Alain Brissiaud, Livres pauvres
La terre blanchie sous le pas
réprouve la trace laissée
air
l’air suffoque dans le paysage
comme aboiement le feu
dit l’ivresse tendue du retour
La terre cogne contre la porte
mais tu restes muet
de l’eau
l’eau des poussières inaudibles disent
l’improbable
tu sais cela
De la terre coule de tes yeux
dessinant une brèche
ligne
au fond du ciel
entachée
Terre immobile
bascule sous l’horizon
laisse venir
s’emparer des failles du langage
tes mains ne peuvent y parvenir
indécence
Me force à garder le visage ouvert
attentif
tenace comme la langue
la terre épouse le vent d’ici
où si peu de réalité
La terre marche sous ton pas
saisissant dialogue entre chemin
et
désir quand les mots
deviennent langue
alors l’espace a la taille de tes mains
La terre se penche
au chevet des pierres
surplomb improbable
discontinuité de la parole
Il y a une lecture de la terre
happée par le vent d’ici
failles et ruissellements
la façonnent
Reviens
reviens
terre d’encre
ultime tentative
mémoire bouche coupée
oubliée
qu’importe
Qui nous apporte un rêve
une tentation
sous l’ourlet de l’âme
abîmée
quelle chute pour cette
rédemption
Juste un regard
ivre
supplicié donne à voir
le désordre des choses
qui nous lient
Ce naufrage est une vapeur de feu
un frémissement de la peau
alors vient le silence
comme pierre sortie de
terre
Et nous prends
tout
brassée d’indulgences feintes
descendue des collines poussières
cailloux
innocence
Terre au souffle écorché
l’écho des apparences
noie la suie de tes yeux
délaye le souvenir
destructions et carnages
ce que l’on sait
ignorance
Ravins terre
meurtrie
talus haies broussailles
quand soudain muet
vient l’oubli
La terre qui se voit
archipel boueux
joliesse de ces moments
ensevelis
Terre improbable
tu cherches le repos
en vain
nue
elle est celle que tu ne vois pas
Alors
tu lèves ton regard
songe qui est un signe
où s’ensevelissent
les derniers incendies
demeurent les mots tombés à terre
à rebours
∗
Le poème est un ciel
qui s’assombrit
en cours de route
Même décousu le poème
pousse au cœur de l’homme
avec une constance fiévreuse
∗
Paroles de voix
sonnent et se souviennent
dessinent le chemin
vers toi
à la parole absente
viennent à mesure
de la marche
et buttent
sur la pierre
dans la vérité
de cet instant
il écrit
l’écriture du mot
ramassé accroupi
dans le souffle
effacé
il écrit
gratté
gommé
avec l’étoile du bâton
avec les ongles
en venir à bout
aujourd’hui ce silence
demain le cri
au-delà
un éboulement
Je feuillette l’album de photos de ma mère.
Ma grande soeur, Marie- Hélène paraît toujours fragile et Françoise la plus jeune, tellement espiègle.
Mon père pose debout, très droit, sérieux. Jamais il ne regarde vers l’arrière et s’enferme dans le silence.
Ma mère, une femme douce, disparaît souvent à l’intérieur jusqu’au lointain.
Les photos mentent et jouent.
D’elles s’échappe la tristesse.
Alors, mon regard se perd ; demain est déjà si loin.
∗
Tu piétines sous le monde comme les pierres
et tes rêves basculent vers la nuit.
Cette jouissance s’ouvre sur un chemin de cendres.
Juste, tu enlaces mes membres apeurés.
∗
Nous n’étions tenus que par la nuit
ainsi marchant
jusqu’au jour
séparés de peu
et pourtant si pleins de la tendresse
des choses simples
à ce moment
sans le savoir
vibrant lointain
oui
si loin
∗
Partie de voix
cède
au ciel qui s’enflamme
le manche de la nuit s’en empare
et succombe
avec le silence comme équipage
mais bientôt
nous marchons sur la terre hostile
pour l’ultime embardée
∗
Eau de roche ne veut pas venir
elle dort sous le siège
du grand cinéma
sa frayeur rejoint le ciel incertain
sous la nuit que je lui porte
alors de grandes idées l’encerclent
de leurs doigts féconds
plus tard nous reprenons
cette impensable discussion
je suis comme le livre
diras-tu
près de la bouche
∗
Déjà je cours
juste au devant tu cris lâchez-moi
lâchez-moi
bras de fer dans le bois de bouleaux
vers quelle immensité
indéchiffrable immensité
et tu hurles le visage muet
parole contre parole
trop humain ton beau visage désaccordé
déjà ce visage
l’immensité persona
couché sur le soleil
tu cris lâchez-moi lâchez-moi
te lâchent
sous l’arbre
brutalisée
ta pauvre chevelure cette immensité
en finir juste un murmure
venez
venez voir
je suis trop faible j’exhibe ma sotte mélancolie
nos yeux désemparés
répétition répétition
ce petit corps en fuite
gisant au sol ainsi
ficelle d’herbe
immensité
Deux discordes accordées
mêlées
à ne plus voir
qui rançonne l’autre
deux vies mêlées
qui se chassent
ça n’est pas possible
une dérive
retournée ça n’est pas possible
tous les accords affirmés
ajoutés l’un à l’autre
sonnent et tressaillent
se raccrochent aux accords donnés
alors tu hurles
ta haute voix aux anges
aux anges survoltés
la vie
la vie
aux papillons ôtée raccommodée
aux mille instants saturés
et toute l’énergie vole de l’un à l’autre
ne laisse pas de paix les hauts les bas
ta voix
ta voix d’amour vie vie donne donne
voix voix ne laisse pas en paix
s’envole aux flots donnée
pur esprit
Il pleut sur ta voix c’est le matin
nous allons et venons dans la chambre
tout contre le miroir
j’ai entendu ton rêve frissonner
au creux de ma peau
avons-nous le temps
assise derrière ma main tu souris
comme un éclat de ciel
entre les branches
sans bruit le livre chute au bas du lit
aurons-nous le temps
dire l’autre parole de l’errance
sur quelles rives débarquer nos vies
est-ce la vérité cela
tes yeux se troublent et puis s’effacent
comme un unique bien
le temps donné
∗
L’autre rive à bord de l’embarcation
suffoque de lumière
nous sommes allés chercher le passeur
l’éreintement
sa main tient fermement la corde
tirée de l’eau
des éclats de voix dansent dans l’air
les hommes marchent en silence jusqu’à la nuit
et s’éteignent un à un
abandonnés de ce coté-ci du monde
seule la terre liquide nous accueille
elle nous prend dans sa main et nous agite en riant
pauvres rien que de nous
nous sommes sous la voix en dessous
dans la contrainte du mot
un ciel de cendres nous tient lieu d’église
où nos corps désossés flottent au vent