Peut-être s’avère-t-il nécessaire, pour comprendre toute la quête poétique, toute la démarche d’écriture dans laquelle s’est lancée Adeline Miermont-Giustinati, à travers le partage de ce recueil, entre confidence, poème, essai et récit, de revenir à l’origine des mots, à leur étymologie, tout particulièrement celle du verbe de grec ancien qui donne son titre à l’ouvrage fondateur et dont elle rappelle la définition antique dans un glossaire des thèmes-clés de son œuvre précieusement glissé après une postface révélatrice ? « SUMBALLEIN : transcription française du grec ancien Σύμβα λλειν que l’on peut traduire par « jeter ensemble », « mettre ensemble », « assembler », « réunir ». Dans l’Antiquité, deux personnes qui passaient un contrat cassaient un morceau de poterie. Chacun gardait un bout. Quand les contractants se revoyaient, ils lançaient leurs fragments de tessère respectifs (les sumbola) afin de se reconnaître. Terme à l’origine du mot symbole. »
Tessons rassemblés, fragments réunis, les « symboles » de son écriture donnent de la chair aux mots et tracent le parcours d’une vie dont la genèse des textes qui semblent s’écrire sous les yeux du lecteur, comme sous la dictée de son auteur, insuffle la vie, donne forme à l’être, prépare le surgissement de l’existence prise, là encore, en son sens initial d’ek-sistence, sortie de soi, naissance d’un monde singulier qui procède d’une nuit matricielle, celle-là même dont Pascal Quignard fait le récit de la présence mystérieuse dans La Nuit sexuelle et l’analyse de l’absence de son image secrète dont procède pourtant le nouveau-né dans Sur l’Image qui manque à nos jours : « Une image manque à la source. Personne d’entre nous n’a pu assister à la scène sexuelle dont il résulte. L’enfant qui en provient l’imagine sans finir. C’est ce que les psychanalystes appellent Urszene. »
Témoignage de ré-écriture au féminin de ce cheminement d’existence, à travers la figure de la mère à la genèse, à la fois génératrice et génitrice, l’emploi sans doute non innocent d’une formule qui fait là encore écho à la conception de chacun dans sa traversée de sa vie, selon l’écrivain Pascal Quignard, comme un « dernier royaume » de son vivant, autrement dit depuis la naissance jusqu’à la mort, monde souverain mais voué à disparaître et dont les femmes, seules, les mères, plus particulièrement, ont le pouvoir d’être à la source, au commencement de la nuit d’amour fondatrice des deux fragments/amants à l’union/unisson à cette relation première mère-embryon-bébé-à-naître-nourrisson que l’auteur qualifie, quant à elle, de « premier royaume » : « le premier royaume est un désert / un silence liquide / le premier royaume est une nuit / le départ de la vie est un intermède / le premier royaume n’est pas encore l’ex-istence / il est l’in-istence / le premier royaume est un prélude / une préface / un préambule »
Adeline Miermont-Giustinati, Sumballein suivi de le tunnel, éditions Phloème, 2021, 15 €.
Prélude ludique, variation du désir en exploration d’une forêt primitive que le corps féminin personnifie avec toute la force des mythes : « je suis une forêt / je suis un monde secret et opaque / je suis le monde d’avant l’humanité / je suis la vie errante / réfugiée dans une nuit / sous une ramure / île dans une île dans une île / une et île font dans » : ce corps devient alors matrice dont la formule inaugurale du recueil en fait la matière béante du passage, des passages, de tension érotique en naissance sublime : « je deviens mon entaille » ; mais c’est d’une écriture au scalpel, sans fioriture, au corps à corps justement, dans son intensité physique comme épousant une poussée de la physis antique, la nature première dont l’auteur garde tant l’absolu mythologique de la parole oraculaire que le détail dérisoire de la contingence charnelle, que se distinguent les éclats, les poèmes divers, les différentes transformations d’un texte en métamorphose, signe d’un voyage primordial où selon ce témoignage éblouissant : « l’horizon est dedans »…
Présentation de l’auteur
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