Adeline Baldacchino, Notre insatiable désir de magie
On entend dire de plus en plus qu’il manque aux politiques une vision, et qu’on craint le pire au point d’en rire jaune sur les ronds points, que les évaluations économistes, les rigueurs de la gestion technocratique nous ont fait perdre le sens. Adeline Baldacchino va plus loin, elle nous invite à l’insensé en politique, elle en appelle à la magie. Tel serait le pouvoir de notre imaginaire : celui d’aller au-delà du sens établi pour inventer un sens nouveau.
Vous me direz : mais que vient faire la politique dans une revue de poésie ? C’est, tout d’abord, qu’A.B. est poète, publiée chez Clapas, Les Venterniers, Rhubarbe – et qu’« en même temps » (une locution qu’elle ne cesse de railler à propos de Macron, « le dernier roi » d’une ENA qu’il veut détruire) elle a traversé Sciences Po puis l’ENA, dont elle a su se désintoxiquer (la poésie n’y fut pas pour rien). Elle a dû renoncer à une ambition légitimée par l’institution, se tirer une balle dans le pied plutôt que dans le cœur, dit-elle – bien qu’elle fut dans la botte énarque. Elle a fini par faire son nid à la Cour des comptes (ce qui laisse du temps pour écrire).
Nous avons besoin de magiciens en politique, écrit-elle. À l’image du célèbre Houdini qui sut toujours se libérer des prisons dans lesquelles il se faisait enfermer : le magicien montrait que ce que l’on croyait impossible est possible. Il expliquait ensuite comment il avait fait : rien de mystérieux dans sa magie !
De même pourrait-on se dégager de TINA (There Is No Alternative), la sorcière néolibérale qui veut nous faire croire, et Macron avec elle, que la réalité est ce qu’elle est, on n’y peut rien… Il faudrait en finir avec le culte de la « déconomie » … Au temps du Corona, on a réussi à retrouver les milliards qu’on avait perdus pour les retraités…
Il est donc impératif de rêver car « qui ne rêve pas ne se réveille jamais » ; de faire sortir du sommeil notre sens politique qu’elle résume ainsi : « la politique de la bonté, la politique de la beauté, la politique du doute ». Trois valeurs que tous les poètes ont à cœur – ceux que j’aime en tous cas.
Adeline Baldacchino : Notre insatiable désir de magie, Fayard, 2019.
« Le poète, écrit-elle encore, est celui qui nous rappelle la possibilité d’inscrire la magie dans ce monde : il témoigne non pas d’un autre monde au sens d’un outre-monde, mais d’un autre monde au sein même de celui qui nous occupe et que nous habitons plus ou moins poétiquement ».
En ce sens la culture en général, la poésie en particulier, peuvent nourrir le politique ; être une « étoile polaire » pour l’action publique. Il y eut des poètes de la politique, tel Pierre-Joseph Proudhon et son fédéralisme autogestionnaire dont s’inspire Adeline Baldacchino. Y en aura-t-il demain, qui seraient capables de courir plutôt que marcher au pas de la finance ? Il y en a déjà, mais nous ne les (re)connaissons guère.