopées, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1995.
Jude Stéfan, extrait de Alme Diane, lu par Marilyne Bertoncini.
poème pour poème,
jeunes filles bleues et blanches
parmi nuages et l’insouciance quand
un bris de verre un entrechoc de lances
déclarent LA GUERRE folle comme une
sirène et que la tache rouge sang
sur la page calme vierge s’étale
en flux horrible de puberté rouge
guerre et la paix bleue s’évade aux
terrasses d’été avec l’enfance les cris
un soldat dans son lit de fougères
(à Réda)
Extrait d’Elégiades/Deux méditations
Jude Stéfan,” Au bon plaisir d’Orbec”, France Culture, 1999.
Bibliographie poétique :
• Cyprès, poésie, éditions Gallimard, Paris, 1967.
• Libères, poésie, Gallimard, Paris, 1970.
• Idylles suivi de Cippes, poésie, Gallimard, Paris, 1973.
• Poésie, éditions Guanda, Parme, 1978.
• Aux chiens du soir : poèmes en titre, poésie, Gallimard, Paris, 1979.
• Laures : poèmes, poésie, Gallimard, Paris, 1984.
• Litanies du scribe, poèmes, Le Temps qu’il fait, Cognac, 1984.
• Alme Diane, poèmes, Le Temps qu’il fait, Cognac, 1986.
• À la vieille Parque précédé de Libères, poésie, Gallimard, Paris, 1989.
• Stances : ou 52 contre-haï-ku, poésie, Le Temps qu’il fait, Cognac, 1991.
• Elégiades suivi de Deux méditations, poésie, Gallimard, Paris, 1993.
• Prosopopées, poésie, Gallimard, Paris, 1995.
• Povrésies ou 65 poèmes autant d’années, poésie, Gallimard, Paris, 1997.
• Épodes ou poèmes de la désuétude, poésie, Gallimard, Paris, 1999.
• Génitifs, poésie, Gallimard, Paris 2001.
• La Muse Province, poésie, Gallimard, Paris, 2002.
• Caprices, poésie, Gallimard, Paris, 2004.
• Désespérance, déposition, poésie, Gallimard, Paris, 2006.
• Que ne suis-je Catulle, poésie, Gallimard, Paris, 2010.
• Disparates, poésie, Gallimard, Paris, 2012.